Sonnet
À M. L. Ulback.
Vous m'avez dit un jour : Jeune fille poëte,
Ne chantez point votre âme et cachez votre cœur ;
La femme, parmi nous, doit demeurer muette,
Renier ses amours et garder sa douleur.
Et moi je vous réponds : Dites à la tempête,
Aux grands vents, aux grands flots d'étouffer leur fureur ;
Faites taire au vallon l'écho fort qui répète
Ou le cri de souffrance ou le cri du bonheur ;
Dites au rossignol, sous la grande ramée,
Que son accent fait peine à votre âme alarmée...
Qu'il se taise toujours... Défendez au reclus
D'invoquer l'espérance et la liberté sainte ;
Faites taire tout bruit, tout chant et toute plainte :
Quand tout sera muet, je ne chanterai plus.
Moi mener triste vie
Les jours;
Moi chercher une amie
Toujours.
Moi planter doux ombrage,
Et croire lui parler;
Sur le bord du rivage
Sans cesse l'appeler.
Croire qu'elle vient belle,
L'attendre chaque soir;
Dire: ce n'est pas elle!
Et moi perdre l'espoir.
Puis, errer dans ma case
Les nuits,
Et n'avoir pour extase
Qu'ennuis.
Moi haïr ma cabane,
Et le son de ma voix,
Et la rouge liane
Des bois.
Moi haïr la montagne
Et le bruit de mes pas,
Car moi vis sans compagne,
Hélas!
Faites taire tout bruit, tout chant et toute plainte :
Quand tout sera muet, je ne chanterai plus.