De wedergeboorte van een moffenmeid

+++++++ LA RENAISSANCE D'UNE TONDUE +++++++

Nous sommes en février 1942 à Amsterdam, une jeune fille de 23 ans sollicite un emploi de secrétaire au bureau central de l'émigration juive ("Zentralstelle für jüdische Auswanderung"), une section du SD ("Sicherheitsdienst" ou police de sécurité des nazis) sous le commandement général du redouté Willy Lages (1901-1971).

La demoiselle s'appelle Thea Hoogensteijn et elle en a marre de travailler pour un salaire de misère. Elle est recrutée grâce à son excellente connaissance de la langue allemande et ressortira directement sous les ordres du chef de la "Zentralstelle", un autre criminel de guerre, le "Hauptsturmführer" - ou capitaine SS - Ferdinand aus der Fünten (1909-1989).

Thea est la benjamine d'une famille de 5 enfants. le père a eu un commerce de bulbes à fleurs à Darmstadt en Allemagne où elle est née le 20 juin 2018 et allée à l'école, ce qui explique la qualité de son Allemand.

Cette fameuse "Zentralstelle" avait comme mission principale la déportation des 140.000 Juifs hollandais par le camp de Westenbork aux Pays-Bas vers Sobibor et Auschwitz. le nombre de déportés et exécutés a été particulièrement terrible chez nos voisins, où 75 % ont été déportés : 104.000 des 140.000. Seul 0,9 % de la communauté juive survivra ! le cas le plus tristement célèbre étant bien sûr celui de la petite Anne Frank.

C'est sûr que si Thea ignorait au départ l'ampleur de ce vaste programme d'extermination, elle a dû très vite se rendre compte qu'elle prenait part à une colossale entreprise criminelle. Une de ses tâches consistait notamment à remplir les formulaires de voyage des Juifs.

À la libération, Thea Hoogensteijn a été considérée comme une collaboratrice de l'ennemi, une "moffenmeid" que l'on pourrait traduire par "pute à boches" ou une à être "tondue".
Elle a été emprisonnée au Fort Ruigenbock, ensuite internée dans un institut pour malades mentaux à Utrecht et finalement enfermée à la Clinique Valerius d'Amsterdam (août 1945).

Au cours de l'été 1947 elle s'est rendue en Suède, où à Stockholm elle a marié un personnage abject, Erwin Schramm (1907-1983), avec qui elle a eu une fille, Anna, en 1949 avant de partir pour le Venezuela, où vivait son frère aîné Jan.

C'est à partir de 1960 que progressivement la contribution clandestine de Thea à la résistance a perçu. Même son neveu, le fils de sa soeur Liesbeth et l'auteur de l'ouvrage, Jan Hopman (1943-2020), a longtemps été persuadé que sa tante, qui était d'ailleurs rejetée par la famille, avait commis un choix erroné.

Entretemps, il était devenu fatalement trop tard pour y remédier, Thea Hoogensteijn était décédée d'un cancer dans une clinique à Caracas, la capitale du Venezuela, à Noël 1956. Elle avait 38 ans !

Pendant de longues années Jan Hopman a fouiné dans le passé de sa tante et compulsé extensivement toutes les archives néerlandaises et allemandes existantes, y compris celles pour lesquelles il fallait une autorisation spéciale. Il s'est aussi entretenu avec de nombreuses personnes qui l'ont connu personnellement ou étaient au courant de son engagement clandestin et périlleux.

De ce témoignage publié en 2016, il s'avère clairement que l'aide de Thea à la résistance a été importante. Elle a copié plein de documents vitaux venant du quartier général du service de sécurité de Berlin à leur chef Willy Lages à Amsterdam et ses réponses au grand manitou berlinois Walter Schellenberg (1910-1952).

À un moment donné, Thea a remis sa démission au service de sécurité (peut-être le surmenage ou la peur ?) Toutefois, à la demande explicite de plusieurs des chefs de la résistance, elle a fini par demander à réintégrer son job et Lages apparemment tout content l'a repris aussitôt. Comme sa secrétaire elle s'est appliquée à faire systématiquement un double pour la résistance de tout courrier .... jusqu'à la fin.

Probablement à cause de sa vie plutôt décousue - elle a admis avoir eu par exemple pendant l'occupation 7 amants en uniforme teutonique - elle n'a, à l'heure qu'il est, toujours pas reçu l'hommage auquel j'estime qu'elle a droit.

Il est vrai aussi que beaucoup des Juifs, qui ont eu la vie sauvée grâce à elle, ne l'ont même jamais su, ou bien parfois longtemps après sa mort, lorsqu'on leur a raconté comment elle avait "corrigé" leur feuille de route pour Sobibor ou Mauthausen par une autre destination, tel un bled dans les polders en Hollande.

J'ai pensé que les aléas dramatiques de cette trajectoire peu commune méritaient d'être mentionnés ici, quand bien même s'il y a très peu de chances que l'ouvrage de son neveu, Jan Hopman, soit traduit en Français.