De librairies en librairies, j'ai tourné des mois autour de cet essai, sans oser tendre le bras et l'acheter. Je repoussais. J'écoutais
Delphine Horvilleur, cette femme rabbin brillante, dans des podcasts ou à « la Grande Librairie ».
Des années sur le divan, j'en avais eu à recoudre des fantômes ! Ceux qui, comme l'autrice l'écrit, avaient attendu de « voir leur histoire reprisée » et qui s'étaient acharnés à revenir « jusqu'à [ce que j'] accepte de les voir, et de parler enfin d'eux ».
J'avais peur de leur rendre visite une nouvelle fois. Mais voilà que Karine m'offre «
Vivre avec nos morts » ! Elle est tombée juste. Je n'avais pas à appréhender, il me restait seulement à lire les mots si délicats, que j'aurais aimé savoir écrire.
Cet essai rassemble quelques-unes des vies et des deuils que
Delphine Horvilleur a accompagnés. Elle dont le coeur du travail consiste à « trouver les mots et connaître [les] gestes ». Elle qui cherche à être le « pilier d'une verticalité », à être là, présente pour les endeuillés « dans le chaos d'un monde qui s'effondre » et à incarner la « possibilité d'une stabilité ».
J'ai été bouleversée par les histoires d'Elsa, Marc, Ariane, Myriam, Edgar.
Bouleversée, non pas par la mort, mais par la vie, car ici,
Delphine Horvilleur s'adresse aux vivants et devient conteuse.
Par la vie, avec ce que nous avons traversé collectivement, comme la pandémie « venue bouleverser les rites funéraires et l'accompagnement du deuil », et même si c'est trop tard, peut-être le moment est-il venu d'y réfléchir ?
Avec ce que nous traversons, parfois, au sein de « familles où des histoires se répètent » et où « les fantômes vivent très vieux et en bonne santé, grassement nourris d'histoires riches en traumatismes. »
Face au deuil ou à la maladie, « la vacuité des mots et la maladresse de ceux (…) qui vous disent souvent des bêtises et parfois même des horreurs » : des « les meilleurs partent les premiers », « au moins, il ne souffrira plus », « vous serez à la hauteur de cette épreuve qui vous est envoyée ». Autant de tentatives gauches, censées soulager ou donner « du sens à l'insensé. »
Qui cherchons-nous à duper en utilisant les formules, « il est parti », « il est au ciel » ou « il nous a quittés » ? Est-ce parce qu'« après notre mort, chacun de nous tombe dans la question, et laisse les autres sans réponse» ?
Bouleversée par ces récits et ces mots sensibles qui reposent « la question des espaces et des séparations. Nous (qui) aimons croire que les parois sont hermétiques, que la vie et la mort sont bien séparées et que les vivants et les morts n'ont pas à se croiser. Et s'ils ne faisaient que cela, en réalité ? ».
Emue par la possibilité de choisir la vie, sans cesse réaffirmée, y compris dans nos loyautés tacites lorsqu' «il nous revient de respecter les voeux des morts, mais aussi de reconnaître la limite de ce qu'ils nous imposent ».