Une note mitigée, car je suis partagée, comme tout le roman qui semble construit sur la dualité : j'ai ainsi bien apprécié le début avec la théorie du Narrateur sur les deux mondes, celui de l'ordre, de la clareté, de la bonté et de l'amour – le cercle familial, et l'autre, celui du dehors, avec ses violences, son autre langage, ses mystères aussi. Mais j'ai eu du mal avec la fin, puisque je l'ai comprise comme une théorie selon laquelle la guerre était nécessaire pour purger le monde, indispensable pour qu'apparaisse un homme nouveau, un surhomme pour reprendre l'expression de
Nietzsche – qui est un des livres de chevet du Narrateur. Les dernières scènes évoquent la Grande Guerre, la génération sacrifiée, les blessés. le roman a été écrit en 1919, l'auteur sait bien ce qui c'est passé. Cela m'a donc profondément dérangé.
Je l'ai dit, c'est pour moi un roman construit sur la dualité, les oppositions : le persécuteur-harceleur / l'ami qui va initier, les apprentissages classiques et convenus au lycée et en cours de religion / les mystères ésotériques et les interprétations personnelles, l'amour idéalisé pour Béatrice / les désirs de contacts charnels, la débauche dans les beuveries / le dépassement de soi dans l'art, la foule médiocre des hommes ordinaires / la pénétration de quelques esprits supérieurs, le masculin / le féminin, la recherche d'une amante / d'une mère, la sexualité / la réflexion... Toutes ces oppositions s'incarnent dans le Narrateur qui ne sait quelle voie choisir, hésite, se trompe, recommance. Elle s'incarnent aussi dans
Demian, qui, lui les dépasse : il est à la fois viril et féminin, fragile et fort, intellectuel et sportif, proche du Narrateur et son maître... C'est un de ces êtres supérieurs qui ont trouvé leur voie et qui la suivent. La dualité entre le Narrateur et
Demian était annoncée dès le titre qui rapproche leurs deux noms. le Narrateur aime
Demian et l'admire, il le fascine au sens étymologique puisqu'il ne peut le quitter des yeux, tout comme
Demian le plaint et le guide. La dualité est résolue à la fin puisqu'ils s'unissent spirituellement.
Cette construction binaire est intéressante, cependant elle est trop systématique pour me convaincre, les passages les plus intéressants sont ceux où elle est moins marquée, ou transformée ; ainsi, le personnage du musicien permet de montrer une autre voie possible, un autre guide pour le Narrateur, et c'est en découvrant ses limites que celui-ci comprend qu'il faut qu'il revienne à
Demian.
J'ai trouvé des longueurs dans ce roman à côté de passages bien plus forts – la peinture de l'oiseau par exemple. Ainsi, pour moi, le personnage du jeune étudiant sauvé par le Narrateur n'était pas utile. J'ai préféré les passages de la vie « réelle », ordinaire, aux discussions ésotériques ou mystiques au coin du feu. Peut-être que j'aurais dû lire cette oeuvre à l'âge des personnages, je vois que de nombreux lecteurs gardent un fort souvenir de leur lecture à l'adolescence. Enfin, je n'ai pas les connaissances sur la psychanalyse nécessaire pour comprendre cette oeuvre en profondeur. Trivialement, j'ai plusieurs fois pensé que si le Narrateur avait couché avec
Demian – ou avec la mère de celui-ci, il aurait été moins tourmenté...