Tout en elle respire la vie, la joie, la déportée semble être restée à Auschwitz et Ravensbrück : « Je me promets d’éclatantes revanches », écrit-elle à Louis Jouvet à peine libérée.
Lire a été non une quête d’exotisme mais une entreprise d’excavation : la révélation de ce qui me relie intimement au monde ; me coule dans sa respiration ; me fait une semblable.
C’est une histoire triste, sans fin, que met en mots Charlotte Delbo. Elle raconte qu’Auschwitz n’est pas un récit achevé. Un lieu clos. Comme les contes, comme les mythes il se décline sans cesse, change de costume, d’époque, de territoire, se réincarne mille fois en des formes oubliées — je pense, moi, au génocide arménien de 1915 qui en contenait les germes. Si Charlotte Delbo avait été vivante, elle aurait évoqué le génocide rwandais, la guerre en Tchétchénie, Vladimir Poutine, le conflit syrien, je ne peux m’empêcher de le croire ; et je me demande quel chagrin l’aurait saisi.
À la lire, j’ai pensé qu’écrire, c’est peut-être exactement cela : forger une langue capable de nous ramener d’entre nos morts ; la langue de nos confins où nous nous croyons muets.
Une femme nue comme la pierre, elle ne triche pas. Le monde après la guerre est pour elle un désert plein de mots d'amour que se crient des hommes et des femmes, et où elle se tient seule, dévastée mais vivante : Auschwitz, entreprise de déshumanisation totale, n'a pu détruire l'amour en elle.
Oubli et mémoire, deux pôles entre lesquels comme en nous_mêmes, la vie, l'écriture de Charlotte Delbo, hésitent sans cesse.
C'est une histoire triste, sans fin, que met en mots Charlotte Delbo. Elle raconte qu'Auschwitz n'est pas un récit achevé. Un lieu clos. Comme les contes, comme les mythes il se décline sans cesse, change de costume, d'époque, de territoire, se réincarne mille fois en des formes oubliées.
Dans l'oeuvre de Charlotte Delbo, écrire Auschwitz, c'est écrire le fragment.
Qu'une personne revenue de la pire détresse ait conservé un tel goût de vivre, cela tordait le cou à nos petites mélancolies.
C'est un poids terrible que la cohorte des souvenirs.