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Que savais-je de Charlotte Delbo ? Rien ou trois fois rien : j'avais découvert son nom en même temps que mes élèves lors d'un brevet des collèges, en 2014 je crois. J'avais appris à cette occasion qu'elle était Résistante et qu'elle avait été déportée à Auschwitz en janvier 1943 puis à Ravensbrück. Je savais aussi qu'elle était rentrée puisqu'elle avait écrit.
Que savais-je, moi, professeur de lettres, en 2014, de Charlotte Delbo ?
Rien.
J'avais lu aux larmes Primo Levi, Jorge Semprun, Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens mais de Charlotte Delbo, aucun écrit n'était parvenu jusqu'à moi.
Je me souviens de la lecture de Kinderzimmer de Valentine Goby comme d'un choc profond, une émotion qui s'empare du coeur et du corps. Un livre qu'on n'oublie pas.
Voilà à peu près où j'en étais quand j'ai ouvert « Je me promets d'éclatantes revanches » .
Ce qui m'a frappée, immédiatement, est la puissance du titre. Pourquoi ces guillemets ? Qui parle ? C'est elle, Charlotte, et je crois que l'oeuvre de Valentine Goby est là, contenue dans ce titre, dans la force qu'il dégage, dans le cri qu'il pousse. Je tourne la page de couverture : une photo. Charlotte Delbo éclate de rire. Peut-on (doit-on) encore éclater de rire quand on a été déportée ? de quand date cette photo ? D'avant sûrement… Je cherche, ne trouve pas.
A-t-elle pu rire après ?
Oui, nous explique Valentine (permettez-moi pour une fois d'utiliser les prénoms, je le sens mieux comme cela), Charlotte a ri après et c'est ce qui l'a rendue à la vie, cette capacité, par l'écriture, de se sortir de l'enfer, de mettre par les mots, à distance, l'horreur, l'indicible, l'absurdité, la folie.
Reprenons.
Valentine, pour préparer son roman Kinderzimmer rencontre Marie-José Chombart de Lauwe, ancienne déportée du camp de Ravensbrück. Elle l'interroge, veut entendre son témoignage. Marie-José sourit : « Avez-vous lu Charlotte Delbo ? » demande-t-elle à Valentine. Non, Valentine ne connaît pas cet auteur et va la découvrir, explorant petit à petit des textes éblouissants, puissants, des textes qui disent la soif, la faim, le froid, des textes qui parlent des sensations du corps. « Elle place le corps au centre, non la pensée ; la sensation pure et non la conscience de l'Histoire. C'est une expérience partagée qui est en jeu » analyse Valentine. Charlotte Delbo dit comme elle vit. « C'est une plongée directe dans le froid, la boue, les rituels absurdes qui malmènent le corps... », « elle ne veut pas faire savoir, elle veut donner à voir. Donner à voir, à sentir, à toucher, non inventorier des événements mais les incarner. »
Pour elle, « il n'y a pas d'indicible », Charlotte sera celle par qui les autres sauront, entreront « à Auschwitz par la puissance de la langue » et Valentine sera celle par qui les autres connaîtront cette femme, elle sera le lien entre elle et nous, de femme à femme, tissant une espèce de fil incassable et infini qui nous liera à jamais.
J'ai découvert la langue de Charlotte Delbo, elle m'a touchée au coeur.
« … la vie m'a été rendue
et je suis là devant la vie
comme devant une robe
qu'on ne peut plus mettre. »
Pourquoi, se demande Valentine, alors pourquoi n'est-elle pas plus connue, plus lue ?
La réponse n'est-elle pas contenue dans la magnifique photo de la deuxième page, dans ce sourire éclatant plein d'une insolente vitalité, dans les paroles d'une femme qui dit avec assurance que oui, elle est sortie de là-bas et qu'elle se « promet d'éclatantes revanches » ? Une femme dont la vie même à travers chaque éclat de rire a réduit à néant l'entreprise nazie et qui comme « un serpent regarde sa mue, sa peau morte délaissée, et retourne à la vie... » ?
Oui, je lirai les textes de Charlotte Delbo, oui, j'en parlerai à ma famille, à mes amis, à mes enfants, à mes élèves, oui, nous étudierons ses textes et nous les apprendrons, oui, Valentine, nous serons les liens, indéfectibles, grâce à vous.
Vous pouvez compter sur nous.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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«... m'est venu le désir de comprendre, au-delà de ma pure sensation de lecture et à travers ses mots à elle, son geste d'écriture. Sa nécessité profonde et sa genèse. Sa singularité dans le testament collectif des rescapés et témoins. Son choix de la littérature pour revenir d'entre les morts, des ces territoires où « la vie est bien plus terrifiante que la mort », elle qui a préféré la vie. »
Valentine Goby nous propose d' entrer à Auschwitz par la puissance de la langue, et nous donne à voir, à comprendre comment Charlotte Delbo, figure féminine de la Résistance et de la déportation et écrivaine, a quant à elle, tenté de quitter Auschwitz par l'écriture. Elle met des mots sur l'oeuvre de Charlotte Delbo avec beaucoup de pudeur, de tendresse, d'admiration et lui rend ainsi un très bel hommage. « Une rescapée et une femme, aussi, jusqu'à sa mort. »

La plume de Valentine Goby absorbe, défait la marque du temps sur le témoignage, [revient] au présent de l'expérience, à l'instant perdu qui nous fait peu, muscles, organes vivants. Dans Kinderzimmer, elle m'avait impressionnée par le réalisme saisissant de ces descriptions. Pas étonnant qu'une rencontre ait eu lieu entre ces deux femmes, fut elle à titre posthume.

J'ai beaucoup aimé le chapitre qui porte d'ailleurs un très joli titre « le corps est une langue » dans lequel Valentine Goby évoque notamment sa lecture de deux textes de Charlotte Delbo « La soif » et « Boire » faite à des adolescentes en lycée professionnelle. D'aucuns pensaient que ces lectures décourageraient ces jeunes filles de quinze ans, qu'elles n'y prêteraient aucune attention. Valentine Goby n'a pas reculé; il ne faut pas sous-estimer Charlotte Delbo.

« ... il n'y avait pas besoin de citer Auschwitz ou d'évoquer la guerre, ni même la biographie de Charlotte Delbo ; ce qui se jouait là dépassait la leçon d'histoire et de géographie. »

Ces jeunes filles ont été touchées par les mots, les images de Charlotte Delbo qui se sont superposées aux leurs et ont colonisé leur imagination... Un passage vibrant d'émotions qui m'accompagne encore quelques semaines après ma lecture. Merci Valentine, Merci Charlotte !

« J'aurais voulu lire encore, à la faveur de la pluie qui tombait dru dehors, partager ces images et sensations qui soulèvent la langue, rendent audible et palpable l'expérience du camp, sortent le lecteur de son habituelle sidération. La boue qui n'est pas boue mais « pieuvres [qui] nous étreignaient de leurs muscles visqueux ». le froid qui n'est pas froid fait les étoiles coupantes et « les poumons claquent dans le vent de glace. du linge sur une corde » ; on est un « squelette de froid avec le froid qui souffle dans tous ces gouffres que font les côtes à un squelette », les commissures des lèvres s'arrachent ....»

Pour ceux qui ne l'ont pas encore lu, je conseille vivement de découvrir Kinderzimmer, si le sujet vous tente bien entendu !
Et pour ma part, il y a de fortes chances que les écrits de Charlotte Delbo me tiennent vite compagnie. Je me suis également notée de lire La Traversée de la nuit de Geneviève Anthonioz-de Gaulle (la nièce du général) et de découvrir les écrits de Germaine Tillion.

« Cette tache noire au centre de l'Europe
cette tache rouge
cette tache de feu cette tache de suie
cette tache de sang cette tache de cendres [...] »
Charlotte Delbo, Une connaissance inutile

« ...une gare où ceux-là qui arrivent sont justement ceux-là qui partent [...]
la plus grande gare du monde »
Charlotte Delbo, Aucun de nous ne reviendra

« [...] l'aube était livideaux matins des mont-Valérienet maintenantcela s'appelle l'aurore [...] »
Charlotte Delbo, Mesure de nos jours

« [...] la vie m'a été rendueet je suis là devant la viecomme devant une robequ'on ne peut plus mettre. »
Charlotte Delbo, Mesure de nos jours
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Ou comment une auteure, quasi inconnue, est entrée dans la vie de Goby. D'abord pour les besoins de l'écriture, puisqu'elle l'a découvert en faisant les recherches pour Kinderzimmer.
Et peu à peu, elle est happée par cette écriture fragmentaire pour parler de cette expérience totale de mort et d'anéantissement de furent les camps. Et elle s'étonne aussi du peu de reconnaissance que connait Delbo et avance quelques explications : livres non disponibles en poche, refus de la posture de victime après la publication de la "trilogie" sur Auschwitz, non implication dans les différentes amicales de déportées... et ce malgré 2 biographies parues en 2013.
C'est un hommage, et presque une déclaration d'amour pour cette femme et son écriture charnelle, qui happe et qui est loin, bien loin du témoignage pour se rapprocher de l'exorcisme pour reprendre sa vie.
Pour avoir lu le premier tome de la "trilogie", c'est très différent de tout ce que j'avais pu lire, puis lu sur cette expérience. Et ce fut sans doute un des textes qui m'a le plus marqué, sur ce thème. Ça ressemble à de la poésie ou de la fiction, mais on sait que c'est vrai, et ça sert la gorge...
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Grâce à cette lecture, je comprends mieux les oeuvres de Valentine Goby. Mais on pourra lire chacun de ses livres sans passer par...
"Je me promets" est une sorte d'essai sur à la fois l'oeuvre de Charlotte Delbo, tombée dans un oubli, sa vie qui passe par les camps, le sens de l'oeuvre de Valentine Goby (et du coup je comprends mieux les livres lus précédemment) et l'analyse, la réflexion que Valentine Goby mène quant à la littérature, le langage et l'univers concentrationnaire, voire l'univers exterminatoire des camps ... et elle extrapole, oui les camps nazis, mais les camps en Corée, en Afrique, ou ailleurs, tout ce qui asservit, affaiblit, tue la femme, l'homme.
Valentine Goby nous rappelle à l'heure où elle écrit ce livre donc avant les créations, objets de manipulations médiatiques, de secrétariats d'Etat de ... égalité, droits, chance, etc... des barbouilles qui nous coûtent des blindes mais ne font que cacher le manque d'intelligence et d'incapacité à faire changer les lignes... bref, elle écrit ma Valentine tout l'oubli dont a bénéficié Charlotte Delbo. (il y a de l'ironie évidemment dans ma phrase).
Mais l'oubli est. Alors j'espère que grâce à l"oeuvre de Valentine et à cette chronique, Charlotte Delbo ne sera pas oubliée, car vraiment elle mérite plein plein de lectures de ses oeuvres, extraits, et qu'on stoppe l'idolatrie sur certains personnages politiquement corrects et que l'on entende tous, tous, ou chacun, sans distinction. Sauf, que sûr ca en fait du monde ! les sacrifiés, les oubliés, les résistants... ceux qui n'ont pas plié...
Bref un opuscule bourré de réflexions très percutantes et que nos dirigeants feraient bien de lire entre deux cocktails ou deux conseils de défense de rien.
Valentine réflechit sur le langage de l'indicible de l'univers des camps, sur l'indicible de la destruction du corps, dans les camps. Ce sont des pages extrêmement fortes.
Pour ma part, cela a été une belle lecture, belle car forte, dense, me renvoyant au sens d'une vie, à mes réflexions, d'autres lectures, pas quelque chose de passager.


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A jamais et pour toujours

Propos liminaires : l'arrivée de ce livre sur ma table a une histoire que je me dois de partager avec vous. L'Iconoclaste a organisé un concours pour faire profiter à un certain nombre de lecteurs d'une lecture en avant-première d'un des titres de leur rentrée littéraire. Seule condition : faire un retour à l'auteur sous quelque forme que ce soit de cette lecture. Et la possibilité d'être choisi par l'auteur pour le ou la rencontrer. Encore me fallait-il choisir un titre… j'hésitais entre « Neverland » de Timothée de Fombelle et ce « Je me promets d'éclatantes revanches » de Valentine Goby. Avec un fils d'une dizaine d'année et le plaisir d'avoir lu Tobie Lolness précédemment, le choix d'un livre sur l'enfance pouvait paraître plus logique ou plus simple. C'était sans compter sur le fait que ma chère et tendre épouse a croisé Valentine Goby lors de leur année de classe préparatoire Khâgne. Au dernier moment, j'optais donc, malgré le thème impressionnant du livre, malgré une certaine timidité si ce n'est une timidité certaine quand il s'agit de croiser un ou une auteur(e) dans la vraie vie et malgré la pression que mettrait indubitablement ce passé-croisé sur mon billet, pour le livre de Valentine Goby. Je voudrais remercier tous ces « malgré » qui m'ont fait choisir « Je me promets d'éclatantes revanches ».

Parce qu'on ne ressort pas indemne de sa lecture. Parce qu'on y entre le coeur serré et qu'on en sort le coeur alourdi de tant de choses, mais toutes créant un bagage supplémentaire d'amours.

Je pourrais vous dire que Valentine Goby a croisé la route de Charlotte Delbo, « amoureuse, déportée, résistante et poète » il y a quelques années et qu'elle ne s'en est jamais vraiment remise.
Je pourrais vous dire que Valentine Goby s'est livrée corps et âme à un double challenge : plaire et faire plaire, ambassadrice de sa propre écriture et de celle de Charlotte Delbo.
Je pourrais vous dire que Valentine Goby dresse le portrait d'une femme libre malgré son expérience des camps, notamment celui d'Auschwitz.
Je pourrais vous dire que Valentine Goby, à travers cette figure de la littérature, à travers cette voie particulière, dresse le portrait de la littérature elle-même : elle interroge la littérature dans ce qu'elle a de plus primordial… Pourquoi écrire ? Pour quoi écrire ? Pour qui écrire ? Comment écrire ?
Je pourrais vous décortiquer le livre de Valentine Goby pour analyser les propres réponses qu'elle donne à travers l'oeuvre, restreinte, de Charlotte Delbo.
Je pourrais vous dire ce que Valentine Goby montre de l'oeuvre de Charlotte Delbo, ce qu'elle y puise et comment elle y étanche sa soif de littérature.
Je pourrais retranscrire les six pages de notes de mon petit carnet, prises au fur et à mesure de ma lecture, surtout au début… avant de lâcher prise et de me laisser porter par le récit de cette double vie.
Je pourrais vous dire que Valentine Goby remporte haut la main son pari et qu'elle le perd aussi un peu en même temps. Elle gagne le coeur des gens et offre une troisième vie à Charlotte Delbo, après celle des camps et celle d'après mais qu'en nous l'offrant, elle s'en prive et qu'en nous l'offrant comme elle le fait dans ces lignes, elle donne aussi bien envie de découvrir mieux Charlotte Delbo que plus sa propre plume.
Je pourrais vous dire que Valentine Goby crie son amour de la littérature à travers ce livre : ce qu'elle lui a apporté en tant que lectrice et en tant qu'écrivaine.
Je pourrais vous dire que Valentine Goby est une parfaite transmetteuse, devenant elle-même amoureuse, déportée, résistante et poète : amoureuse transie de Charlotte Delbo et de la littérature, déportée par ce que lui a procuré Charlotte Delbo à travers son langage, résistante contre les préjugés et pour l'idée que la littérature peut toucher n'importe qui n'importe où n'importe comment, poète par l'entremise de son propre langage, de son propre style.
Je pourrais vous dire les réflexions de Valentine et de Charlotte sur les blancs de l'écriture qui ne sont pas sans rappeler « le silence [qui] fait partie de la musique commandant un tempo singulier. La toile [qui] par endroits laissée vierge s'intègre au tableau en une vibration particulière. » et n'est pas sans faire penser aux blancs entre les cases d'une bande dessinée qui contiennent tout ce que l'auteur laisse comme espace de liberté au lecteur tout en y mettant tout ce qui n'apparaît pas dans les dessins.
Je pourrais vous dire que la littérature est un miroir aux mille reflets : ceux de l'âme y côtoient ceux de l'être, de soi, de l'autre, des sentiments, des actes… et que le travail de l'auteur ne réside que dans sa capacité à les refléter dans son propre langage, dans sa propre lumière.
Je pourrais vous dire les rapports que tissait Charlotte Deblo entre ce qu'elle a vécu à Auschwitz et les ignominies passées et futures (par rapport à ce temps zéro de l'holocauste) aussi bien qu'avec les moments de bonheurs passés et futurs.
Je pourrais vous dire que ce livre est une mise en abyme de l'Auteur, de son Oeuvre.
Je pourrais vous dire que les revanches de Charlotte Delbo sont portées par Valentine Goby avec un panache et une classe incomparables.

Je pourrais vous dire tout cela…

Je devrais plutôt et surtout vous dire que de la nécessité d'écrire de certains, au premier rang desquels Charlotte Delbo et Valentine Goby, naît la nécessité de lire des autres. Et qu'il faut donc s'intéresser à Charlotte Delbo avant tout et à Valentine Goby ensuite pour ce qu'elles arrivent toutes les deux à toucher chez le lecteur d'humain, d'universel, de compassionnel, de liberté, bref de valeurs qui semblent parfois mises aux oubliettes de notre cerveau et de notre coeur.

Liens :
• Radioscopie Charlotte Delbo de Jacques Chancel 1/3, 2/3 et 3/3
• Emission Une vie, une oeuvre de France Culture du 21/12/2013
• Extrait de la pièce « Qui rapportera ces paroles ? » par la Compagnie La Pierre Blanche

Lien : http://wp.me/p2X8E2-Q5
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Ce livre est une immersion dans l'oeuvre de Charlotte Delbo, résistante, déportée, poète. Un livre très intime sur la rencontre de Valentine Goby avec cette femme à travers ses écrits. Vous l'aurez compris il ne s'agit pas d'un roman et ce n'est pas une lecture facile de bord de piscine. Ce n'est pas non plus un simple livre sur la déportation mais plutôt une réflexion sur la création littéraire. Une lecture très enrichissante et finalement lumineuse comme Charlotte Delbo qui avait la vie chevillée au corps.
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Lorsque Valentine Goby envisage l'écriture de Kinderzimmer lié à la pouponnière de Ravensbrück, elle rencontre Marie-Josée Chombart de Lauwe qui lui parle de Charlotte Delbo et son écriture.

Valentine Goby découvre cette femme, son histoire, son écriture et lui rend un vibrant hommage.

Charlotte Delbo est née en 1913 à Paris. Elle épousera Georges Dubach, militant communiste. Elle sera résistante durant la guerre, également la secrétaire de Louis Jouvet. Son mari Georges a été fusillé en 1943.

Elle n'est pas juive et le 24 janvier 43, elle fera partie d'un convoi de 230 femmes françaises non juives qui arrivera à Auschwitz. Elles sont déportées politiques.

Pourquoi Auschwitz ? Début 44 avec huit des 230 françaises, elle sera transférée à Ravensbrück.

"le degré inférieur dans le pire ce serait supportable en comparaison de Birkenau"

Elle nous en parlera par l'écriture car elle quittera les camps et la nécessité d'écrire sera le fondement de son existence, son appétit de vivre.

Son écriture nous donne plus que des images de l'horreur, elle nous fait vivre des sensations. Elle saisit les corps. Ce témoignage est essentiel. Pire que la mort existe l'oubli, il est donc essentiel pour elle d'écrire.

Elle utilise des blancs dans l'écriture comme le miroir de la neige. Difficile au départ, impossible de nommer ce qu'elle voyait, impossible de nommer ce que voyait leurs yeux.

"Elles ont peu à peu appris à nommer les choses, à parler la langue du camp. ... le douloureux paradoxe, déplore Charlotte Delbo, est que tout effort pour trouver un langage propre à dire Auschwitz contient sa ruine : parler d'Auschwitz, c'est presque démentir l'expérience qu'on rapporte, puisque dans les conditions que les déportés relatent, écrit-elle, détournant un vers d'Apollinaire "aucun de nous n'aurait dû revenir". Braver l'obstacle de la langue, c'est être aussitôt suspecté de tronquer le réel ..."

L'image de la soif est insoutenable. Des mots simples qui évoquent beaucoup : le printemps signifie la poussière sèche après la boue et la pluie.

Charlotte Delbo éprouve la nécessité d'écrire, c'est le fondement de son existence, elle a un appétit de vivre, la capacité de sortir de cette horreur par l'écriture, de mettre des mots sur l'indicible. La crainte de l'oubli, une difficulté de trouver ses oeuvres en poche.

Un récit troublant, à lire.. Une écriture fragmentaire. Des mots magnifiques.

Ma note : 9.5/10
Lien : https://nathavh49.blogspot.b..
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Le sous-titre est éclairant: une lecture intime de Charlotte Delbo.
Valentine Goby veut écrire Kinderzimmer et rencontre alors une très vieille dame, résistante et déportée à Ravensbrück:
Marie-José Chombart de Lauwe (étudiée au cours de mes études de philo, sans connaître son passé sinon j'aurais aimé l'interroger sur ce camp où est morte une grand tante dont la mort est restée un peu mystérieuse pour la petite fille que j'étais: on nous avait rapporté ses lunettes et lors de la cérémonie, j'ai vécu ma première minute de silence).
Cette dame dit à Valentine:'Charlotte Delbo aussi est revenue d'entre les morts, et de plus loin encore: d'Auschwitz- Birkenau"
Comme Valentine Goby, j'ai ouvert (écouté, en réalité) AUCUN DE NOUS NE REVIENDRA. On a longtemps dit qu'on ne pouvait écrire sur la Shoa mais C.Delbo lutte contre l'impuissance de la langue: il n'y a pas d'indicible, elle le clame de poème en poème, pliant la langue à son projet sans en nier la folie.
En 2013, une biographie est parue pour le centenaire de sa naissance et la femme et l'oeuvre sont sorties de l'ombre . On a rediffusé la radioscopie de Jacques Chancel, de 1974.
CD a une singularité par rapport aux autres récits des rescapés et témoins: elle a fait le choix de la littérature.
Elle écrit LE CONVOI DU 24 JANVIER (1943): 230 notices biographiques des femmes déportées en même temps qu'elle. 49 rescapées.
La trilogie AUSCHWITZ ET APRèS ne sera publiée qu'en 1970. C'est écrit en fragment, Delbo nomme rarement le camp mais utilise des périphrases et des images. C'est "l'in-nommé", la plus grande gare d'Europe.
Auschwitz, c'est l'autre nom des limbes. C'est nulle part. C'est partout. Ce n'est pas un espace réservé. Et en conséquence, aussi, ça n'est plus défendu.
Auschwitz est moins son sujet que l'endroit depuis lequel elle écrit, un ancrage qui dicte une lecture singulière du monde: elle débusque les barbaries. L'adieu des femmes aux hommes fusillés au Mont-Valérien (son mari est parmi eux, elle restera inconsolable) se prolonge dans le deuil des veuves d'un village grec sous le régime des colonels. Pinochet, Franco, le goulag...c'est la même misère, l'inexorable cruauté de l'homme sur l'homme.
Charlotte Delbo n'est pas juive...peu de différences matérielles mais les juives savent l'impossibilité d'échapper à la mort.
Début 44, CD est transférée avec 8 des 230 déportées françaises de Birkenau, à Ravensbrück qui était la destination logique des femmes ni juives ni tziganes.C'est la même épouvante, le même catalogue de la vie concentrationnaire: cadavres, appel atroce, coups, froid, chiens, faim et surtout soif. Curieusement, C.D. n'évoque pas le gaz qui atteindra Ravensbrück en 45.
Dans l'oeuvre de Delbo, Valentine se retrouve avec comme elle la littérature chevillée au corps; ce livre lance un cri d'amour à la littérature: celle qui change la vie, qui console, qui sauve...VG écrit "Depuis l'enfance, la littérature ne m'est jamais apparue comme un divertissement, une chance de métamorphoses, de projection dans des formes et des voix étrangères...tous mes voyages littéraires ont été intérieurs...La littérature n'a eu d'autre mission que sonder mes cavernes, allumer des torches.Lire a été non une quête d'exotisme mais une entreprise d'excavation: la révélation de ce qui me relie intimement au monde; me coule dans sa respiration; me fait une semblable.
L'obstacle majeur pour dire Auschwitz, c'est la langue. , la lCette difficulté , C.D. la confie au lecteur: la langue n'est pas ajustable à toute réalité: les femmes ont eu du mal à parler la langue du camp mais au retour, personne ne la comprend. Il faut que le témoin devienne écrivain: Antelme, Kertész, Semprun ...in croyable capacité de la langue à se renouveler, à révéler les mondes invisibles, à faire entendre les voix muettes.
Malgré la célébration du centenaire de sa naissance, la voix de C.D. a trop peu d'écho. (rien en format poche.) mais les français Robert Antelme, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillion, l'italien Primo Levi, l'allemande GreteBuber-Neumann, le franco-espagnol Jorge Semprun, l'israëlien Appelfeld ont été loués sans attendre une édition de poche...Imre Kertész, le hongrois, a eu le Nobel en 2002.
C'est peut-être avance VG son projet littéraire qui a tenu en retrait C.D.: l'idée que d'Auschwitz, on peut revenir; se délivrer, par la grâce de l'écriture." Peut-être que, en l'écrivant, je le projette hors de moi'
Les déportées voulaient échapper à l'oubli, ne pas être mortes à L Histoire. Elles comptent sur Charlotte: il faut faire éclater la vérité. 'Au camp, pareille mission arme la volonté de vivre. Mais au retour, la tentation est forte de céder au silence..." Elle fut longue à tenir, la promesse faite là-bas mais ses écrits trouvent difficilement un éditeur. Son exigence littéraire n'est pas comprise.
VG nous fait découvrir CD avec amour, cette femme exceptionnelle, veuve mais toujours amoureuse de Georges fusillé, rescapée, désenchantée du communisme...ses revanches éclatantes, sa foi en l'écriture.
VG termine en disant qu'elle voudrait par ce livre susciter, par contagion irrésistible, le désir de connaître Charlotte Delbo, et de l'aimer.
C'est gagné en ce qui me concerne! (d'où la longueur de mon propos et les citations incluses et non à part)
Lien : http://cafelitterairedelambe..
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Quand la romancière, Valentine Goby, relit l'oeuvre et la vie de son aînée, Charlotte Delbo, le lecteur est entrainé dans un exercice de double admiration et de regards croisés sur le processus de l'écriture et la vitalité que Delbo a déployé pour, non pas survivre, mais exister pleinement après son enfermement à Auschwitz.
Au fur et à mesure de son enquête et de ses recherches, Goby nous fait découvrir le contexte historique et s'essaye à décoder la psyché de son héroïne à travers ses écrits.
La démarche force le respect tant le propos est inspiré et vibrant. L'écriture, pure et lumineuse, s'accorde à merveille à son objet. J'aurais néanmoins préféré que l'auteur s'efface un peu pour laisser plus de place à son sujet.
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Je découvre avec ce texte Mme Charlotte Delbo, une femme engagée, déportée à Auschwitz puis Buchenwald. Son décès d'un cancer des poumons.

J'ai aimé l'analyse de Valentine Goby sur l'écriture de Charlotte : non pas pour dire l'expérience des camps, mais comme un hymne à la vie. Une écriture poétique qui dit la faim, fait sentir la soif.

Lecteurs, nous savons tout ce que nous apporte un texte littéraire fort ; l'auteure nous éclaire ici sur ce qu'apporte l'écriture en elle-même.

Un texte fort, à part, un livre-hérisson. Une merveille de cette rentrée littéraire.

Quelques citations :

« Lire a été non une quête d'exotisme mais une entreprise d'excavation : la révélation de ce qui me relie intimement au monde ; me coule dans sa respiration ; me fait une semblable. » (p.41)

« Je savais que j'oublierais puisque c'est oublier que continuer à respirer. » (p.64)

« Là-bas, j'ai été sûre qu'une langue n'est pas ajustable à toute réalité. » (p.78)

« je suis Charlotte Delbo, je suis vivante et j'aime ça. » (p.110)

A propos des camps : « On ne revient pas meilleur. On n'est augmenté que d'effroi. La déportation est une perte sèche. » (p.158)
Lien : http://alexmotamots.fr/je-me..
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