Un de Baumugnes
Jean Giono (1895-1970)
Publié en 1929, ce magnifique roman de
Jean Giono fait partie de la trilogie de Pan avec «
Regain » et Colline » que j'ai par ailleurs commentés, une oeuvre triple dont l'inspiration est née de la terre et de l'âme populaire. L'action se situe comme de coutume sur les plateaux crépitant de soleil et de solitude de Haute
Provence dominant le ronronnement de la Durance non loin de Manosque.
Tout commence à la Buvette du Piémont où Amédée, un vieux journalier en fin de foulaison à Marigrate, remarque un jeune garçon triste et taciturne qui, la boisson faisant, se confie à lui avant de quitter le village les travaux finis. C'est Albin, un jeune homme clair comme l'eau, qui tombé amoureux de la belle Angèle Barbaroux, belle à crier au péché, se l'est vue ravir par un garçon de mauvaise vie, un certain Louis dont l'intention est clairement de la faire travailler sur les trottoirs de Marseille. Albin foudroyé par la beauté d'Angèle :
« …Elle était sur l'autre bord de la Durance…C'était bien elle. Je la reconnaissais à la forme juste de son geste. Elle avait troussé son jupon et elle était nue de toutes ses cuisses ; sans corsage, elle était nue de ses seins roux comme de grosses prunes et, ainsi faite, elle pataugeait dans l'herbe et l'eau en chantant. »
Trois années ont passé et Albin est toujours inconsolable. Amédée, tel un père, décide alors de contrer le destin, se rendre à la Douloire, la ferme des Barbaroux où restent Clarius le père, un être fruste et sauvage, Philomène une mère accueillante et Saturnin l'homme à tout faire.
« Ça sentait le champ de maïs ténébreux…Ça sentait la résine et le champignon et l'odeur de la mousse épaisse. Ça sentait la pomme sèche. » Amédée loue ses services, «il est de la terre, il aime la terre lourde de blés, avec des cyprès contre les bastidettes, avec des touffes de chênes verts, avec de l'herbe roussie par le soleil et des ruisseaux vides où coule, à la place de l'eau, le bruit des charrettes, le parfum du thym et le rire des gardeuses de chèvres. »
Amédée a sa petite idée et s'engage alors dans une aventure dont le final est assez hallucinant après des jours de tranquillité agreste et bucolique au milieu des thym et sarriette.
Albin est de Baumugnes, la montagne des muets, le pays où on ne parle pas comme les hommes. Parlant à Amédée :
« Baumugnes, c'est moi. C'est fourré dans ma peau : les choses solides, de la couleur et du goût des herbes, du chant des arbres, du grincement des maisons de bois dans le vent glacé, et des choses, comme qui dirait des choses d'air, ça qui fait que le coeur tremble de joie, ou s'alentit, adoloré, de ce que le bruit, le parfum ou la couleur porte en plus de sa chose propre. »
Déjà on remarque le style original pour ne pas dire originel de
Giono, un style poétique adapté au terroir mettant en lumière la richesse de la terre et les travaux qui s'y rattachent, une terre riche de secret et de violence, terroir où les passions sont silencieuses, un style surprenant et authentique. Un hymne à la liberté et à la gloire des vivants, un appel au bonheur dans la pudeur et la dignité, malgré la rudesse et la rusticité des sentiments qui souvent cachent une tendresse émouvante avec un bel élan d'amitié quasi filiale entre Amédée et Albin.
Un chef d'oeuvre.