Citations sur Paris est une fête (218)
Scott Fitzgerald m'interrogea sans fard:
- Ernest, dites-moi; est-ce que votre femme et vous avez couché ensemble avant d'être mariés?
- Je ne sais pas.
- Comment, vous ne savez pas? Qu'est-ce que vous voulez dire?
- Je ne m'en souviens pas.
- Mais comment pourriez-vous avoir oublié une chose aussi importante?
- je ne sais pas, dis-je. Bizarre, n'est-ce pas?
- C'est pis que bizarre, dit Scott. Il faut que vous soyez capable de vous en souvenir.
- Je regrette. C'est désolant, n'est-ce pas?
Si vous donnez aux histoires que vous écrivez à la première personne une vraisemblance telle que les gens finissent par y croire, le lecteur pensera presque forcément qu'elles vous sont effectivement arrivées. Ce qui est tout à fait naturel puisque, au moment où vous les inventez, il faut bien que vous donniez l'impression qu'elles sont arrivées à celui qui les raconte. Si votre entreprise est réussie, vous amenez celui qui les lit à croire que ces choses-là lui sont arrivées à lui.
Dans Dostoievski, il y avait certaines choses croyables et auxquelles on ne pouvait croire, mais d'autres aussi qui étaient si vraies qu'elles vous transformaient au fur et à mesure que vous les lisiez ; elles vous enseignaient la fragilité et la folie, la méchanceté et la sainteté et les affres du jeu, comme Tourgueniev vous enseignait les paysages et les routes, et Tolstoï les mouvements de troupes, le terrain et les forces en présence, officiers et soldats, et le combat.
On dit que les germes de nos actions futures sont en nous, mais je crois que pour ceux qui plaisantent dans la vie, les germes sont enfouis dans un meilleur terreau, sous une couche plus épaisse d’engrais.
- Qu'est-ce qu'une canaille ? demandai-je. N'est-ce pas quelqu'un qu'on a envie d'étriller jusqu'à ce que mort s'ensuive ?
- Pas nécessairement, dit Ford.
- Ezra est-il un homme du monde ? demandai-je.
- Naturellement pas, dit Ford. Il est américain.
- Un Américain ne peut-il être un homme du monde ?
- Peut-être John Quinn, expliqua Ford. Certains de vos ambassadeurs.
- Myron T. Herrick ?
- Peut-être.
- Henry James était-il un homme du monde ?
- Presque.
- Êtes-vous un homme du monde ?
- Naturellement. J'étais officier de sa Majesté.
- C'est très compliqué, dis-je. Suis-je un homme du monde ?
- En aucune façon, dit Ford.
- Alors, pourquoi buvez-vous en ma compagnie ?
- C'est en qualité de confrère. Je prends un verre avec un jeune écrivain qui promet.
- Vous avez bien de la bonté, dis-je.
- Vous pourriez être tenu pour un homme du monde en Italie, dit Ford avec magnanimité.
Une partie de vous-même meurt chaque année, quand les feuilles tombent des arbres dont les branches demeurent nues sous le vent et la froide lumière hivernale; mais vous savez déjà qu'il y aura toujours un printemps, que le fleuve coulera de nouveau après la fonte des glaces.
(pp.74-75)
Je travaillais toujours jusqu'au moment où j'avais achevé un passage et m'arrêtais quand j'avais trouvé la suite. Ainsi j'étais sur de pouvoir poursuivre le lendemain. Mais parfois, quand je commençais un nouveau récit et ne pouvais le mettre en train, je m'asseyais devant le feu et pressais la pelure d'une des petites oranges au-dessus de la flamme et contemplais son crépitement bleu. Ou bien je me levais et regardais les toits de Paris et pensais: " Ne t'en fais pas. Tu as toujours écrit jusqu'à présent, et tu continueras. Ce qu'il faut, c'est écrire une seule phrase vraie. Ecris la phrase la plus vraie que tu connaisses." Ainsi, finalement, j'écrivais une phrase vraie, et continuais à partir de là. C'était facile, parce qu'il y avait toujours quelque phrase vraie que j'avais lue, ou entendue, ou que je connaissais.
(p.51)
Une fille entra dans le café et s'assit, toute seule, à une table près de la vitre. Elle était très jolie, avec un visage aussi frais qu'un sou neuf, si toutefois l'on avait frappé la monnaie dans de la chair lisse recouverte d'une peau toute fraîche de pluie, et ses cheveux étaient noirs comme l'aile du corbeau et coupés net et en diagonale à hauteur de la joue.
Je la regardai et cette vue me troubla et me mit dans un grand état d'agitation. Je souhaitai pouvoir mettre la fille dans ce conte ou dans un autre, mais elle s'était placée de telle façon qu'elle pût surveiller la rue et l'entrée du café, et je compris qu'elle attendait quelqu'un. De sorte que je me remis à écrire.
Je t'ai vue, mignonne, et tu m'appartiens désormais, quel que soit celui que tu attends et même si je ne dois plus jamais te revoir pensais-je. Tu m'appartiens et tout Paris m'appartient, et j'appartiens à ce cahier et à ce crayon.
(p.45)
Quand j'écrivais quelque chose, j'avais besoin de lire après avoir posé la plume. Si vous continuez à penser à ce que vous écrivez, en dehors des heures de travail, vous perdez le fil et vous ne pouvez le ressaisir le lendemain. Il vous faut faire de l'exercice, fatiguer votre corps, et il vous est alors recommandé de faire l'amour avec qui vous aimez. C'est même ce qu'il y a de meilleur. Mais ensuite, quand vous vous sentez vide, il vous faut lire afin de ne pas penser à votre œuvre et de ne pas vous en préoccuper jusqu'au moment où vous vous remettez à écrire. J'avais déjà appris à ne jamais assécher le puits de mon inspiration, mais à m'arrêter alors qu'il y avait encore quelque chose au fond, pour laisser la source remplir le réservoir pendant la nuit.