Secret, tome 1

Ce tome contient les 7 épisodes de la série "Secret" qui forment une histoire complète et indépendante de toute autre. le scénario est de Jonathan Hickman, les dessins et l'encrage de Ryan Bodenheim, et la mise en couleurs de Michael Garland. Ces épisodes ont fait l'objet d'une publication périodique d'avril 2012 à avril 2014.

Chaque épisode commence par un prologue de 4 pages. Dans le premier, Roger Dunn (le Directeur général -CEO- de Koptein-Lewis) est attaché sur une chaise dans son sous-sol, en train d'être questionné par un individu cagoulé qui a bien l'intention de faire comprendre qu'il n'est pas là pour plaisanter, en arrachant une dent avec une pince électrique.

Après cette séance de torture, Dunn prend l'attache de son avocat William Gerry pour savoir comment se protéger et comment protéger sa famille. Ce dernier est obligé d'abréger l'entretien car il doit participer à une réunion avec Grant Miller et Veronica White (représentants l'entreprise de sécurité Steadman Security). Miller prouve aux associés du cabinet d'avocats Gerry, Collins & Croft que la sécurité de leurs bureaux ne vaut pas tripette. William Gerry met en relation Grant Miller avec Roger Dunn pour que ce dernier bénéficie de son expertise en matière de sécurité. de retour aux bureaux de Steadman Security, Miller apprend que son collègue et meilleur ami Thomas Moore a été froidement exécuté à Londres.

La première séquence ne laisse place à aucun doute : ce récit s'inscrit dans le genre du thriller musclé, avec un haut niveau de violence sadique. Elle établit également clairement que la narration est entièrement inféodée aux dialogues. Jonathan Hickman a construit un suspense autour d'une situation dangereuse que le lecteur découvre petit à petit, et toute la tension narrative provient des dialogues, des informations qui sont échangées, des non-dits, de l'historique existant entre les personnages, et de ces machinations, avec manipulations et traîtrises à la clé.

Ryan Bodenheim avait déjà travaillé avec Jonathan Hickman : il avait dessiné A red mass for Mars. Il est adepte d'un rendu réaliste, sans tomber dans le détail obsessionnel de type photographique. Chaque personnage dispose d'un visage et d'une morphologie spécifique ce qui les rend aisément reconnaissable. Il a l'art et la manière d'épurer un dessin au point que le lecteur puisse avoir l'impression de cases un peu vide. En prenant le temps de regarder chaque scène, le lecteur s'aperçoit qu'il ne s'agit que d'une impression : chaque endroit dispose de caractéristiques le rendant unique, avec quelques angles de vue proposant une profondeur de champ importante (l'open space par lequel Miller accède au bureau de Steadman, la salle du restaurant Baltic House, les 3 ponts du yacht d'Yevgeny Llarov).

Bodenheim a donc la tâche délicate de rendre les dialogues vivants, tout en sachant que l'attention du lecteur sera entièrement accaparée par les mots, plus que par les images. Il varie régulièrement les angles de prises de vue, au-delà de la simple alternance de champ/contrechamp, mais sans réussir à concevoir une mise en scène qui donnerait à voir plus que les protagonistes en train de parler. Sur ce plan, il campe bien chaque scène en montrant l'environnement dans lequel elle se déroule, la position respective de chaque personnage, et les expressions de leur visage. L'oeil du lecteur se rend rapidement compte qu'il n'y a pas d'autres informations visuelles à assimiler, et il parcourt rapidement ces cases.

Bodenheim se montre plus convaincant quand il s'agit de mettre en scène une action violente ou brutale. Il évite de représenter de front le moment le plus atroce de l'action (le lecteur est épargné, il n'a pas à regarder la pince dans la bouche de Dunn, ou la dent sortant de la gencive), mais il sait découper la séquence de telle sorte à faire ressortir toute l'horreur de la violence exercée. Cette capacité sert le récit dans la mesure où les images montrent le sérieux de la cruauté des personnages.

Michael Garland a une approche de la mise en couleurs un pue binaire. D'un côté, il aime bien les cases ne comprenant que 2 couleurs, souvent 2 ou 3 nuances d'une même teinte. Cela aboutit à des ambiances cafardeuses à souhait, en parfaite cohérence avec la tonalité du scénario. Il aime bien également utiliser de temps à autre une couleur vive qui tranche sur les autres. Cela peut rehausser juste un élément (une paire de lunettes noires par exemple). Cependant il aime bien aussi appliquer cette couleur qui tranche à toute une case pour la faire ressortir dans une séquence (une case en nuances d'orange, au milieu d'une suite de cases en nuances de gris). Appliquée une fois de temps en temps, cette technique produit son petit effet. Appliquée de manière trop rapprochée, elle devient un artifice perdant de son sens (et Garland succombe régulièrement à la tentation de la sur-utilisation).

Jonathan Hickman a conçu une intrigue à tiroir au cours de laquelle le lecteur découvre petit à petit qui joue à quel jeu, et que signifie ce mystérieux terme de Kodiak. Hickman a eu l'intelligence de limiter le nombre de personnages principaux à une demi-douzaine, ce qui permet de les assimiler rapidement et de ne pas perdre le fil de l'intrigue. le plaisir de lecture s'en trouve ainsi préservé (pas besoin de prendre de notes mentales, ou écrites). le ressort de l'intrigue est imaginatif, le contexte est intelligent (Miller expliquant à un interlocuteur comment les entreprises sont en train de prendre la main sur les gouvernements, et pourquoi il est important pour leurs dirigeants de s'assurer contre les risques de piratage).

Dans ce monde de durs à cuir, de menteurs et de conspirateurs, le récit trouve sa limite dans le fait que le lecteur a du mal s'investir émotionnellement pour quelque personnage que ce soit. Il n'y a que des individus froids et efficaces. Lorsque la violence éclate, elle présente également cette froideur et cette efficacité, dépourvues d'affect. La mécanique de l'intrigue est implacable, seuls 1 ou 2 détails restent déconcertant (les balles marquées de la lettre oméga).

Jonathan Hickman et Ryan Bondenheim racontent un polar bien noir, dans le milieu des hautes sphères d'une entreprise. le suspense court jusqu'à la fin, même s'il est difficile de ressentir de l'empathie pour les personnages.