« Quand on craque une allumette, la première nanoseconde, elle s'enflamme avec une puissance qu'elle ne retrouvera jamais. L'incandescence originelle. Un éclat instantané, fulgurant. En 1980, j'ai été l'allumette. Cette année-là, je me suis embrasé pour n'être plus qu'une flamme aveuglante ». Ainsi débute «
La Chute des princes » de
Robert Goolrick, un livre dans lequel cet ex golden-boy nous plonge dans l'univers des jeunes loups de Wall Street qui, dans les années 80, vendaient leur âme au dollar. Un monde de démesure dans lequel beaucoup se sont brûlés les ailes.
Rooney se souvient des flamboyantes années 80, époque à laquelle il était golden boy à New York. C'était il y a vingt-cinq ans. Issu d'un milieu modeste, il avait alors obtenu un poste mirobolant en jouant au poker contre le président d'une firme de Wall Street. L'argent est la clé qui ouvre toutes les portes et il est propulsé dans des sphères auxquelles il n'aurait jamais espéré appartenir. Son objectif de l'époque ? Prendre sa retraite à quarante ans avec quarante millions de dollars de portefeuille.
Il évolue alors dans un monde où les traders se prennent pour les rois du monde, ivres de pouvoir et d'argent. Ils sont obsédés par les apparences, la flambe, les fringues, les femmes, les bagnoles, les appartements à Soho, le culte de la réussite est aussi celui de l'indécence. La journée, c'est l'effervescence des salles des marchés et les bonus faramineux. La nuit tous les excès, alcool, drogue et sexe. Riche, ambitieux, odieux, Rooney sombre dans l'alcoolisme et la toxicomanie. Il est pris dans un tourbillon autodestructeur vertigineux… jusqu'aux enfers.
Du jour au lendemain, Rooney fait face à l'échec, ce qui fait de lui désormais un pestiféré. Quitté le jour de son licenciement par sa femme qui refuse de déchoir avec lui, rejeté de tous, sa ruine marque la perte des illusions.
Dans un style efficace, sans fioritures, le narrateur nous raconte comment il est devenu trader, subitement très riche et comment il a, tout aussi subitement, tout perdu. C'est forcément passionnant !
L'auteur retranscrit avec brio la fébrilité d'une époque, son extraordinaire arrogance. Il dresse le portrait de ces golden boys emportés par la fièvre de l'argent dans une hystérie collective au paroxysme avant le krach boursier de 1987.
D'excès en fulgurances, le récit fait des aller-retours entre présent et passé dont il ne reste au narrateur que des souvenirs hallucinés : fiestas, coke, alcool, sexe et frénésie dépensière. C'est la spirale dans laquelle s'engouffre ces jeunes traders du New York des années 1980. Jusqu'à ce que les rattrape le sida, l'overdose ou la dépression.
Cette descente aux enfers n'est pas sans rappeler l'iconique « Bûcher des vanités » de
Tom Wolfe, ou encore l'oeuvre de
Bret Easton Ellis qui stigmatise la décadence d'une certaine Amérique. Mais la pureté du style de
Robert Goolrick et cette chronique d'une génération flouée et perdue en font plutôt l'héritier d'un Scott Fitzgerald. Il est d'ailleurs à noter que «
La Chute des princes » a été lauréat du Prix Fitzgerald 2015.
On ne connaîtra d'ailleurs jamais la véritable identité de cet anti-héros. Son vrai prénom n'est jamais prononcé et nous ne le connaissons qu'à travers les différents surnoms que lui donne son entourage, son cercle d'amis et de conquêtes, mais c'est bien assez pour cerner ce personnage rêveur et ambitieux, entraîné dans le tourbillon d'une vie guidée par l'argent, le sexe et la drogue.
On ressent d'ailleurs le vécu personnel de l'auteur qui a connu ces années de travail acharné et de fêtes furieuses, d'excès de drogue et d'alcool. On y voit parfois une accumulation de clichés sauf que la réalité à ici dépassé la fiction.
Robert Goolrick a pris soin de raconter l'histoire de manière très factuelle, sans jugement, ni considération morale. C'est ce qui le rend si terrifiant : un peu comme dans une spirale infernale, il n'y a guère moyen d'échapper à cette existence. En devenant trader, il faut se plier aux règles non écrites de ce monde de la finance : se tuer au travail pour gagner de plus en plus d'argent et ensuite se tuer dans les compensations pour dépenser de plus en plus d'argent. le capitalisme dans tous ses excès !
Un roman référence sur l'argent et la décadence. On prend un réel plaisir à suivre ces jeunes hommes poussés à l'extrême dans une vie idéalisée… On y découvre d'abord la fulgurance de leur ascension et de leurs excès dans ces années 80 où tout paraît possible, puis cette chute brutale pour s'abîmer dans les regrets et les remords. Maîtrisé de bout en bout, le récit transpire le vécu et la mélancolie du rêve américain brisé. En refermant ce livre, on se dit qu'il tient avant tout du cauchemar.
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