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Giboulées de soleil" aurait pu me plaire...
Dans ce roman polyphonique, porté par trois voix de femmes, Lenka Horňáková-Civade nous fait traverser un demi siècle d'Histoire tchécoslovaque, des années trente à l'aube des années quatre-vingt.
Magdalena entame une narration que poursuivront sa fille puis sa petite-fille, trois enfants illégitimes dans une société façonnée par et pour les hommes, où leur statut de bâtardes leur vaudra souvent mépris et rejet. Sa mère, Marie, leur fait quitter Vienne, où elle travaille comme assistante d'un gynécologue juif, alors qu'elle n'est encore qu'une enfant : fuyant les prémisses de la menace nazie, le médecin est retourné vivre auprès de sa famille "officielle"...
En réintégrant son village tchécoslovaque natal,
Marie L élégante infirmière redevient une fille de la campagne vaillante et endurcie, qui ne connait ni l'apitoiement ni la fatigue, maîtresse femme fière et indépendante, capable de gérer sa petite exploitation comme de réaliser des miracles en broderie ou de venir à bout d'un accouchement difficile.
A l'ombre à la fois protectrice et exigeante de sa mère, se languissant d'une ville dont elle n'a pourtant gardé que peu de souvenirs, Magdalena, belle fille simple et solide, aime aussi les vaches et marcher pieds nus dans l'herbe. de quoi émoustiller le fils étudiant de ses patrons qui, de retour au domaine pour les vacances, tombe sous le charme de cette saine spontanéité. Un amour d'été qui se volatilisera dans le tumulte de l'histoire, sans doute condamné dès le départ de toutes façons : l'époque est à la pulvérisation des barrières sociales et de la propriété individuelle, à l'anéantissement de cette classe dominante dont font partie les riches Feldman, bientôt chassés de leurs terres comme des parias.
La petite Libuše ne connaîtra donc jamais son père. Son véritable repère c'est Marie, à qui Magdalena l'a confiée afin de partir travailler à l'usine. Devenue adolescente, elle fréquente aussi peu que possible le foyer que partage sa mère avec un homme violent. C'est elle, âgée de treize ans, qui prend la suite de la narration avant de laisser la parole à sa propre fille, Eva, six ans.
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Giboulées de soleil" est ainsi une histoire de transmission, qui ne se limite pas à l'apprentissage de la broderie, art transmis de mère en fille... l'héritage que Marie diffuse aux générations qui lui succèdent est celui d'une dignité insoumise, de l'indépendance conquise au prix d'une certaine solitude. Dans un pays aux frontières malmenées, passant de la férule austro-hongroise à l'occupation nazie pour ensuite subir le joug du totalitarisme communiste, les héroïnes de Lenka Horňáková-Civade cherchent le chemin de leur propre liberté, et y parviendront chacune à sa manière, avec patience ou passion, intransigeance ou abnégation.
J'ai vraiment apprécié la première partie du récit, touchée par les personnages de Marie, dont on devine, sous l'armure qui lui permet de garder la tête haute, la bienveillance et la générosité, et de Magdalena, qui sous sa robustesse, sa fraîcheur et sa fougue, abrite une naïve sentimentalité et la détresse de ceux dont l'existence se fonde sur des non-dits. La suite, dont j'ai déjà presque tout oublié, m'a perdue : cette perpétuation de naissances illégitimes servant de fil conducteur finit par nuire à la crédibilité du récit. Ceci dit, j'aurais pu m'accommoder de ce bémol, mais j'ai par ailleurs beaucoup de mal avec les jeunes narrateurs qui s'expriment comme des poètes ou des sages. le langage que prête l'auteur à Libuše et Eva, entre fausse candeur et réflexion pseudo-philosophique, m'a paru inadapté.
Dommage...
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