Les vaisseaux du coeur /
Benoîte Groult
« J'avais dix huit ans quand Gauvain m'est entré dans le coeur pour la vie, sans que nous le sachions, ni lui, ni moi. Oui, cela a commencé par le coeur ou ce que je prenais pour le coeur à cette époque et qui n'était encore que la peau.»
Ainsi commence la narration par George Gallois de l'histoire de cet amour improbable entre un marin pêcheur breton inculte, Gauvain Lozerech, un bel homme à la carrure imposante et George, une jolie intellectuelle parisienne aujourd'hui professeur d'histoire. D'amis, au fil de rencontres espacées, ils deviennent vite amants.
Représentants de deux espèces apparemment inconciliables, ils s'étaient croisés jeunes, elle étudiante en histoire et lettres classiques et lui la plupart du temps sur un chalutier en Mer d'Irlande, puis toisés persuadés après chaque rencontre que leurs chemins ne se croiseraient plus jamais, chacun demeurant dans sa classe sociale. Mais les regards n'étaient pas totalement innocents et les corps ne tardèrent pas à fusionner.
Et pourtant ! Ils sont alors envahis par un sentiment qui leur paraît incongru et absurde, avec une certaine culpabilité à la clef ; mais l'attraction de leurs corps devient irrépressible dans le mystère de leur plaisir à chaque fois renouvelé. le goût de leur premier désir devient alors inoubliable. George éprouvait alors le sentiment que tout deux étaient sortis par effraction de la vie qui leur était tracée et qu'ils en seraient punis. Leur vie alors tenait tout entière dans l'instant et ils parvenaient à oublier tout le reste pour éprouver leur semblait-il la plus intense forme de joie.
Les années passent et les retrouvailles épisodiques se transforment en une passion physique inaltérable et George en femme libre sait que si elle veut garder cet amour-là, il lui faut accepter de le perdre après chaque rencontre. Mariés chacun de leur côté, ils se sont aimés, ils ont vécu tant de premiers jours dans l'euphorie, et des derniers jours qui devenaient insupportables : mais tel était leur choix pour que dure leur amour.
Ce roman est donc le récit d'une passion physique capable de balayer toutes les différences sociales, culturelles, et même les entraves conjugales, l'éloignement et le temps qui passe. C'est aussi, dans le chapitre sur la Floride où ils se sont retrouvés pour s'aimer incognito, une satire de la vie artificielle dans cet état américain complètement factice.
La fin du roman est une réflexion lucide sur le vieillissement des corps, un passage douloureux à partir des « cinquantièmes rugissants ». « On ne vieillit pas tous les jours un peu, mais par à-coups…Au début on fait face, on gagne quelques batailles…». Puis vient le temps où l'on passe autant de temps à colmater les brèches qu'à vivre !
Cette fabuleuse histoire d'amour sensuel et tendre est quasiment mythologique. Ils ont inventé une passion qui ne s'est point usée. Ils ont su préserver leurs belles amours de leurs disgrâces quotidiennes. Leurs complicités dans les étreintes et leurs brèves rencontres ont été le plus fort des liens pour une liaison improbable mais souveraine dans le plaisir. Oui, commencée à fleur de peau, cette histoire s'est bien prolongée au fond du coeur. D'où le titre de ce magnifique et bouleversant roman.