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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'incipit est superbe, promenant son regard dans une demeure bourgeoise de Campden Hill. Nous sommes en 1950 chez les Fleming pour un diner célébrant les fiançailles du fils. Mais la fête est bien peu joyeuse. La plume caustique d'Elizabeth Jane Howard balaye les différentes pièces qui accueillent ce très empesé rituel social, se pose sur les personnages et plus particulièrement sur Antonia, la mère, 43 ans, qui semble constater avec résignation, émotionnellement épuisée, le froid avenir qui l'attend : des enfants promis au gâchis amoureux, son propre mariage à bout de souffle.

« Elle se brossa les cheveux, se peigna, se coiffa, en se demandant à quel âge les gens étaient les plus vulnérables. Lorsqu'ils étaient très jeunes, pleins de cette merveilleuse résilience, amoureux d'eux-mêmes et de quiconque les aimait ? Plus tard, quand ils pouvaient comparer leurs expériences passées et que celles du futur commençaient de s'amenuiser ? Ou plus tard encore, au milieu de la forêt, quand les arbres devant eux étaient si tristement semblables à ceux de derrière, les broussailles de leur passé s'accrochant à eux et les lacérant au passage ? Peut-être fallait-il attendre le moment où même pour les myopes, l'inexorable fin était en vue – la petite clairière où s'allonger, immobile, et s'endormir du sommeil des morts.

J'ai rarement lu un roman qui décrit et affine avec une telle acuité le statut changeant d'une femme née dans un milieu bourgeois de la première moitié du XXème siècle, à une époque où les hommes n'ont pas à expliquer leurs actes ni à s'en justifier, alors que la plupart des femmes vit dans la quête de leur approbation et la dépendance qui s'en suit.

Le récit est divisé en cinq sections. de 1950 à 1926, les chapitres remontent le temps pour raconter à rebours la chronique intime du mariage malheureux d'Antonia avec l'odieux Conrad qui lui balance cruellement, avec une désinvolture inouïe : « J'ai été extraordinairement amoureux de toi, autrefois. »

Au fil de cette chronologie inversée, l'autrice dévoile les différentes strates de ce mariage, révélant les moments clés, les signes avant-coureurs du désenchantement à venir, les lignes de fractures qui se creusent. On pourrait penser que ce dispositif pourrait annuler le suspense ; au contraire, j'ai trouvé qu'il l'entretenait. Elizabeth Jane Howard maîtrise totalement sa narration, maniant brillamment les ellipses temporelles, sachant précisément quand et comment interrompre le fil pour passer à la séquence suivante.

Au départ, Antonia semble une étrangère que l'on regarde à distance comme on regarderait une femme aisée vivant dans l'opulence que l'on jugerait indécente de se plaindre. Et puis, au fil des pages, elle perd de sa raideur, on oublie son statut social et on voit juste une femme qui a été mère, épouse, jeune mariée, jeune fille, pion décoratif façonnée par ses parents puis son mari. On reçoit les échos qui ont été semés à travers le portrait des personnages féminins secondaires semblant former un triste choeur féminin. Elle se fait progressivement chair jusqu'à la dernière section (1926) où on comprend tout ce qui a fait ce qu'elle est en 1950. Et cela m'a profondément touchée de pénétrer ainsi dans l'intimité d'Antonia.

Je n'ai pas lu la saga des Cazalet. C'est donc avec La Longue vue que je découvre cette écrivaine anglaise. Et je suis totalement sous le charme de l'élégance de son écriture, de la précision de ses phrases qui capturent admirablement les émotions, les flots d'angoisse souterrains comme les espoirs ou les vulnérabilités. Sans tapage ni fracas, avec subtilité et une intelligence teintée d'une ironie désenchantée qui pourtant reste empathique.

Il faut vraiment que je lise Etés anglais !!!
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« Puis ce serait la fin de cette charmante réception : Julian raccompagnerait June ; Mrs Fleming se retrouverait dans le salon avec des cendriers, des verres de brandy, des coussins aplatis et, peut-être, Mr Fleming. C'est là, se dit-elle, le seul élément un tant soit peu incertain de la soirée. »

Antonia Fleming est chargée ce soir-là d'organiser un dîner avec quelques amis afin de célébrer les fiançailles de son insignifiant fils aîné avec une jeune fille aussi naïve qu'insipide. A 43 ans, elle tient deux maisons, la principale et la secondaire, et se livre à toutes les activités supposées d'une épouse. Coquette et féminine, elle sait arranger ses intérieurs et ses toilettes, converser élégamment et trouver les tournures nécessaires pour alimenter plaisamment les conversations de salon, cocktails et autres mondanités auxquelles elle participe diligemment. Dans une solitude radicale et désespéré. Dans le désespoir de qui a raté sa vie. « Il était trop tard pour pleurer la perte des désirs qu'elle avait autrefois nourris pour elle-même, en son for intérieur : elle avait été aimée, caressée, façonnée, dominée, protégée, laissée de côté ; tant et si bien qu'à présent, même son goût pour le papier peint que méprisait son mari avait pris la teinte de son mépris. Les rares occasions où elle avait eu l'illusion de s'affirmer étaient elles-mêmes des conséquences directes de leur vie commune. »

Les premières pages de la Longue Vue surprennent par l'alliage dont elles sont constituées : tristesse radicale et pragmatisme plein d'humour. Au fiasco que constituent les vies de ses enfants, aux présences et absences toujours provocatrices et agressives de son mari, Antonia oppose un flegme, un quant-à-soi aussi remarquables qu'amusants. Qu'on l'aime et qu'on la plaint cette pauvre femme entourée d'abrutis et d'ingrats ! Et qu'elle est drôle aussi ! Ainsi décrit-elle la fille de douze ans d'une amie chez qui elle est conviée pour un cocktail : « Mrs Fleming avait peine à croire que Maureen soit aussi repoussante qu'elle en avait l'air : elle ressemblait à un petit cochon habillé en Daniel Neal : pourtant l'étendue de son manque d'attrait était plus vaste encore que celle d'un cochon. Elle se tenait maintenant devant Mrs Fleming, les joues bouffies et la mine hostile : « Ces boucles d'oreilles sont hideuses, fit-elle, on dirait de la fiente d'oiseau. » » Vous m'en direz tant !

Avec une franchise rafraichissante et scandaleuse, Elisabeth Jane Howard croque les femmes superficielles, les hommes sots, les situations compromettantes où il faut faire bonne figure et tenter de se montrer moins stupide que les gens que l'on a en face de soi. Gourmandises acidulées sur fond de désastre secret et poli.

Et n'allez pas croire que cela s'arrangera avec le temps. L'autrice, maitresse dans l'art de l'ironie tragique, impose à son roman une chronologie inversée : nous commençons en 1950 pour reculer au fur et à mesure des parties qui se succèdent : 1942, 1937, 1927 et pour finir 1926, lorsqu'Antonia n'a qu'à peine 19 ans, que tout semble possible.

Passées les premières pages, pris au piège de cette temporalité déjà achevée, il nous faut alors, sans même savoir de quoi elles seront constituées, espérer devenir nostalgiques des années passées que la suite va nous raconter. Nous voilà endeuillés d'une jeunesse encore inconnue qu'on rêve néanmoins de lire meilleure que ce qui précède tout en même temps qu'explicative de toute cette tension, de toute cette tristesse qui sourde des premières pages. Ce n'est rien gâcher que de révéler que, sur ces deux points, on sera pleinement déçus : tristes seront également ces premières années et peu évidentes les raisons qui expliqueront la situation dans laquelle nous avons saisi Mrs Fleming à l'incipit de la Longue vue.

Il y a tellement de moyens de faire du mal aux autres : être suffisant, disparaître, opposer une hypocrisie de façade ou laisser son seul désir de possession guider ses actes. Chacun des personnages masculins incarne une ou l'autre de ces possibilités laissant Antonia dans un dénuement absolu. Serait-ce alors qu'il faudrait s'exempter de toute relation ? Toute enfant, déjà délaissée, Antonia aurait-elle dû se résoudre à ne compter que sur elle-même et ne passer par aucun tiers pour se définir ? Ou affirmer son caractère au point de saccager la vie des autres comme le font les rustres du roman ? Ce serait difficile car Antonia n'a pas l'air de savoir exactement qui elle est, ni ce qu'elle veut. C'est un trait qu'on pourrait dire propre à une époque et à la gente féminine : la société anglaise de l'entre-deux guerres n'était pas la plus à même de révéler la personnalité profonde d'une jeune fille de bonne famille. Les femmes ont été conditionnées à se plier à être ce qu'on attend qu'elles soient.

Mais on passerait à côté du livre si on se cantonnait à cette seule lecture féministe ou sociohistorique. Il n'y a pas que les femmes qui soient les insectes prisonnières de cette glue qu'est la vie mondaine d'avant-guerre. Antonia, Conrad, Aminata, Wilfrid, Imogène sont perdus, chacun à leur manière, se débattant aveuglément dans un fonctionnement dont les dégâts éclaboussent leur entourage. La haute société anglaise n'est que le cadre dans lequel s'inscrivent ces errements, le révélateur et non la cause.

Malgré leur turpitude, leur lâcheté et leurs échecs, Elisabeth Jane Howard ne déteste pas ses personnages et son écriture n'a pas la charge de qui règle ses désappointements par une exécution en règle. Même les plus odieux, et Mr Fleming est à ce titre un monument d'arrogance, d'opacité et de redoutable détestation larvée de lui-même, même les plus odieux ont leurs élans, leur prétention à aimer réellement. Evidemment, les conséquences sont à la hauteur de leurs défaillances et ce sont encore des vies qui s'effondrent. Mais ils y ont mis tout leur coeur et la narratrice le sait.

Dans la continuité de la Saga des Cazalet, je m'attendais à être bercée par une jolie histoire aux couleurs pastel à peine réhaussées d'un trait plus vif de clairvoyance amusée. Dans le décor parfaitement rendu d'une existence bourgeoise codifiée, avec la finesse, le style et l'humour d'une grande autrice, j'ai été cueillie par un livre exceptionnel parlant de notre tragique condition humaine. de l'impossibilité à vivre avec les autres. de l'impossibilité à faire sans eux.
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L'auteure de la formidable saga des Cazalet revient avec un roman qui nous raconte la vie d'une femme, mais plutôt que de raconter l'histoire de façon chronologique, de sa jeunesse à sa vie de femme adulte, mariée et mère de famille nous allons suivre cette histoire à l'envers.
Tout commence en 1950 quand Antonia Fleming, 43 ans, prépare la fête de fiançailles de son fils et prend conscience que son propre mariage est un échec.
L'auteure a choisi de nous décrire la vie d'Antonia à 5 époques différentes, 1950, 1942, 1937, 1927 et 1926, à chaque fois, nous suivrons Antonia durant quelques jours particulièrement révélateurs. Cette construction originale nous permettra de comprendre pourquoi son union avec Conrad était vouée à l'échec dès le début.
J'ai été émue par cette femme, bien qu'elle semble assez fade et guère intéressante quand on fait sa connaissance en 1950, mais peu à peu son passé nous apprend comment elle s'est construite et j'ai trouvé le procédé intéressant.
Un roman qui se lit d'une traite, malgré la tristesse du propos.
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Ce roman remonte le temps, la vie d'une femme se déroulant ici dans le sens contraire des aiguilles de l'horloge. de son statut de mère lassée, déjà, elle redevient jeune mariée puis fille enamourée, innocente et touchante dans sa candeur. Avec un sens du détail brillant et une attention aux décors aussi sensible que celle portée aux sentiments, Elizabeth Jane Howard confirme plus que jamais qu'on l'a sous-estimée pendant beaucoup trop longtemps (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2024/02/08/la-longue-vue-elizabeth-jane-howard/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Ce roman publié pour la première fois en 1956, explore la vie d'Antonia Fleming. le récit débute en 1950 alors qu'Antonia est mariée à Conrad, un historien renommé. Leur fils Julian va se fiancer et un repas est prévu pour fêter cette occasion en présence de tout le gotha londonien. Antonia mesure alors la faillite de son propre mariage. Grâce à une construction atypique puisque l'histoire se déploie à rebours, nous voyons défiler différentes périodes de la vie d'Antonia. On remonte ainsi le temps et on découvre les joies et les difficultés de sa vie conjugale. C'est comme une réflexion toute en nuance sur les aléas du mariage dans une société masculine. On comprend un peu mieux les secrets et les regrets que peut avoir Antonia au fils des épisodes de sa vie. L'auteure examine également les thèmes de la maternité, de l'amour, de la trahison et du passage du temps.
On ne peut nier un savoir faire dans l'exploration subtile des relations humaines, la profondeur psychologique est indéniable. Un roman introspectif qui nous apporte un éclairage fascinant sur la vie d'Antonia à travers plusieurs décennies, avec les changements inhérents au temps qui passe mais aussi à la perte des illusions. On pourrait penser à la crise de la quarantaine mais il y a plus que cela dans cet échec. J'ai toujours beaucoup de plaisir à lire Elizabeth Jane Howard, tout d'abord parce qu'elle me fait voyager dans le temps avec sa prose élégante et la société patriarcale qu'elle décrit mais aussi par sa capacité à capturer les sentiments humains. Une lecture enrichissante qui donne l'opportunité de comprendre que prendre du recul offre une perspective exceptionnelle sur le long terme de toute la dynamique qui se joue entre les personnages. Un roman qui a su me toucher. Un dernier mot pour saluer la sublime couverture. Bonne lecture.
Lien : http://latelierdelitote.cana..
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Quand j'ai commencé à lire La longue vue d'Elizabeth Jane Howard, j'ai immédiatement pensé à Mrs Dalloway de Virginia Woolf : même univers de la bonne société britannique, même femme plus très jeune qui, tout en s'acquittant des derniers préparatifs pour un dîner, ici celui des fiançailles de son fils, dresse un bilan de sa vie d'épouse dans un monologue intérieur. Mais Mrs Fleming est bien un personnage original. On est invité à entrer dans son univers d'abord avec beaucoup de réserve, à l'image de la distance qu'elle semble avoir adopté avec toutes les personnes de sa famille la plus proche, se protégeant de tout espoir vain. le comportement de son mari est odieux ce qui pourrait bien en faire un personnage conventionnel et caricatural. Et pourtant l'autrice échappe à cette faiblesse en nous entraînant dans la vie de son héroïne en remontant le temps depuis cette soirée de 1950, successivement en 1942, 1937, 1927 pour finir en 1926 quand elle a dix-neuf ans. On découvre ainsi tous lés événements qui ont forgé le destin de la jeune fille et on comprend que son mari n'est pas le seul à contribuer à son désabusement au cours de sa vie. On entre sur la pointe des pieds dans la vie sociale de Mrs Fleming et en reculant dans le temps on a été invité, avec une grande subtilité, à pénétrer dans l'intimité d'Antonia. C'est à la fois intrigant et frustrant : quand on a fini le roman on a envie de le recommencer aussitôt avec le sentiment que maintenant seulement on observerait avec plus de justesse les informations distillées comme à contre-coeur. Moins facile à lire que la Saga des Cazalet, La longue vue m'a séduite pour son regard acéré sur la société de l'époque et sa subtilité.
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« À son âge, il était recommandé d'avoir l'autonomie d'un crustacé : il fallait se replier sur soi jusqu'à atteindre la mort et la dignité éphémère qui l'accompagnait. Passé la quarantaine, le chagrin, la maladie, l'aide que l'on cherche timidement autour de soi ne bénéficiaient plus d'aucune indulgence. On était censé avoir trouvé sa place dans le monde, et si ce n'était pas le cas le monde ignorait votre échec et vous remettait à la place qu'il considérait comme la vôtre. »

1950, Londres : Antonia a un peu plus de 40 ans. L'organisation d'un diner pour les fiançailles de son fils lui donne l'occasion de se pencher sur ce que sa vie a été. Elle passe en revue un mariage qui n'est pas heureux, des enfants qu'elle ne comprend pas, et sa place qu'elle peine à trouver. Et le lecteur se retrouve à ses côtés lors de cette introspection sans concession puis lors d'un voyage à rebours, dans le passé, au cours de différentes époques, jusqu'à l'été où Antonia a rencontré son mari.

Elizabeth Jane Howard nous offre ici un roman d'une finesse et d'une modernité fantastiques et prouve, si besoin en était, qu'elle n'est pas que l'autrice de la géniale saga des Cazalet. Finesse car les personnages sont analysés, décortiqués et justes, modernité car cette histoire d'emprise et de domination pourrait se passer à notre époque. Et enfin quelle construction formidable et originale dans ce récit qui remonte le temps !

Prenez le temps et lisez la « La longue vue », c'est un coup de coeur !

« le premier souvenir qu'Antonia gardait de ses parents était d'avoir entendu des gens dire de son père qu'il était une forte tête, et de sa mère qu'elle était terriblement, divinement séduisante. En grandissant, peut-être avait-elle noté le subtil changement de ton dans ces opinions souvent exprimées à la légère: son père devint quelqu'un qui savait quantité de choses sur un sujet donné - une autorité -, et sa mère une personne douée d'un entrain, d'un brio, d'une joie de vivre extraordi-maires; mais à dix-sept ans, pas plus qu'à dix-huit ou à dix-neuf ans, Antonia n'avait acquis suffisamment d'expérience pour tirer aucune conclusion de la détérioration de l'esprit de son père et du physique de sa mère. »
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