Le cimetière en hébreu se dit "maison de la vie".
Dans la Bible on dit que les morts vont dans un lieu qui s'appelle le "sheol" ; le "sheol" veut dire en hébreu "la question". En fait, quand on meurt on tombe dans la "question".
Je crois que cette introduction pose les bases à partir desquelles le rabbin auteur
Delphine Horvilleur, dont le métier consiste - pour partie - à accompagner les endeuillés ou les mourants, peut appréhender les questions obsédantes et récurrentes qui sont les trois questions essentielles des uns et des autres :
- "Où vais-je aller ?" Traduisez qu'y a-til après la mort ?
- Et "Où est-il ou où est-elle ?" Là, il faut traduire : y at-il une vie au-delà de la vie terrestre et à quoi ressemble-t-elle ?
- "Le, la retrouverai-je ?" La grande question sur la résurrection et l'immortalité de l'âme.
Dans cet ouvrage de témoignage et de réflexion, DH nous conte - parce qu'un rabbin n'est en somme qu'un conteur - les rencontres qu'elle a été amené à faire via les endeuillés ou les mourants.
Se référant à sa culture "théologique", mais globalement à son incontestable érudition - elle a fait quelques études de médecine qu'elle n'a pas achevées c'est lors d'une séance en salle de dissection qu'elle a eu affaire à son premier contact avec un corps mort... une femme dont les ongles fraîchement vernis lui ont fait toucher du doigt ( pas de vilain jeu de mots ) l'impermanence de l'existence et la superfluité de l'instant -, des études de journalisme, de philo et a obtenu un diplôme de rabbin à New York - , à son parcours de vie, à son héritage d'enfant juive dont une partie de la famille n'est pas revenue d'Auschwitz, à son engagement politique à gauche, à son militantisme sioniste inscrit dans l'héritage d'
Yitzhak Rabin, à son identité de "rabbin laïque"... adopté lors des obsèques d'
Elsa Cayat, la "psy de Charlie" assassinée par les frères Kouachi (vous lirez et comprendrez ), à "l'enfant d'Israël" - elle est née à Nancy mais avait voulu fuir les cimetières d'Europe - qui a définitivement choisi la France, à la mère française dont l'un des fils veut aller vivre en Israël, à l'amie intime d'une des "deux filles de Birkenau" (
Simone Veil - un modèle - et
Marceline Loridan... davantage qu'une amie ), à la petite-nièce d'un grand- oncle enterré au cimetière alsacien de Westhoffen - cimetière profané ...
"Dans ce minuscule village alsacien, sont enterrés les ancêtres d'illustres familles : les aïeux de Robert Debré, mais aussi ceux de
Karl Marx, et de Léon Blum. Y reposent les ancêtres du Grand Rabbin Guggenheim, ceux du mathématicien
Laurent Schwartz ou de la journaliste
Anne Sinclair.
Le tout petit cimetière israélite de Westhoffen fait un peu figure de Who's Who funéraire des grandes lignées juives françaises."
En passant par le témoin de notre époque où la mère d'Ilan Halimi fait exhumer la dépouille de son enfant martyrisé par "le gang des barbares", pour que son fils puisse reposer en paix en terre d'Israël ( j'ai repensé à Zemmour... beurk !!! ), parce qu'en France les stèles à sa mémoire sont régulièrement vandalisées, qu'elle craint qu'on ne s'en prenne à sa sépulture et qu'on continue à s'acharner sur son malheureux enfant, et que dans ce pays, comme dans d'autres, certains haïssent tout autant les Juifs vivants que les Juifs morts...
Delphine Horvilleur nous raconte onze histoires qui tournent autour de la mort et de la vie.
Du passage entre les deux.
De la trace laissée en chacun de ceux qui l'on connu par celui ou celle qui est parti(e).
Avec sérieux, gravité mais aussi distance et humour.
"Car si nous ne savons pas ce qu'il y a après la mort... après la mort il y a ce que nous ne savons pas."
Et parce qu'aussi, comme disait
Romain Gary : "Au fond, si la mort n'existait pas, la vie perdrait son caractère comique"
Le tout fait un livre brillant, sans aucun prêchi-prêcha religieux, sans aucun prosélytisme, sans moraline.
Des questions, du doute auxquels répond l'humilité de " ceux qui ont pris le parti de ceux qui ne sont pas sûrs d'avoir raison."
"La mort ne se dit pas. Ce qu'on peut dire, c'est la vie de ceux qui partent et essayer de faire entendre à une oreille ce qu'une bouche a dit et n'a pas pu entendre. Comprendre ce qui fait qu'une vie qui est partie se tisse à la nôtre."
Onze vies d'anonymes ou de personnalités.
Onze témoignages où l'on est invité à ne pas oublier que " Buée des buées, tout est buée !", mais que cela ne doit pas nous empêcher de lever notre verre et de porter un toast " le H'ayim !"... " À la vie !"
J'aurais aimé que
Delphine Horvilleur me raconte la vie de Christelle, ma fille aînée et de
Monette, ma maman... parce que lorsque je les ai racontées, je ne les ai pas entendues.
Un livre de chevet.