Né à Vienne, élevé en France, devenu citoyen américain,
Stanley Hoffmann, qui dirige à Harvard le Center for European Studies, est le plus francophile des spécialistes américains des relations internationales. Sous la forme d'un entretien réalisé fin 2003 avec
Frédéric Bozo, il dresse, en « spectateur mal à l'aise » (p. 9) une critique en règle de la politique américaine depuis le 11 septembre jusqu'au conflit irakien.
A l'instar d'un
Hubert Védrine, il minimise l'importance historique des événements du 11 septembre. Les attentas terroristes n'ont pas bouleversé le système international dans les mêmes proportions que l'émergence d'un ordre bipolaire en 1947 ou sa disparition en 1989. Pour autant, le 11 septembre a constitué pour les néo-conservateurs une « divine surprise » (p. 51) qu'ils ont su parfaitement exploiter : « Dès le 12 septembre, nos néo-conservateurs se rendent chez Dick Cheney, qui avait sans doute quelques remords de ne pas être allé jusqu'à Bagdad en 1991 … et ils n'ont aucun mal à le convaincre. » (p. 64)
Stanley Hoffmann nous apprend que la décision de faire la guerre en Irak aurait été prise dès juillet 2002. Il tient dit-il cette information d'une « source autorisée » (p. 76). Pourquoi alors les Etats-Unis se sont-ils évertués à obtenir l'aval des Nations-Unies ? Par adhésion au multilatéralisme ? Absolument pas. En rupture avec l'administration Clinton et Bush père qui avaient pratiqué l'une comme l'autre un « multilatéralisme dirigé » (p. 49), George W. Bush et son entourage ont mis en oeuvre après le 11 septembre un « unilatéralisme triomphant » qui ne s'encombre pas du respect de la légalité internationale. Est-ce alors l'influence de Colin Powell et du Département d'Etat qui a poussé les Etats-Unis à solliciter l'autorisation du Conseil de Sécurité ? Rien n'est moins sûr. Car d'une part Colin Powell n'a pas attendu l'esclandre qui l'a opposé à
Dominique de Villepin en janvier 2003 à New York pour se rallier à la cause de la guerre et d'autre part le State Department a été marginalisé dans le processus décisionnel américain. En réalité, le « détour » par les Nations-Unies « n'était destiné qu'à faire plaisir à
Tony Blair » (p. 23).
Stanley Hoffmann montre combien la guerre en Irak repose sur de mauvaises justifications. La « nature odieuse du régime irakien » (p. 72) est un motif bien hypocrite qui, s'il a pu séduire quelques « belles âmes » n'explique pas l'inaction américaine en Corée du Nord ou en Iran. En revanche, les deux réelles motivations de l'administration Bush se sont révélées mal fondées : aucune arme de destruction massive n'a été retrouvée sur le sol irakien, aucun lien avec Al-Qaïda n'a pu être établi, l'occupation irakienne entraînant au contraire une nouvelle flambée de terrorisme. Et l'espoir de voir la restauration démocratique en Iraq avoir des retombées bénéfiques dans le reste du Moyen-Orient semble bien optimiste.
Au final
Stanley Hoffmann s'inquiète des dérives des Etats-Unis. Dérive à l'extérieur : l'exceptionnalisme américain se présente désormais sous la forme d'un unilatéralisme méprisant qui sapera à terme la légitimité de l'action diplomatique américaine. Dérive à l'intérieur : les Etats-Unis glisseraient « vers une sorte d'autoritarisme populiste » (p. 168) qu'illustre l'adoption du Patriot Act et le sort réservé aux prisonniers de Guantanamo sans que l'opinion publique ne s'en émeuve.