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Citations sur Le Livre des nuits (46)

"Nul ne savait vraiment d'où il venait, ni pourquoi ni comment il était arrivé là. Les légendes et les ragots les plus fantasques couraient au sujet de son teint noirci par la poussière de charbon, des taches d'or de son oeil qu'il se mettait maintenant à distribuer à sa progéniture, de son ombre blonde qui hantait toute seule les chemins, de son accointance avec les loups, de sa voix dont l'accent différait de celui de la région, de son regard capable d'éteindre les miroirs et de sa main mutilée." (p. 94)
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Un soir, en rentrant de la mine, Victor-Flandrin remarqua que le sourire de sa grand-mère flottait sur son visage avec plus d'ampleur et de clarté encore que de coutume. Elle était assise à table, en train de peler des pommes. Il vint s'assoir en face d'elle et, lui prenant les mains, il les serra dans les siennes en silence. Il ne savait que dire devant un tel sourire où Vitalie semblait s'absenter toujours davantage jusqu'à s'y dissoudre presque. Ce fut elle qui prit la parole après un moment. « Demain, lui dit-elle, tu n'iras pas à la mine. Tu ne retourneras jamais là-bas. Tu dois partir, quitter ce lieu. Va-t'en où bon te semblera, mais pars, il le faut. La terre est vaste, et quelque part certainement existe un coin où tu pourras bâtir ta vie et ton bonheur. Peut-être est-ce tout près, peut-être est-ce très loin.

« Vois-tu, nous n'avons rien. Le peu que j'ai eu autrefois, je l'ai perdu. Je ne peux rien te donner, sinon le peu qui va rester de moi après ma mort, --- l'ombre de mon sourire. Emporte-la, cette ombre, elle est légère et ne te pèsera pas. Ainsi ne te quitterai-je jamais et resterai-je ton plus fidèle amour. Et cet amour, je te le lègue, il est tellement plus grand, plus vaste que moi. Dedans passent la mer, les fleuves et les canaux, et tant de gens, hommes et femmes, et des enfants aussi. Ce soir, sais-tu, ils sont tous là, autour de moi. » Puis elle se tut, soudain distraite par quelque présence invisible et s'égara dans son drôle de sourire comme si elle n'avait rien dit, comme si rien ne se passait.

Victor-Flandrin voulut la retenir, lui poser des questions car il ne comprenait pas ces mots étranges qu'elle venait de lui dire d'un ton à la fois si tendre et distant, --- d'un air d'adieu, mais il se sentit pris par un irrésistible sommeil et sombra lourdement sur la table, sa tête roulant dans les pelures de pommes, ses mains toujours tenant celles de sa grand-mère. Lorsqu'il se réveilla, il était seul. À la place de Vitalie tremblait une lueur légère comme une brume dorée par le soleil levant. Sitôt qu'il se leva de sa chaise et appela sa grand-mère la lueur glissa sur le sol et, tournant à travers la pièce, elle vint se fondre dans son ombre.
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Puis il allait s'enfouir à son tour dans son lit où l'attendait Mélanie pelotonnée sous le gros édredon. Son corps en boule exhalait dans l'ombre tiède des draps une odeur humeuse pareille à celle des fourrés après une averse d'automne. Il aimait se couler dans cette touffeur, rouler sa tête dans l'épaisse chevelure déjetée sur son oreiller, et glisser vivement sa jambe entre les genoux repliés de sa femme. Il commençait toujours par s'imbriquer ainsi à son corps puis tous deux s'étreignaient selon un jeu d'enchevêtrement souple et rapide qui liait et déliait sans cesse leurs membres jusqu'à ce qu'ils se nouent complètement l'un à l'autre.
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Il avait regardé longuement autour de lui et respiré avec une force immense, comme pour mieux prendre mesure de tout cet espace qui l'entourait. De cet espace d'où il disparaîtrait un jour sans plus laisser de trace qu'un coup de vent traversant le feuillage d'un hêtre. Et il avait alors ressenti cette étrange sensation, - tout son être lui dégringoler dans les pieds. Car au bout du compte sa présence au monde ne dépasserait jamais la minime surface de ses plantes de pieds.
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Tous ces instants qu'elle avait épinglés comme des petits bouts d'éternité dans ses albums de photographies se mettaient à bouger, à murmurer.
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Lorsque Mathurin la quittait il lui semblait longtemps après sentir encore la chaleur et le poids délicieux de ses seins dans ses paumes et le goût de ses lèvres dans sa bouche affolée de baisers. Il lui arrivait même certains soirs de ne pas souper pour garder ce seul goût toute la nuit et il s'endormait, le visage enfoui dans ses mains, le corps endolori tout à la fois de manque et de plénitude.
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Des couleurs jaillies de son seul désir. Le corps d'Hortense qu'il dessina ainsi se mit alors à se distordre en images folles, ivres de couleurs crues, en perpétuelle métamorphose. Tantôt il multipliait ses bras et ses jambes, tantôt mettait le feu à ses cheveux ou les chargeait d'essaims d'abeilles, tantôt crevait son corps de bouches énormes. Parfois ce corps fleurissait comme un jardin sauvage; des coquelicots s'ouvraient à la pointe de ses seins, des chardons orangés lui brûlaient aux aisselles, des campanules et des ronces s'entortillaient à ses membres, des grappes de groseilles s'écroulaient de ses lèvres, des libellules aux ailes bleu pervenche s'envolaient de dessous ses paupières, des renoncules jaune vif et des lézards vert acide s'enlaçaient à ses doigts. Sur ses fesses il écrasait des fraises, son sexe, il l'embroussaillait et le couvrait de lierre, l'étoilait de bleuets et laissait toujours percer au milieu de ce buissonnement un bulbe rond et charnu comme un bouton de rose prêt d'éclore. Il couvrit des pages et des pages de tels dessins.
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Il ne se rebellait même pas, il n'avait plus de colère, ni de haine contre Dieu. A quoi bon, puisque en définitive il n'y avait pas de Dieu, que le ciel était aussi désert que la terre, aussi vide que sa maison. Il n'y avait pas d'autre Dieu que tous ceux là qu'il avait tant aimés, et qui maintenant brûlaient en paix devant ses yeux. Il contemplait la lente métamorphose de Dieu en cendres, et il ne disait rien.
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Et Thadée se lança dans un récit confus où il était question d'éclipses, de planètes en marche et d'étoiles filantes, d'un château fabuleux dressé dans une île écarlate où régnait un énorme astronome pourvu d'un nez d'argent, d'un élan mort pour avoir bu trop de bière, d'un grand globe de bronze où s'écrivait le ciel, de voyages de princes, de rois et de savants à travers neiges et forêts, d'une ruelle d'or sur les remparts de Prague et des frasques d'un nain doué de folie sagace et de seconde vue.
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En guise de femme, engeance qu'il n'avait au demeurant jamais approchée, , il s'en était donné plusieurs sous la forme succincte, mais efficace, de trous creusés dans les murs de son antre. Il ne se passait pas de jour sans qu'il ne s'accouple à l'un de ces sexes de pierre taillés à la mesure et tout moussus de molle chancissure.
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