Chose promise, chose due, j'avance dans la série et attaque aujourd'hui la chronique du deuxième album de la collection : La Serpe d'Or. Ce second album, prépublié en 1960 et sorti en 1962, montre de belles avancées par rapport au premier album, dont les maladresses « de débutant » ont été pratiquement toutes corrigées.
Les incontournables énumérés dans ma précédente critique se confirment : citations latines et jeux de mots parsèment la narration et les dialogues ; une mission confiée à Astérix constitue le moteur de l'action (et cette fois-ci, Obélix est bien de la partie) ; un banquet final clôture l'aventure (et cette fois-ci, Assurancetourix, pieds et poings liés, ne peut participer à la fête finale et commence son long calvaire de barde ostracisé et lynché par les villageois, de tels événements de nos jours donneraient lieu au minimum à la mise en place d'un numéro vert et à une polémique sur les réseaux sociaux.
Cet album déroule une intrigue digne d'un roman policier, sur fond de trafic de serpes. Promus enquêteurs, Astérix et Obélix, en partant de Lentix le lampiste, remontent à son chef Avoranfix, le patron d'un établissement un peu louche (où l'on peut se fournir en serpes de contrebande et dont toute la clientèle fuit à l'arrivée des Romains), puis toute la filière jusqu'au chef des trafiquants, personnage haut placé dans la hiérarchie romaine. Bagarres, courses poursuites, lieu de ralliement et entrepôts secrets complètent cette ambiance de polar.
Côté graphique, des progrès ont été réalisés. Les personnages n'ont pas encore trouvé leur physionomie définitive, mais on s'en approche. Les plans très étudiés adoptent des prises de vue cinématographiques, caractéristiques du style
Uderzo : plongée (vue initiale du village, planche 1a) et contre-plongée (foule lutécienne, planche 7a), nombreuses associations plan-large, arrière-plan et avant-plan (construction de l'aqueduc planche 6a ; arrivée à Lutèce planche 6b, etc.).
Il subsiste néanmoins des indices qui trahissent encore l'absence de maturité de cet album, par exemple la taille disproportionnée d'Astérix par rapport à celle d'Obélix, tous deux représentés devant Lutèce sur la couverture. Cette anomalie sera corrigée sur les éditions récentes Hachette à partir de 2010 (en reprenant la couverture publiée dans « La Grande Collection » de 2006). La comparaison des deux couvertures est à ce titre édifiante.
Une nouveauté dans cet album qui mérite d'être signalée : l'apparition de caricatures en référence à des personnages, réels ou non, externes à l'histoire. Dans le premier album, rien de tel, si ce n'est une vague ressemblance entre Jules César et son modèle réel. Dans ce deuxième album apparaissent deux acteurs de cinéma : Raimu (dans le rôle du tenancier de l'auberge « Au soleil de Massalia » à Lutèce, et que l'on retrouvera plus tard… à Massalia, dans le Tour de Gaule, tenant le rôle de César Labeldecadix, patron de l'Auberge « La Taverne des Nautes ») et
Charles Laughton (dans le rôle du préfet de Lutèce Gracchus Pleindastus, blasé et vraiment très las de sa personne), célèbre pour avoir joué dans quelques péplums tels que Spartacus ou le Signe de la croix).
Les jeux de mots et allusions gagnent en finesse : « XXII ! Les Romains !!! » ; « les serpes qui viennent d'Amérix sont les meilleures, c'est bien connu » ; l'auberge du « Barbare repenti » évoque la lutte contre la maffia et la corruption, thème sous-jacent de l'album.
La satire de notre monde moderne transposé dans la Gaule antique est omniprésente : « les constructions modernes des romains qui gâchent le paysage », « l'air vicié » dans les rues de Lutèce, la pollution de la Seine « avec toutes les saletés que les gens jettent dans le fleuve, les « amphorisages » sur la voie romaine avec le panneau « Ralentissez, esclaves au travail » ; le « sanglier hors de prix à Lutèce » et « les prix qui vont encore monter (pauvre Gaule) ! » ; le programme pour touristes étrangers « Les nuits de Lutèce » vendu dans un établissement ressemblant au célèbre Moulin Rouge…
Un dernier fil rouge, déjà évoqué dans ma précédente chronique publiée sur le premier album Astérix le Gaulois, consiste à étudier l'absence ou la présence de personnages féminins qui comptent vraiment dans le récit. On sait que les femmes ont été totalement absentes du précédent album, elles commencent ici à devenir une minorité visible, mais dans des rôles de figurantes. J'en ai dénombré une douzaine maxi sur les doigts de mes deux mains. Trois villageoises sont mises en situation dès la première image (panoramique) qui représente le village : une mère de famille grondant son enfant, une femme, avec ce qui semble être un rouleau de pâtisserie ou un bâton à la main, cherchant son fainéant de mari en train de se reposer sur la toiture de sa maison, une jeune fille porteuse d'eau se faisant conter fleurette près du puits (planche 1a). Qui a dit stéréotype ? Viennent ensuite : une femme portant un panier sur la tête dans la foule de Lutèce (planche 7a), deux autres femmes portant une amphore et un panier, toujours dans la foule de Lutèce (planche 10b), la jolie préposée au vestiaire de la boîte de nuit d'Avoranfix (planches 11b, 12a et 12b), une femme dans un char à boeufs sur la Voie Romaine VII (planche 19), une marchande de salade romaine et sa cliente sur un marché de Lutèce (planche 33), la femme du boucher sur ce même marché (planche 34), une jeune fille – non identifiée – à la porte du village au retour de nos deux héros, s'interrogeant sur la mode vestimentaire à Lutèce (planche 49, 4e image en partant de la fin). Soit une douzaine de figurantes au total, dont 5 prennent la parole. Ceci constitue un record absolu pour l'époque, car ce score va dramatiquement chuter dès l'album suivant Astérix et les Goths.
Enfin, décernons une mention spéciale pour le pauvre Amérix, cousin d'Obélix, « celui qui a réussi dans la famille », la même tête qu'Obélix sur un corps tout maigrichon, orfèvre et fabricant de serpes en or massif et qui n'apparaîtra plus jamais dans les albums suivants, malgré les très nombreux déplacements de nos héros à Lutèce. Qu'est devenu Amérix ? « J'abandonne sur mon chemin, tant de choses que j'aimais bien » chantait
Joe Dassin « Mais l'Amérix, l'Amérix, je veux l'avoir, et je l'aurai… » Peut-être un jour dans un futur album ?
Ma conclusion : de gros progrès par rapport au précédent album, mais La Serpe d'or est encore bien loin de l'âge d'or ! « Dum spiro, spero* » (*Tant que je respire, j'espère) comme disait
Cicéron…