Citations sur L'infini + un (110)
Shayna Harris avait manifestement une vie bien merdique. Et le problème avec la merde, c’est qu’on a beau essayer de s’en débarrasser, l’odeur est tenace.
— Je n’ai pas vraiment envie de mourir.
Il a tourné les yeux vers moi et m’a dévisagée un instant avant de reporter son attention sur la route.
— Je n’ai juste pas très envie de vivre, ai-je poursuivi. Mais ça s’arrangera peut-être si je peux prendre un peu de distance et comprendre qui je suis et ce que je veux. Alors, oui, j ’aimerais bien rester avec toi.
— Si. J’ai l ’impression d’être un vieux pervers parce que je m’apprête à te suggérer de dormir collés serrés pour nous tenir chaud et toi, tu te marres.
— Tu allais proposer qu’on… dorme ensemble ?
La stupéfaction a réglé le problème du ricanement.
Finn s’est passé les deux mains sur le visage, comme pour effacer ce qu’il venait de dire.
— D’accord, ai-je dit d’une toute petite voix.
Il m’a regardée, surpris. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Un grand sourire joyeux.
— Tu as bien compris qu’on était dans la merde ? a demandé Finn comme s’il avait peur que j’aie perdu l’esprit. (Mais un sourire a fait frémir ses lèvres.) C’est pas une soirée pyjama avec tes copines.
— Hé, Clyde ?
— Ouais, Bonnie ?
— Demain matin, tu auras officiellement couché avec Bonnie Rae Shelby. Tu ne vas pas me demander un autographe, hein ? Genre de signer ton cul avec un feutre indélébile pour envoyer la photo à US Weekly ?
— T’as un ego un peu surdimensionné, non ?
Puis ses lèvres se sont entrouvertes et déplacées. Ici. Là. Dessus. Dedans. Autour. Mes paupières palpitaient, mon estomac papillonnait et la lourdeur de mes membres me donnait envie de plonger dans ce baiser comme une ancre dans le sable et de creuser, alors même que j’éprouvais une étrange sensation de légèreté. Puis il a glissé les deux mains dans mes cheveux pour s’assurer que ma bouche ne lui échapperait pas et il m’a maintenue en place tandis qu’il goûtait mes lèvres en réclamant l’accès à ma langue. Je l ’ai accueilli avec un soupir qui a glissé dans la nuit froide et s’est éloigné comme ma chanson. C’était un nouveau couplet un duo de lèvres, la fusion de deux bouches. C’était un crescendo de cymbales tonitruantes et ça ne ressemblait à aucune chanson de ma connaissance. Et même quand il a reculé, le baiser a résonné autour de moi, m’invitant à répéter la musique de sa bouche sur la mienne.
— Je ne sais pas ce qui se passe entre nous, putain, murmura-t-il au-dessus de ses lèvres, son souffle chatouillant sa bouche. J’ai l’impression d’être en chute libre. Je vais toucher le sol d’un instant à l’autre et tout sera fini, voire, pire, je vais m’apercevoir que j’ai rêvé.
Elle s’était barrée. Tant mieux. Il avait compris en entendant le verrou la veille qu’elle avait peur de lui. Bien. C’était mieux ainsi.
La voix de Finn ronronnait dans mes oreilles, sa respiration me chatouillait le front et j ’ai fermé les yeux quand il a commencé à m’expliquer un truc qu’il appelait le paradoxe de Galilée – il y a autant de nombres pairs que de nombres pairs et impairs combinés, ce qui n’est pas logique, a dit Finn, mais qui est pourtant juste quand tu compares les nombres en termes d’ensembles infinis. Mes paupières sont devenues lourdes : j ’étais trop fatiguée pour suivre. Qui l ’eût cru ? Super Beau Gosse avait aussi un cerveau.
— Finn ? demanda Bonnie. T’as déjà assisté à la cérémonie des Oscars ?
Elle savait bien que non. Mais sa question en cachait une autre, implicite, et il l’avait bien compris. Bonnie voulait qu’il y aille avec elle. Et malgré tout ce qui s’était passé, il en avait envie, lui aussi. Il était cuit, et il le savait depuis la veille, lorsqu’il l’avait surprise en train de chanter en direction des étoiles, perchée sur le toboggan, clamant à la face du monde qu’elle était une voyageuse solitaire.
Je ne savais pas pourquoi j ’éprouvais un tel désir d’arriver à Las Vegas. Rien ne m’attendait là-bas,
mais j ’étais pourtant focalisée sur cette destination comme si c’était le ruban sur la ligne d’arrivée et comme si le voyage recelait toutes les réponses à mes questions. J’étais persuadée que si on me laissait juste le temps d’arriver à Las Vegas – d’ici quelques j ours – j e découvrirais comment me remettre à vivre.
J’en connais qui riront ou lèveront les yeux au ciel en m’accusant d’utiliser des clichés éculés. Mais c’était ça – manger quand on meurt de faim, boire quand on est assoiffé, voir sa maison au loin, tester pour la première fois un plat qu’on n’avait jamais osé goûter et découvrir que c’est la meilleure chose au monde. Voilà à quoi ressemblait le baiser de Finn. Et j’ai découvert alors que j’étais affamée depuis longtemps. J’avais faim d’amitié, d’affection, de connexion. Et, encore plus étrange, j’avais faim de Finn Clyde.