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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Petit traité de consolation.
S'il y a bien une chose dont on peut être certains tous autant que nous sommes, c'est qu'un jour, l'interrupteur passera en off.
Delphine Horvilleur est une conteuse érudite. Elle nous narre ce que nous n'avons pas envie de côtoyer. le départ de nos êtres aimés. Non pas le départ... La mort. Elle nous conte son accompagnement tout en empathie et douceur. Elle exprime la volonté qu'elle a de connaître qui étaient les défunts pour en traduire ce qui en faisait l'essence. Pour les rendre immortels pour la mémoire des vivants. Comme elle l'écrit "une porte ouverte entre les vivants et les morts". Des défunts connus ou anonymes, jeunes ou moins jeunes, la maladie, l'accident, l'horreur idéologique qui ont provoqué leur décès. Une exploration délicate des traditions funéraires juives. En outre, Delphine Horvilleur a une analyse précise et sans complaisance de la dégradation de la situation en Israël et les territoires palestiniens à cause des idéologies extrémistes en présence. (Et le livre date de 2021)
Bien que connaissant certaines références bibliques citées, la lecture faite par Delphine Horvilleur m'a charmée.
Il faut savoir que le mot cimetière n'existe pas en hébreu. le mot pour le dire signifie "maison des vivants".
Sans oublier quelques blagues juives savoureuses !
-Deux rescapés des camps font de l'humour noir sur la Shoah. Dieu les interrompt :" mais comment osez vous plaisanter sur cette catastrophe ?" Et les deux rescapés de lui répondre"toi tu ne peux pas comprendre, tu n'étais pas là"-
Lehaïm!
A lire absolument.
Mais ce n'est que mon avis
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Delphine HORVILLEUR. Vivre avec nos morts.

C'est avec cette citation, extraite du témoignage de Delphine HORVILLEUR que je débute ma critique : «  Et chaque génération, parce qu'elle vient après une autre, grandit sur un terreau qui lui permet de faire pousser ce que ceux qui sont partis n'ont pas eu le temps de voir fleurir. ». Cette jeune femme, rabbin a accompagné de nombreuses familles frappées par un deuil. Elle nous transmet quelques exemples qui l'ont profondément marqués. Ce documentaire nous permet d'accéder, de façon simple, aux diverses questions que se posent, les croyants, les non-croyants, les laïcs lors de la disparition d'un membre de la famille. Elle tente de répondre aux demandes de ces familles endeuillées de façon simple, compréhensive, très abordable.

J'ai suivi les obsèques d'Isaac, et comme son petit frère pose la question : « J'ai besoin de savoir où Isaac est allé. Papa et maman ne savent pas me le dire. Ils n'arrivent pas à se décider. Ils me disent que demain on va l'enterrer, et ils me disent aussi qu'il est allé au ciel. Alors je ne comprends pas : est-ce qu'il va être dans la terre ou bien au ciel ? Moi, j'ai besoin de savoir où je dois regarder pour le chercher. » ( page 112). Je suis comme ce petit garçon, face à la disparition d'un être cher. Aujourd'hui, nous foulons le sol, et demain , nous disparaissons, ensevelis dans ce sol ! Il faut trouver des mots, des gestes, des phrases afin d'accompagner les vivants face à leur chagrin. Mais n'oublions pas que nous ne sommes que de passage sur cette planète et quel que soit le rite qui ponctue nos funérailles, nous avons tous besoin d'être réconfortés, entourés, lors de cette douloureuse épreuve.

Avec des exemples concrets, Delphine nous fait part de son ressenti et de sa conduite exemplaire lorsqu'elle conduit des funérailles, de personnalités, Simone VEIL, ou sa compagne du camp de la mort de Birkenau, Marceline LORIDAN-IVANS, ou des personnes modestes comme vous et moi. Ces récits sont empreints d'humilité, de sagesse, reliant avec brio, le monde des vivants avec celui de nos morts. Je recommande à tous la lecture de ces témoignages sobres, poétiques et même humoristiques, relatant la vraie vie. Je pense que comme moi, vous rirez en lisant l'organisation, millimétrée, chronométrée de Myriam, une New Yorkaise qui a planifié sa propre cérémonie. Merci pour ces récits vivants qui nous permettront d'être plus sereins lorsque la dernière heure nous happera. Non ce documentaire n'est pas triste, il y a beaucoup de connivence, d'humour. Aussi je vous souhaite une bonne lecture et une bonne journée. Il nous transmet une belle leçon de vie.
( 14/01/2024).
Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Après avoir vu le passage de Delphine Horvilleur à La Grande Librairie, j'ai décidé d'acheter son livre Vivre avec nos morts; petit traité de consolation. Pourquoi? Je trouve le travail de cette femme fascinant. Elle est un «rabbin laïc». Alors que nos sociétés deviennent de plus en plus laïques, je souhaitais en apprendre un peu plus sur ses motivations à embraser cette profession qui pour la plupart du temps apparaît réservée au sexe masculin. Il me semble que lorsque je pense à un rabbin, je vois un monsieur sérieux, en robe noire, avec de longs cheveux et une barbe. Je ne pense pas à une femme dans la quarantaine aux yeux vivants et aux cheveux bouclés. En plus, le sujet de ce bouquin a capté mon attention, c'est-à-dire ce vivre avec nos morts. Nous avons tous perdu quelqu'un de proche. Alors, comment vivre sans l'autre? En ce sens, je me demandais ce qu'une rabbine allait m'apprendre sur le sujet… Donc, c'est avec ce bouquin que j'ai amorcé 2024!

Vivre avec nos morts de Delphine Horvilleur

Dans ce «petit traité de consolation», Delphine Horvilleur aborde les expériences qu'elle a vécues alors qu'elle accompagnait les familles endeuillées durant les obsèques de personnes connues ou inconnues. Ainsi, elle présente 11 histoires toutes plus étonnantes les unes des autres où en tant que rabbine elle doit tisser des liens entre les vivants et la mort ou les morts. Par exemple, elle parle d'expérience personnelle comme la perte de sa meilleure amie Ariane ou moins personnelle celle d'un membre de l'équipe de Charlie Hebdo, Elsa Cayat. Il est aussi question de Simone Veil et de Marceline Loridan, les filles de Birkeneau. Celle qui m'a particulièrement touchée, c'est lorsqu'elle explique à un jeune garçon que son petit frère est parti pour toujours et qu'il apparaît bien difficile de trouver un sens par le biais de différentes métaphores pour tenter de donner une explication simple. L'enfant est confus devant ces dernières : il va être enterré (sous terre) ou il est au ciel. Où ce trouve mon petit frère? Dans la terre ou au ciel? Delphine Horvilleur possède une belle plume et elle a l'art de raconter son vécu en tant que rabbine. Parfois, elle a recours à l'humour (les blagues juives placées ici et là) et à d'autres endroits à des extraits de textes bibliques, poétiques, philosophiques, etc.

Mais encore, j'ai développé mes connaissances sur les rites juifs ou du judaïsme (le symbole du caillou sur une tombe) par le biais de leurs termes (cimetière en hébreu signifie «jardin des vivants»). Bien évidemment, il y a des histoires tributaires de la Bible dont j'ai entendu parler comme celle de Caïn et Abel ou encore de Moïse qui ne voulait pas mourir. Cependant, je ne connaissais pas le rôle du rabbin dans le processus de la mort.

«Le rabbin ou l'officiant ne peut, ni ne doit, être dans la parfaite empathie avec ceux qu'il épaule. Précisément, il se doit de ne pas se faire sienne la douleur de ceux qu'il accompagne, et d'être le pilier d'une verticalité qui les a abandonnées. » (p. 126)

Delphine Horvilleur est très cultivée et elle réussit à transmettre ses connaissances à sa lectrice et à son lecteur, sans jugement. Lire son essai, c'est aller à la rencontre de celle qui agit comme un pont pour relier le monde des vivants à celui des morts. La finitude fait partie de la vie et ce livre aide à faire la paix avec nos fantômes pour continuer notre petit bout de chemin en leur honneur.

J'ai apprécié aussi connaître cet élément car j'adore les mots et leur signification.

«En français, comme dans la plupart des langues, il n'existe aucun mot pour désigner celle ou celui qui perd un enfant. Perdre un parent fait de vous un orphelin, et perdre un conjoint fait de vous un veuf. Mais qu'est-on lorsqu'un enfant disparaît? » (p.103)

Intéressant non? Je n'avais jamais réfléchi à cette absence de terme dans les langues.

Plus que tout, ce livre s'avère un vibrant hommage à la vie. Il ne faut pas oublier l'oxymoron du titre. Alors, «LeH'ayim !» – « À la vie! » se doit d'être célébré par respect pour ceux qui nous ont quittés, pour que nous les célébrions. Comme la rabbine l'a mentionné au journal le Monde sur le thème de la mort :

«Si ce thème peut effectivement sembler un peu pesant, j'ai cherché au contraire à offrir des récits qui, face au surgissement de la mort, font gagner la vie et ne lui laissent pas le dernier mot. Quand les gens meurent, ce n'est jamais de leur fin ou de leur tragédie qu'il faut parler, mais de la vie et la façon dont ils l'ont célébrée. D'où le titre du livre, Vivre avec nos morts

Je ne peux que vous recommander cet essai. C'est intelligent, c'est rempli de vérité et d'humanité. Je crois que je vais m'y référer assez souvent.

Connaissiez-vous cet essai? Que pensez-vous de ce dernier?

https://madamelit.ca/2024/01/06/madame-lit-vivre-avec-nos-morts-de-delphine-horvilleur/
Lien : https://madamelit.ca/2024/01..
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Un livre merveilleux d'humanité profonde et intelligente. Un livre qui accompagne nos réflexions sur la vie et sur la mort, la transmission, l'écoute et le partage, sur ce qui nous rassemble.
Un livre qui doit être savouré et dégusté avec lenteur, afin de s'en imprégner au maximum et de laisser le temps aux pensées provoquées à cette lecture de s'épanouir et prendre forme.
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Je précise tout d'abord que ma lecture, ma compréhension et mon appréciation de ce livre n'engagent que moi, c'est un avis tout personnel.

Derrière ce titre en forme d'oxymore, Delphine Horvilleur parle de la mort, de sa vie de femme et de rabbin confrontée à des morts diverses et variées et à ceux et celles qu'elle accompagne dans sa fonction de rabbine. Et ce n'est pas parce qu'elle est « habituée » comme on le lui dit souvent qu'elle apprivoiserait la mort sans aucune crainte.

Les différentes histoires qu'elle nous raconte ont des liens avec sa vie personnelle de femme, d'étudiante, de rabbine. Elle commence par les funérailles d'Elsa Cayat, assassinée le 7 janvier 2015, plusieurs mois après, celles de Marc, son correspondant avec qui la psychanalyste de Charlie Hebdo allait écrire un livre. Elle nous parle avec chaleur et respect des deux amies, Marceline Loridan-Ivens et de Simone Veil, les filles de Birkenau devenues des icônes des droits des femmes. Elle évoque son amie Ariane, emportée bien trop tôt par une tumeur au cerveau, dont elle a accompagné la fin de vie sur le fil étroit entre amie et rabbin. Elle raconte Myriam, rencontrée quand Delphine Horvilleur étudiait à New York, une vieille juive américaine obsédée par la préparation de ses funérailles. Elle nous parle de son oncle Edgar, enterré en Alsace. Elle raconte aussi des figures bibliques, Isaac, Ismaël, Jacob, et le grand Moïse qui vécut jusqu'à 120 ans, mourut, nous dit la Torah, en pleine force de l'âge et dont personne ne connaît la tombe.

Autant de récits, bibliques ou non, qui disent la vie, la mort, la peur de la mort, l'incompréhension, le chagrin, qui tissent des liens entre le visible et l'invisible, entre ce que l'on vit et ce que l'on croit de l'au-delà. Des extraits de la Torah éclairent avec à-propos les histoires individuelles, ils sont particulièrement intéressants (à mon sens) parce que les traductions apportent une fraîcheur, un éclairage nouveau et qu'elles sont intimement mêlées aux interprétations proposées au long des temps par le Talmud, entre autres. Les histoires rencontrées interpellent donc la rabbine dans sa vie personnelle et tissent des liens précieux. L'humour n'est pas exclu et j'y ai goûté d'excellentes blagues juives.

A la fin du livre, Delphine Horvilleur évoque l'assassinat d'Itzhak Rabin en 1995. On comprend entre les lignes que l'auteure défend un sionisme ouvert, un sionisme qui laisse la place à l'autre, qui reconnaît qu'il n'est pas seul sur le terrain. Lire cela m'a fait du bien en ce moment où la « Terre sainte » résonne de violence, d'horreur et de prises de pouvoir insensées au détriment des populations civiles israéliennes et palestiniennes. Lire Delphine Horvilleur, c'est entendre sa voix musicale, souvent sollicitée dans les médias, c'est entendre une voix ouverte, chaleureuse, attentive à tous. Une voix qui dit que la religion peut être une source de vie, de bon vivre ensemble. Une voix libre.
Lien : https://desmotsetdesnotes.wo..
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Elle a cette personnalité qui l'impressionne . Un puit de sagesse et d'intelligence.
En accompagnant des proches ou des inconnus en deuil, Delphine tisse des liens avec les traditions juives.
Liens tissés ,un peu comme une couturière ,cette conteuse nous émeut par ses témoignages. Les grandes questions existentielles de la vie et de la mort touchent petits comme grands . Nous en apprenons beaucoup sur la fin de vie , sur le deuil et sur les rites des uns et des autres ,croyants ou non .
Les protestants et les juifs se rejoignent dans l'accompagnement des endeuillés de bien des façons .
Nous sommes tous appelés à être consolant et consolés car la mort fait partie de la vie .
J'ai été vraiment émue par ses témoignages, et je ressors un peu différente suite à cette lecture.
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C'est un livre édifiant comme on n en lit pas souvent. La construction travaillée dans chaque chapitre entre histoire de vie / ancrage dans les textes bibliques / témoignage personnel est très intéressante et permet d'aller plus loin que le simple témoignage de vie.
J ai été particulièrement touchée par le chapitre sur Moïse : l image des pas laissés derrière soi quand on meurt.
En bref je retiens très chaudement dans mon coeur : la mort et sa célébration doit être pleine de la vie du défunt.
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ATTENTION : c'est une lecture personnelle, avec des défauts que vous pouvez me signaler, avec des détails qui peuvent paraître ennuyeux pour certaines personnes.


« Je me souviens de la première fois où j'ai vu un mort. C'était à Jérusalem et c'était une femme. J'étais alors étudiante en médecine et notre semestre était consacré à l'anatomie » p.17.

Delphine Horvilleur est maintenant rabbin. Elle « voit » Azraël, l'ange de la mort, qui vient toquer à nos portes, « une épée à la main ». Elle nous exhorte à ruser, à ne pas le laisser entrer, à lui jeter un sort avec un toast « LeH'ayim ! à la vie ! ».

[…] « Nous aimons croire que les parois sont hermétiques, que la vie et la mort sont bien séparées et que les vivants et les morts n'ont pas à se croiser. Et s'ils ne faisaient que cela en réalité ? » p.16-7

Elle-même prend le temps, après chaque office, de se laver longuement les mains, pour se purifier, et éloigner la mort.

Sauf que parfois Azraël force l'entrée et frappe de façon cruelle et inattendue, comme pour le premier ministre Yitzhak Rabin, tué par deux balles tirées à bout portant dans son dos, alors qu'il venait de prononcer un discours pour la paix dans une grande place publique de Tel Aviv , ou pour le meurtre terroriste d'Elsa Cayat, la psychanalyste de Charlie Hebdo, dont l'enterrement fait l'ouverture de Vivre avec nos morts.

« Je vous présente Delphine, notre rabbin. Mais ne vous inquiétez pas, c'est un rabbin laïc ! » s'empresse de dire Béatrice, la soeur d'Elsa, en la prenant par la main.

Delphine Horvilleur est perplexe : « Je n'ai pas trouvé quoi dire, et suis restée muette. S'agissait-il d'une plaisanterie ? Y avait-il un malentendu sur ce qu'on attendait de moi ? Quelle fonction devais-je remplir. »

La famille Cayat est profondément athée et Elsa était attachée à « la laïcité et à l'esprit Charlie où elle avait installé son célèbre divan ».

Grâce à Béatrice, elle sait ce qu'elle va raconter, la légende du four, tirée du Talmud.

Rabbi Eliezer s'affronte à d'autres sages pour affirmer que le four est pur, qu'il peut être utilisé pour des rites, et pour prouver qu'il a raison il déclenche plusieurs miracles : le déracinement d'un arbre, la déviation du cours d'une rivière – sans convaincre ses détracteurs -, alors il décide d'ordonner aux murs d'une maison de s'effondrer et, sitôt dit, ceux-ci se mettent à trembler et à s'affaisser, en menaçant les sages de les écraser.
Ces derniers s'offusquent : « de quoi vous mêlez-vous ? Quand les sages débattent entre eux, cela ne vous concerne pas. »
Les murs interrompent leur chute et restent figés tandis que Rabbi Eleizer déclare : « Si j'ai raison et que mon avis est le bon, une voix céleste viendra le confirmer. » le verdict de Dieu est sans appel : « L'avis de Rabbi Eliezer est conforme à la loi. »
Rabbi Joshua s'adresse à l'Éternel : « La Thora n'est pas aux cieux. »
Dieu se met à rire et décrète : « Mes fils m'ont vaincu, mes fils m'ont vaincu » p. 31-2

C'est un rire d'impuissance, le rire d'un père dépassé par ses fils.

« Sur la tombe d'Elsa, on a gravé LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ. […]. Pendant de longs mois, l'extrait du Talmud que j'avais cité est resté posé […] sous une pierre, dans une pochette plastifiée » p. 36-7

« Qu'est-ce que c'est qu'un rabbin ? […] Nos récits sacrés ouvrent un passage entre les vivants et les morts. le rôle d'un conteur est de se tenir à la porte pour s'assurer qu'elle reste ouverte » p. 16

« le mot « H'ayim », la vie est un pluriel [qui en hébreu] n'existe pas au singulier […], chacun de nous a plusieurs vies, non pas successives mais tressées les unes aux autres, comme des fils qui se croisent […], nos vies font tapisserie jusqu'à ce que nous puissions en défaire les noeuds en racontant des histoires […]. Tout au long des siècles, une étrange histoire d'amour a lié les juifs au tissu, et bien des blagues juives en gardent la trace » p. 26

[…] « le nom « Cayat » signifie « couturier » en hébreu et en arabe » p. 26

Les morts sont enterrés sans cercueil en Israël, dans un linceul blanc qui doit être cousu aux extrémités, cette couture scelle leur départ. Par ricochet lorsqu'un tissu est décousu, il faut empêcher la mort de s'immiscer. Pour conjurer le sort, il faut mâcher pendant la retouche.

[Métaphore] « Une génération en hébreu est une rangée d'un panier. Elle s'attache à la force de la précédente et anticipe la consolidation de la suivante […]. La Shoah […] a fait des béances « intissables » p.75

Sarah vient de mourir. Son fils appelle Delphine Horvilleur. Il ne connaît pas grand-chose ni à la tradition juive, ni à la vie de sa mère qui est une rescapée d'Auschwitz.

« J'écoute ce fils m'évoquer sa mère et je me demande comment je vais pouvoir raconter cette histoire le lendemain au cimetière à ses proches réunis. Que dois-je y faire résonner ? » p.73

Elle conclut : « Pour raconter Sarah, il faut dire L Histoire et pas seulement la sienne, rappeler ce que l'Homme à fait à l'Homme, à travers cette femme, pour que chaque génération s'en souvienne » p.74

« le lendemain de ma conversation avec le fils de Sarah, je suis arrivée tôt au cimetière. Je voulais voir à quoi ressemblait le panier et ses morceaux éparpillés. Je voulais [connaître et interroger ses proches] » p. 77.

Elle se trompe de cortège avant de se rendre compte que pour l'enterrement de Sarah, elle est toute seule avec le fils. Elle est troublée parce qu'elle doit officier sans « minyam », quorum de dix personnes nécessaire pour qu'une prière soit valable. Elle explique au fils que le « kaddish » est la prière des endeuillés, que doit réciter une personne désignée, par exemple un fils.

J'ai bien ri car je l'ai imaginé très sérieuse, en train de se préparer pour son office. Il y a beaucoup de passages drôles dans ce livre au titre macabre. J'ai beaucoup aimé le récit de Myriam.

Delphine Horvilleur donne des cours d'hébreu dans une synagogue de Manhattan, à des femmes de la haute société, parmi elles, se trouve Myriam, qui semble plus âgée, qui est « drôle et légère » (p.147), qui ne manque jamais d'apporter thermos et pléthore de victuailles. Un jour Myriam se confie : elle n'a pas toujours été comme ça, elle a souffert d'une profonde dépression pendant plusieurs années. Elle passait son temps à mettre en scène ses funérailles, jusqu'au jour où sa fille Ruth l'a conviée pour un soi-disant shopping (p.156) alors qu'il s'agissait de fausses funérailles, avec toute la mise en scène que Myriam avait prévue.

Voici l'incipit de Vivre avec nos morts :

« Juste avant le début de la cérémonie au cimetière, mon téléphone sonne […]. Souvent, lorsque [mes] amis m'appellent, ils me demandent en plaisantant qui est mort aujourd'hui, et comment va la vie au cimetière. »

« Un jour, mon téléphone sonne » p. 127. C'est le mari d'Ariane, sa « presque moi », qui lui annonce que son amie est atteinte d'un cancer du cerveau incurable. Épreuve doublement difficile, c'est un drame intime qui la conduit à transgresser la séparation entre sphères privée et « professionnelle ».

« Ariane m'a demandé solennellement si, pour elle, je serais capable de me dédoubler, et si j'accepterais à partir de cet instant de ne plus être simplement son amie, mais de devenir aussi son rabbin » p. 134

Pour les obsèques de Simone Veil, ses fils Jean et Pierre-François lui demandent d'officier auprès du Grand Rabbin de France. Un média juif parle d'intox.

Le ton badin nous permet de digérer la profondeur des propos. Delphine Horvilleur reste humble et s'interroge, sans cesser de continuer à étudier les textes saints qui ne donnent pas de réponses, juste des pistes.

Son petit frère Isaac est mort subitement, il veut savoir où il se trouve.

« Faut-il dispenser aux endeuillés un cours d'histoire ? Non, bien entendu. Mais rien n'interdit de leur faire tout de même entendre les voix qui parlent en polyphonie au sein de la tradition juive » p. 119

« J'ignore où se trouve exactement Isaac. Mais je sais que sa famille, avec un amour éternel, continuera à le chercher, et parlera tous les langages d'une tradition qui garde en vie la question que sa mort pose » p. 124


C'est un livre merveilleux qui nous prépare en douceur à la mort et qui nous console de la mort de nos proches, et aussi qui nous permet de nous initier au judaïsme, de connaître Delphine Horvilleur, en tant que femme et en tant que rabbin.

L'écriture est fluide, élégante et imagée.

Ce billet reste ouvert, ma lecture n'est pas terminée et je serais ravie que vous me fassiez des commentaires, pour le compléter, pour le critiquer, pour l'amender.
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Le sous-titre est très juste : petit traité de la consolation.
Enfin un livre de quelqu'un qui sait se mettre à une bonne distance de la religion pour parler au coeur des gens en deuil. Cette rabine laïque explique pourquoi on ne peut pas comprendre et comment vivre avec. Elle défend la foi quand on peut discuter des écrits, de ne jamais cesser de se questionner et surtout pouvoir engueuler Dieu de temps en temps.
Ce livre est structuré en consacrant chaque chapitre à une personne différente et commence par Elsa Cayat de Charlie Hebdo.
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Quand j'ai acheté ce livre, je ne savais pas qu'il avait été récompensé par un prix des lecteurs de Babelio, mais je peux vous assurer qu'il le mérite amplement et il a été mon livre de chevet durant cet été 2021. Dans son introduction, Delphine Horvilleur compare son métier de rabbin à celui de conteur, et du coup elle est véritablement une conteuse hors pair. Elle puise des exemples dans sa vie professionnelle ou personnelle, dans ses références religieuses ou philosophiques et n'hésite pas à mettre une bonne dose d'humour dans son propos.
"Vivre avec nos morts", c'est assurément une partie du ministère de rabbin. C'est rendre hommage aux personnes disparues, mais aussi aider leurs proches à vivre ce moment particulier du deuil et de la séparation. Delphine Horvilleur l'a fait avec des personnes très différentes connues ou non, dans des circonstances tragiques ou avec plus d'humour, à Paris comme à New-York.
"Vivre avec nos morts", c'est aussi continuer à vivre avec ces personnes disparues, parfois avec le non-dit qui entoure leur disparition, comme ce fut le cas pour une partie de la famille de Delphine Horvilleur lors de la Shoah. C'est aussi garder le souvenir de ces vivants qui nous ont précédés comme quand elle relate sa visite au cimetière juif de Westhoffen.
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