°°° Rentrée littéraire 2023 # 51 °°°
Si pour de vrai on ne savait rien d'elle ...
... elle, Simone Touseau, 23 ans, surnommée la Tondue de Chartres, immortalisée par le photographe
Robert Capa le 16 juillet 1944. le roman s'ouvre sur son double de fiction, Simone Trivise, arrêtée par les FFI, en passe d'être tondue pour avoir collaboré. Si pour de vrai je ne savais rien de Simone Touseau, j'aurais trouvé le bouquin pas mal du tout, bien écrit, vif, décrivant bien les excès de l'épuration à la Libération.
Si pour de vrai je ne savais rien d'elle, j'aurais été touchée par cette narratrice qui se raconte en grande amoureuse, qui a eu la malchance d'aimer un Allemand au mauvais moment, de tomber enceinte et de subir la société patriarcale dans un contexte de tension extrême.
"
Vous ne connaissez rien de moi" lui fait dire l'autrice. Ah bon ?
Parce que pour de vrai, on connait beaucoup de choses sur Simone Touseau grâce au travail précis et documenté de nombreux historiens comme
Philippe Frétigné ou
Gérard Leray. Il est établi que Simone Touseau a été sympathisante nazie, qu'elle a adhéré au Parti populaire français ( parti fascisant et collaborationniste fondé par Jacques Doriot ) a été secrétaire-traductrice à la Kommandantur de Chartres, est partie volontairement travaillée en Allemagne dans le cadre du STO, et finit condamnée à dix ans d'indignité nationale pour fait de collaboration. Tout cela,
Julie Héraclès en parle mais cela passe à l'arrière-plan à mesure que le roman avance et bascule dans l'intrigue amoureuse.
Ce qui m'a dérangée, ce n'est pas l'humanisation du personnage l'être humain est empli de nuances de gris. Ce n'est pas qu'un personnage puisse se retrouver 'par accident dans la Collaboration, les parcours de vie sont parfois surprenants, la fameuse "banalité du Mal". Ce n'est pas que le lecteur ressente de l'empathie pour un personnage ayant « fauté ». Pas de tabou en littérature.
Ce qui m'a dérangée, c'est que lorsqu'on lit
Julie Heraclès, on passe complètement à côté de la réalité historique du personnage qui était antisémite, collaborationniste convaincue et non une amoureuse chutant par bêtise, inconscience, insouciance ou encore désir de revanche sociale. Comme si une femme ne pouvait être que régie par ses sentiments aveuglants et ne pouvait avoir de convictions politiques.
Or, l'autrice revendique s'être inspirée de Simone Touseau. C'est écrit d'emblée, c'est souligné dans la 4ème de couv' et par le bandeau qui reprend la célèbre photographie de Capa. Elle reprend un maximum d'infos biographiques : les mêmes dates, la même famille, les mêmes études, la même collègue ( condamnée à mort par contumace pour intelligence avec l'ennemi ), le même amoureux etc. Oui, elle parle de ses sympathies nazies mais les évacuent très vite.
Quand on investit un terrain aussi miné et manipulé par certains que celui de l'Occupation et l'Occupation, pourquoi choisir un personnage réel pour en dénaturer sa réalité, pourquoi réécrire l'histoire de Simone Touseau, au point même de lui inventer une improbable amie juive ? Je ne nie absolument la liberté d'un auteur à s'emparer des sujets qu'il veut.
C'est juste que je ne comprends absolument pas pourquoi
Julie Héraclés n'a pas choisi de construire un personnage hors de la référence à Simone Touseau, une pâte qu'elle aurait pu modeler à sa guise sans se soucier de toute véracité historique. Pour de vrai, son livre aurait été excellent.
Je referme ce livre pleine d'un réel malaise, malaise d'autant plus fort que je pense, au vue des interviews données par l'autrice, qu'elle a écrit en toute sincérité ( naïveté ? ) sans forcément penser à la portée de ce qu'elle écrivait ( amplifiée par le succès du roman ). Rien à faire, après avoir laissé reposer cette lecture plusieurs semaines, ça ne passe pas.
Bref, c'est le type de chronique que je n'aime pas écrire, sur un livre qui me dérange pour des raisons autres que strictement littéraires.