J'ai découvert
Nadine Gordimer il y a bien longtemps, grâce à un article dans
Courrier International, je crois, et j'ai aimé chacun des romans que j'ai lus d'elle, même s'ils sont encore peu nombreux. Cette fois, je découvre ses nouvelles. Les trois ou quatre premières sont très dures, beaucoup plus dures que ce à quoi je m'attendais de la part de cette autrice, elles me sont restées sur l'estomac au sens propre du terme. J'ai vraiment eu du mal à les digérer, mais elles disent ce qu'elles ont à dire, et elles le disent avec une force qui n'épargne pas le lecteur, un peu qui si la réalité nous sautait à la gorge, sans le filtre habituel et rassurant que les pages de papier mettent entre le lecteur confortablement installé dans son nid douillet et la sombre vérité de ce que l'auteur décrit.
Si les nouvelles suivantes ont été plus faciles à lire, c'est un patchwork désespéré que
Nadine Gordimer tisse avec les nouvelles de ce livre. L'image qui apparaît peu à peu n'est pas seulement celle d'un pays divisé, et ce malgré la fin de l'apartheid, c'est celle d'un pays où l'on ne se comprend pas. Les Blancs ne comprennent pas les Noirs, les Noirs ne comprennent pas les Blancs, les nouveaux migrants ne comprennent pas le pays, le pays ne comprend pas ces nouveaux arrivants, les pauvres et les riches ne se comprennent pas, et ce au-delà de la question de la couleur. Non, personne ne comprend l'autre, d'où il vient, les stigmates qu'il porte, les blessures non refermées, l'irrationalité apparente de ses réactions. Même au sein d'un couple, l'incompréhension règne, alors qu'attendre au sein d'un peuple.
Je n'aime pas trop la photo de la couverture de mon édition, avec le sourire factice de ces deux mannequins, mais peut-être que c'est une bonne représentation de l'Afrique du Sud post-apartheid, des personnes ni toutes blanches ni toutes noires (probablement autant physiquement qu'intérieurement), avec un sourire de façade, mais un profond désarroi en-dedans. Voilà donc un très bon opus de cette grande autrice d'Afrique du Sud, qui a vu son pays évoluer, sortir de ce régime que l'on croyait porteur de tous les maux, mais dont la disparition n'a finalement pas résolu grand-chose. Nadime Gordimer a été au chevet de son pays gangrené par l'apartheid, puis elle a contemplé les espoirs d'une nation réunifiée s'effilocher peu à peu à l'épreuve du quotidien. Ce livre est poignant, il témoigne des désillusions de l'après d'un combat homérique enfin gagné. Il fait mal au coeur et à l'âme. Il n'apporte pas de solution, il ne juge pas, il constate et l'on constate avec lui, et l'on pense à ce titre d'
Alan Paton, [
Pleure, ô pays bien-aimé] car l'apartheid est du passé, mais l'Afrique du Sud n'a pas fini de pleurer.