Anna Hope, dont je découvre tardivement le talent, maîtrise décidément bien la construction de ses romans. Plus simple, plus immédiatement " lisible" que celle de
Nos Espérances, la structure du Chagrin des vivants a, dans sa majestueuse simplicité, une grande force lyrique qui sied à ce roman choral sur la guerre de 14.
Tel un navire brise- glaces, fendant la banquise de la guerre et de ses douleurs, le récit central (focalisé sur la trouvaille, l'exhumation, le transport puis l'arrivée en grande pompe du corps du soldat inconnu britannique à Londres) , sert de moteur, et même d'aimant aux récits annexes, centrés sur trois figures féminines. Dans son sillage irrépressible , le corps du soldat inconnu draine et active
le chagrin des vivants. Et permet, enfin, après ce long massacre, sa catharsis. Surtout celle du chagrin des vivantes ...
De trois femmes, donc.
Une femme dans la maturité, mère presque folle d'un jeune soldat mort dans des circonstances obscures, une autre en pleine jeunesse, mais brisée, aigrie, durcie par la disparition d'un amant . Une troisième enfin, toute jeune, que la guerre et la pauvreté ont privée des fêtes de son âge et qui vend sa fougue comme danseuse de compagnie dans une salle de bal.
Elles ne se connaissent pas, ne se rencontrent pas vraiment, mais les hommes blessés, hagards, meurtris, qui les côtoient comme des zombies, tissent parfois entre elles de subtils liens que seul le lecteur perçoit.
Rien de facile, pas de retrouvailles forcées, pas de miracle. Toutes trois restent des solitaires. le chagrin est une douleur corrosive, son poison est long à se dissiper. Tout au plus le corps du Soldat Inconnu est il un exutoire collectif qui fait que les vivants, même blessés, même essorés, même désolés* se sentent...vivants.
Et c'est déjà beaucoup.
* à ce propos, mon seul bémol et qui grignote un peu ma 5eme etoile: j'ai trouvé un nombre incalculable d'occurrences de "je suis désolé (e)". Traduction un peu pesante du discret "sorry" anglais. Cela m'a un peu agacé l'oeil. C'est ma seule critique. Désolée. ..