Tu comprendras quand tu seras plus grande

La vie est une histoire drôle. Sinon, qu’est-ce qui pourrait bien expliquer cette chute si absurde ? Ce n’est pas pour rien si l’acronyme de « maison de retraite » est MDR …

— Si vous étiez ma petite-fille, je vous dirais que la peur est un sentiment nécessaire, qui peut nous sauver de certains dangers. Mais elle peut aussi paralyser ceux qui lui laissent trop de place. Je ne sais pas ce qui vous est arrivé, Julia, mais vous balisez votre chemin de petits cailloux de peur. Si vous étiez ma petite-fille, je vous dirais que vous devez apprivoiser cette peur. Elle doit vous servir de carburant, pas de frein. Qu'est-ce qui vous fait le plus peur ?

Ses paroles me troublent. On dirait qu'elle s'est promenée dans mon cerveau, elle m'a cernée avec une exactitude impressionnante.

— Je ne sais pas. J'ai peur de souffrir, je crois. J'ai l'impression que je suis toujours sur le qui-vive, comme si je m'attendais à ce qu'un drame me tombe dessus. Ça fait tellement mal quand tout bascule, comme ça, sans prévenir. C'est comme si mon subconscient essayait de s'y préparer en restant en alerte.
— Parce que vous ne vous faites pas confiance. Votre plus grande peur, c'est vous. Si vous étiez ma petite-fille je vous dirais que, si vous vous débarrassez de cette peur de vous-même, vous n'aurez plus peur de personne. Personne ne vous fera plus souffrir si vous croyez en vous.

Chacun de ses mots me fait l'effet d'un pansement qu'on arrache. Ça fait mal, mais sous le sparadrap la plaie à commencer à cicatriser. Louise connaît mon mode d'emploi mieux que moi-même.

— J'ai oublié quarante ans de ma vie, poursuit-elle. Cela m'a appris une chose primordiale, sans doute le secret du bonheur : la vie, c'est le présent. C'est ici et maintenant. D'hier, il ne faut garder que le positif. De demain, il ne faut rien attendre. On ne peut pas changer le passé, on ne peut pas connaître l'avenir. [...]
La peur découle du passé et abîme le futur.
[...] C'est souvent à la fin de notre vie que nous mesurons la valeur du présent.

P. 386-387

Le chagrin rapproche ceux qui le partagent. Ça tombe bien, parce qu'il est moins lourd à porter à deux.

P. 324

Je vis avec des personnes qui ont trois fois mon âge. Des drames, elles en ont vécu. Comme moi, elles ont cru ne pas se relever, elles ont pensé ne pas être assez fortes. Elles sont peut-être en mille morceaux à l'intérieur, elles ont sans doute des blessures tellement profondes qu'elles ne peuvent cicatriser, mais elles sourient, elles rient, elles vivent. Pire, elles sont heureuses. De ces expériences douloureuses, elles ont tiré une force : celle de voir l'essentiel ! Auprès d'elles, j'apprends la résilience.

Je n'ai jamais autant apprécié les petits détails que depuis que je sais que tout vas s'arrêter. Maintenant je connais leur valeur. Je crois de plus en plus que le bonheur est fait de petits bouts ramassés sur son chemin.

P. 323

— La vérité. Depuis l'enfance on nous bassine avec l'amour idéal, qui ne connaît aucune crise et résiste à tout. Le cœur qui bat la chamade, les papillons dans le ventre, les frissons, la passion... L'avocat avait du retard. Dans la salle d'attente, j'ai discuté avec ma sœur. "Qu'est-ce que tu crois ? m'a-t-elle dit. Tu crois que j'ai des frissons à chaque fois que Jean m'approche ? Tu penses vraiment que je n'ai pas parfois envie de lui crier dessus, de faire ma valise, de ne plus le voir ? Tu crois que l'amour est un roman Harlequin ? "

P. 295

Chez nous, l'amour il se cache dans les petits détails. Dans une couverture qu'on relève sur celui qui dort, dans un film qu'on a envie de voir, mais qu'on préfère attendre de regarder ensemble, dans un sourire alors qu'on est à deux doigts de pleurer, dans la dernière part de gâteau au chocolat qu'on laisse à l'autre, dans une tête posée sur son épaule, dans un rire à une blague pas drôle, dans le papier cadeau qu'on garde parce qu'elle a écrit "Pour ma petite chérie" dessus.

P. 277

Dans ma mémoire, il existe un casier "papa" que j'ouvre — avec parcimonie — pour l'entretenir, pour le faire vivre encore. Mais les dossiers qui s'y trouvent sont fragiles. Avec le temps, ils s'usent, ils se délitent. La mémoire est un dessin au crayon à papier. Sans les vidéos, je ne serais plus sûre du son de sa voix. Sans les photos, j'aurais des doutes sur son regard. On devrait pouvoir transférer nos souvenirs sur une clé USB.
P. 159

Il fait quoi d'ailleurs, au juste ? Il n'a jamais fait ce truc auparavant, c'est limite irritant. Il a dû abuser des films X pendant notre séparation, je ne vois pas d'autre explication au fait qu'il soit en train d'astiquer mon clitoris comme s'il avait trouvé une tâche. Eh oh, Aladin ! Arrête de frotter, aucun génie ne sortira d'ici !

P. 143

— Tu veux monter ?
Je n'hésite pas longtemps. Parce qu'il est hors de question que je me sois presque demis la hanche en m'épilant le maillot pour rien, parce que faire l'amour avec lui sera un bon moyen de nous réunir et parce que j'en ai envie. Presque trois mois d'abstinence, si ça continue je vais détrôner Mère Teresa.

P. 142

Élisabeth prend une longue inspiration et regarde Pierre.
— J'ai peur, c'est vrai. Mais j'espère quand même partir avant mon époux. En cinquante-neuf ans, nous n'avons pas été séparés plus d'une journée. Pas une seule fois ! Il m'a accompagné tout au long de ma vie, il a été toujours là, dans lez gestes du quotidien, dans les grands bonheurs, dans les drames. J'espère que ce que l'on dit est vrai : qu'il existe vraiment un ailleurs où nous nous retrouverons.

P.125