« Je regrette que tu l'apprennes de cette façon. Je ne suis pas ton père biologique. Je t'ai reconnue à la naissance. Mais je ne t'ai pas conçue. » [p. 18]
C'est suite à cette révélation assez brutale que Laurence Emmanuel, la principale narratrice du récit, va entreprendre des recherches sur le passé de ses parents et sur un mystérieux militant gauchiste des années 70, Guillermo Zorgen. Si le thème des secrets de famille n'est pas nouveau et me semble peu renouvelé*,
Hélène Gestern parvient tout de même à l'exploiter avec succès dans une intrigue bien menée et très prenante. Elle y alterne les points de vue narratifs – majoritairement la jeune femme mentionnée ci-dessus ; en fin de chaque partie, la parole est laissée à l'un des autres personnages – avec divers documents : lettres, articles de journaux, tracts ou poèmes. Toutes ces variantes de l'écriture sont très bien maîtrisées par l'auteure et sont d'un réel intérêt pour le récit, en s'y insérant harmonieusement.
Bien que cette construction narrative impeccable m'a fait lire ce roman en une seule journée, poussée par l'envie de connaître la suite et de vérifier mes hypothèses, ce n'est pas ce que je retiendrai avant tout de cette oeuvre. À ma grande surprise, j'ai été fascinée par la période historique déployée : l'après-Mai 68, ère d'idéaux révolutionnaires, d'attentes utopistes envers l'avenir, de terrorisme et de destruction du monstre-capitalisme, entre autres.
Hélène Gestern dépeint avec précision cette époque, dans sa splendeur comme dans ses aspects les plus noirs, de même que ses personnages. Ces derniers sont profondément humains : aucun n'est parfait ou démoniaque, tous ont leurs blessures, leur orgueil, ont fait des erreurs ou ont eu parfois un geste sublime. Au-delà de cette absence de manichéisme, permise par l'alternance des points de vue narratifs et par les divergences d'avis sur Guillermo Zorgen notamment, les personnages sont dotés d'une réelle profondeur psychologique.