En soi, il est plutôt encourageant de constater que les acteurs de la justice acceptent d'ouvrir leur monde aux évolutions numériques. Il n'y a pas de raison que la justice s'immobilise là où l'éducation et la santé semblent prêtes à tirer un profit maximum des avancées technologiques. Cela n'empêche que l'irruption de la machine est autrement plus troublante lorsqu'elle laisse apercevoir qu'elle pourrait participer à un véritable pouvoir, à savoir une instance qui exerce une autorité de droit sur les humains. Ici, les craintes d'une domination abusive sont loin de relever d'une paranoïa déplacée.
Dans ce contexte, il est légitime voire indispensable de poser des interrogations critiques. Parmi celles-ci, il y a celle de savoir, tout simplement, jusqu'à quel point la machine peut déterminer elle-même les réponses à apporter aux demandes en matière de justice. Cette interrogation doit servir de marqueur constant à la réflexion car elle détermine la répartition des tâches entre l'homme et la machine. L'exercice est d'autant plus délicat que dans de nombreux cas l'homme ne possède pas une connaissance suffisante de la machine avec laquelle il est censé collaborer.
À l'aune de l'interrogation qui précède, le risque d'une immixtion excessive de la machine pèse particulièrement lourd par rapport à l'activité de justice ultime, à savoir l'acte de juger. Jusqu'à il y a peu, rien ne laissait présager une mise en cause du fait que la prise de décision est nécessairement réservée au juge humain. Mais ce présupposé paraît aujourd'hui vacillant. Des expériences sont menées pour permettre une prise de décision par la machine. Certes, elles ne visent que des cas qualifiés de peu d'importance. Toutefois, cette qualification même est fragile et mouvante, laissant entrevoir les dangers de possibles glissements.