Passionnée par la Seconde guerre mondiale, je ne pouvais que m'intéresser à un roman évoquant "La tondue de Chartres". N'y voyez-là aucun voyeurisme malsain mais bien plutôt la volonté d'en savoir plus sur un pan tabou (et donc méconnu) de notre Histoire de France : cette difficile période de l'épuration.
En plaçant au début de son livre, cette citation de
Philippe Claudel, in
Les Ames grises, le ton est donné :
"Les salauds, les saints, j'en ai jamais vu. Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil..."
Dans ce premier roman, l'auteure tend à démontrer qu'il peut - sur certains chemins de vie - y avoir parfois des erreurs d'aiguillage qui peuvent impacter et conditionner certains comportements.
Si je savais qu'il s'agissait d'un roman (donc d'une fiction), j'avais espéré que celui-ci serait construit autour d'une réalité attestée. le titre et la narration à la première personne tendent d'ailleurs à créer la confusion. On a en effet le sentiment que c'est bien la parole de Simone Touseau (le vrai nom de la personne concernée) qui est mise en avant (comme cela a pu être fait dans d'autres
romans de portée historique).
Il n'en est rien et, personnellement, cela m'a gênée.
Donc, ne recherchez pas la vérité historique. Si les lieux, les dates et certains événements sont corrects, le nom des différents protagonistes, eux, ont été changés et l'auteure brode allègrement sur le caractère de l'intéressée, ses motivations, ses actes. Dès la dernière page terminée, j'ai d'ailleurs cherché sur Internet qui était vraiment cette femme (je connaissais la photo mais pas son nom), de quoi était-elle accusée, comment elle a vécu à la suite de cet épisode marquant de sa vie.
C'est ainsi que j'ai su après-coup que ce livre avait généré une polémique. Les descendants des personnes déportées par la faute de Simone et de sa mère vivant assez mal la façon dont la personnalité de Simone est ici décrite (une oie blanche, un peu idiote, qui n'a pas vraiment mesuré les conséquences de ses actes) et la minimisation de ce qui lui a été reproché, à savoir d'avoir pactisé avec l'ennemi, d'avoir dénoncé des voisins et entretenu des relations charnelles avec un responsable de la propagande allemand.
La façon dont l'auteure évoque ces faits (certes répréhensibles mais néanmoins possiblement compréhensibles au regard des circonstances...Qui sommes-nous pour juger ?) est sans doute trop édulcorée, trop minimisée (elle semble toujours subir les actes des autres plutôt que d'agir de son propre chef), mais aussi présentée d'une façon par trop romanesque, destinée à émouvoir le lecteur (la conception de l'enfant de Simone sur un lit d'hôpital allemand ne semble pas vraiment tenir la route).
Quelles étaient les intentions de l'auteure ? Je ne sais pas trop... Sans doute, de montrer que pour manger, pour vivre et aimer certaines femmes ont franchi un cap que d'autres n'auraient jamais franchi. Est-ce par fragilité, cupidité ou par force, à savoir, parvenir à tout faire pour survivre ? Sans doute, pour montrer aussi tout le poids de la jalousie, de la rumeur et de la malfaisance des gens (les gens la condamne comme "putain" à boche alors qu'elle n'aurait été qu'une amoureuse transie n'ayant jamais fauté avec lui avant longtemps). Sans doute, pour nous amener - nous lecteurs - à nous interroger sur ce que nous aurions fait si nous avions connu les mêmes circonstances (rappelez-vous la chanson de J.J. Goldman "Né en 17 à Leidenstadt").
Donc, il me semble qu'au lieu de chercher à pister la réalité historique à travers ces lignes, il convient plutôt de considérer ce roman comme "objet littéraire" et non comme le récit d'une histoire vécue.
Et de ce point de vue, je crois pouvoir dire que ce premier roman est une réussite et que
Julie Héraclès a un réel potentiel d'écrivain à futurs succès.
La construction est audacieuse (alternance de chapitres évoquant le présent, à savoir le déroulement de la journée du 16/08/44 date à laquelle Simone est tondue et le passé , à savoir de son enfance à ce fameux jour).
La trame narrative se suit avec intérêt et est particulièrement addictive.
L'écriture est fluide. Les descriptions précises (les lieux, les rues, les personnes, le travail, la façon dont la guerre se vit au quotidien avec les rationnements et les alertes, le rôle de la milice collaborationniste) et le ressenti des différents personnages clairement perceptible (premiers émois, liens avec Eva, premier avortement, évolution de pensée politique de Simone, apparition de son amour pour Otto, etc.).
On suit avec intérêt l'évolution des choses, on compatit aux difficultés de Simone et de sa famille, on ressent au plus près le lien indéfectible qui l'unit à sa soeur Madeleine (qui, bien que fade et plutôt passive face aux événements, a sacrifié sa vie pour elle) et les pressions et tensions subies au quotidien (par l'inaction de son père, par la distance et l'alcoolisme de sa mère, par la nécessité de travailler pour manger, par l'emprise égoïste de son "modèle" féminin, par les conséquences d'un amour déçu, et par l'urgence de vivre sa jeunesse, malgré la guerre).
Le registre de langue utilisé donne à voir la réalité du milieu populaire d'où est issue Simone, malgré une relative volonté initiale de la famille de s'élever dans la hiérarchie sociale. Il est vivant, fleuri, parfois vulgaire. C'est le seul point qui m'a véritablement gênée pour deux raisons :
1/ il me semble peu probable qu'une jeune de 20 ans puisse s'exprimer ainsi à cette époque.
2/ ce registre de langue me semble être en décalage avec le niveau d'excellence atteint dans ses études par Simone. Comment, en étant amoureuse de la langue de
Goethe, en côtoyant quasiment au quotidien les textes de grands penseurs et philosophes, Simone peut-elle encore penser et parler en ces termes ? Il y a là comme une incohérence ou, pour le moins, un anachronisme.
Néanmoins, malgré ces quelques réserves, c'est à mon sens un très bon premier roman qui a le mérite d'éclairer une période passée sous silence et de mettre le focus (comme
Robert Capa l'a d'ailleurs fait avec cette photographie qui a servi de point de départ du
roman) sur le traumatisme subi par ces femmes tondues pour l'exemple et par vengeance, traumatisme qui, je pense, a rejailli sur leur devenir (la vraie Simone est décédée à 41 ans), mais également sur leur descendance.