"Dans la Vendée de 1793, trois personnages s'affrontent : l'aristocrate Lantenac, fidèle à son passé, son petit-neveu Gauvain, tourné vers l'avenir généreux de la République, et le conventionnel Cimourdain, plus durement soucieux des exigences présentes de la Révolution et de la Terreur. Dans cette épopée où le romancier mêle la fiction de l'intrigue et la réalité de l'Histoire - Danton,
Robespierre et Marat sont au centre du livre -, chacun des trois héros se trouve ainsi guidé par une certaine idée du devoir et de l'honneur. Et chacun sera conduit à une forme d'héroïsme qui n'écarte pas la mort.
L'écrivain se refuse donc à trancher, et
Quatrevingt-Treize n'est pas un roman à thèse : " Je ne veux ni du crime rouge ni du crime blanc ." "
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Tout commence par une date.
Quatrevingt-Treize. Fichée sur ses deux majuscules, elle tombe d'entrée comme un couperet tranchant, offrant une réponse sanglante à cet abîme, la Révolution.
Quatrevingt Treize. Là où tout commence, ou bien là où tout s'achève - c'est à peu près la même chose. Une tête coupée. Une couronne par terre. Et un cri : "Vive la république !"
Pourtant
Quatrevingt Treize n'a rien d'un roman historique. Je ne parle pas du soi-disant conflit entre légende et vérité qui entache l'oeuvre d'Hugo. En fait, pourquoi la légende ne serait-elle pas vraie ? Faudrait-il laisser au fossé, rebut de l'histoire, la "vérité de la légende" ? Non, dans
Quatrevingt Treize, j'ai cru lire autre chose, qui m'a paru un mystère d'abord, un éclair terrible, ensuite, une vérité, enfin. En fait, je ne peux pas m'empêcher de laisser le combat politique à sa place. Derrière. Ou devant peut-être. En tout cas, bien loin. Car le combat n'est pas celui des bleus et des blancs (d'ailleurs,
Louis XVI est déjà mort, avant que ça ne commence, et Lantenac vit encore, quand tout s'arrête), c'est le combat d'hommes.
Des hommes et des femmes qui n'ont jamais vraiment choisi leur voie. Qui ne savent jamais vraiment où aller. Comme nous tous. Souvent se présentent deux routes, et vient l'heure d'un choix. Cimourdain, le prêtre, qui suit son instinct... maternel. Lantenac, qui, devant la forêt et le ravin, refuse de faire son choix. Et la mère, partie à la recherche de ses trois enfants, qui, elle, n'a plus vraiment de chemin, parce qu'il n'y a pas de choix à faire.
"Jamais dans aucun combat, Satan n'avait été aussi visible, ni Dieu."
Quatrevingt Treize, c'est donc le récit d'un homme en souffrance. de l'homme songeur devant un précipice. de l'auteur, sans doute. Peut-on réellement faire autrement qu'avoir pitié pour ces enfants, qui n'ont rien à voir avec la guerre des hommes, enfants innocents dont l'innocence même réveille la plus pure innocence qui sommeille chez Lantenac, le marquis, le prince de Bretagne ? Cette plus pure innocence, c'est l'homme. Et Lantenac est un héros magnifique pour avoir su être homme. Comme Gauvain, qui comprend que sa république est autre et qu'il ne peut que mourir.
"Et l'on pouvait dire : non, la guerre civile n'existe pas, la barbarie n'existe pas, la haine n'existe pas, le crime n'existe pas, les ténèbres n'existent pas ; pour dissiper ces spectres, il suffit de cette aurore, l'enfance."
Une conscience tragique parmi des hommes inconscients ! Voilà ce que je trouve dans Gauvain.
Au choix de la conscience, il n'y a dès lors qu'une seule réponse possible. L'échafaud.
En définitive, en fermant ce livre, on se réconcilie avec soi-même, comme fâché avec le monde.
Car l'homme peut être sublime, dans sa cruauté.