La méthode du crocodile

La rue monte mais le vieil homme avance d'un pas égal. Il sait que s'il se déplace constamment, personne ne se demandera qui il est, contrairement à ce qui se passerait s'il s'arrêtait en levant les yeux. Nul ne voit les gens qui marchent en silence, tête baissée, Nul ne prend le risque de partager les pensées et les problèmes des autres, fut-ce en croisant leur regard.

La nourriture est faite pour qu'on en parle ; sinon, allez manger un sandwich debout n'importe où.

- N'oubliez pas les mouchoirs!
- Quels mouchoirs?

Quand on n’a rien d’autre à faire pendant si longtemps, rien d’autre à penser, avec pour seule compagnie un râle provenant de la pièce voisine, la planification devient un passe-temps agréable.

La chance n’a rien à voir là-dedans. Il prépare ses coups, tout simplement. Il prépare tout, pas à pas. C’est une question de méthode : celle du crocodile. Il se met à l’affût, il observe, il attend. Et quand la proie est à portée de main, il frappe. Il ne peut pas se permettre la moindre erreur, donc il ne bouge que lorsqu’il est sûr.

Ce n’est pas pareil pour les hommes. Pour eux, un enfant devient important une fois qu’il est là, pas avant ; une femme, en revanche, naît avec l’instinct maternel. C’est la nature qui veut ça.

Une femme qui a passé sa jeunesse dans l’attente de l’homme de sa vie, du grand amour avec lequel fonder une famille, ne baisse pas les bras devant une phrase écrite sur un bout de papier. Pas même en pensée.

Les examens, ça va ça vient. On les passe et on peut les repasser. La vie vous offre toujours une seconde chance.

On apprend beaucoup de choses dans les nécrologies. On devinait par exemple qu’elle était fille de parents séparés ou divorcés depuis longtemps : certains « partageaient la douleur » de la mère, Marta ; d’autres, beaucoup plus rares, « s’associaient au deuil » du père, Luigi. On comprenait que nombre de messages venaient des amis de la jeune fille, plutôt nantis si l’on considérait le prix des annonces ; une certaine Debora avait même publié une longue poésie sur une fleur coupée.

Il avait lu des tas de livres et vu des dizaines de films qui magnifiaient l’importance du premier regard, mais il n’y avait jamais cru. Tout ça n’était que littérature. Comment fait-on pour comprendre une personne de l’intérieur en un simple coup d’œil ? Son passé, ses goûts, ses souvenirs, ses fantasmes, ses désirs ? N’est-ce pas l’ensemble de ces choses qui permet de construire un amour ?
Mais un regard avait suffi. Amplement.