Guaïta a gagné en maturité poétique depuis "Oiseaux de passage" : des images plus fortes, des idées plus nettes, des vers ciselés, souvent audacieux, jamais hors du commun, mais parfois vibrants, car émanant d'une sensibilité qui sait désormais se dire, mieux, se chanter.
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La Disgrâce de la Lyre
à Armand Silvestre
I
Lorsqu'aux doigts d'un mortel vibrait la grande Lyre,
O Muse,où sont les temps où pleuraient les lions,
Où dansaient les rochers, en proie au saint délire,
Sous le regard ému des constellations?
Eurydice rendue à la vie — O trophée
D'un poète vainqueur de l'Érèbe attendri !...
Pluton n'écoute plus les chants plaintifs d'Orphée :
La clémence infernale est un ruisseau tari.
Le chêne, inattentif aux Lyriques sublimes,
Ne penche plus le front pour entendre leurs voix,
lit le tigre royal, en quête de victimes,
Poursuit, indifférent, sa chasse, au fond des bois.
La foule, que ravit le jeu des saltimbanques,
Lorsque chante Erato, se met à rire, ou dort,
Ou court mêler ses cris a la rumeur des banques :
Là n'a jamais pleure le luth aux cordes d'or!
Pour les divins concerts l'homme n'a plus d'oreilles !
Pour les splendeurs du Beau le peuple n'a plus d'yeux!
De l'Art miraculeux dédaignant les merveilles,
L'humanité stupide a renié ses dieux...
I
Je vis une négresse aux formes opulentes
Dont les yeux, pleins d'amour, d'attirance et d'ennui,
Reflétaient vaguement les étoiles tremblantes,
Mouches d'or au manteau bleu foncé de la nuit.
Je vis une négresse aux formes opulentes.
II
Ange de la Douleur qu'on ne peut consoler,
Elle avait dans le Ciel deux ailes étendues,
Qu'elle agitait parfois, comme pour s'envoler,
lin songeant au trésor des voluptés perdues,—
Ange de la Douleur qu'on ne peut consoler.
III
De son corps ruisselait l'effluve des luxures
lit des rares désirs inassouvis toujours.
Sa gorge palpitait, où saignaient des morsures
Ouvertes sous la dent féroce des amours.
De son corps ruisselait l'effluve des luxures.