Manipulation génétique à grande échelle, eugénisme, où sélection naturelle rime avec sélection sociale. "Communauté, Identité, Stabilité", telle est la devise. La visite guidée du Meilleur des Mondes commence par la visite du Centre d'Incubation et de Conditionnement – un Centre qui n'est pas sans rappeler les Réserves du Mojave qu'Huxley décrit dans
Les Portes de la Perception dans le chapitre "Le désert" . Un centre qu'il visite en 1952, où il observe des scientifiques qui s'affairent comme des insectes autour de divers projets, où il voit des machines-outils "capables de fabriquer n'importe quoi".
Dans le Centre, l'humain est strictement contrôlé, qu'il soit derrière la machine, au coeur même de la machine, dans des flacons ou dans des éprouvettes.
L'individu est nié, parce que la communauté passe avant tout, aussi la méthode Bokanovsky consistant à créer des humains en série est-elle présentée comme la base de cette société où tout est uniforme, artificiel.
La civilisation où règne la stérilisation n'a plus à se préoccuper des maladies qui gangrènent la société parce que la prévention fait qu'on a même plus à traiter les personnes. Elles sont prédestinées à être ce qu'elles sont dès le centre de conditionnement. Les hommes ne "naissent" pas égaux, ils ne "naissent" pas libres non plus, ils ne naissent même pas, tout ça au nom de l'ordre social.
Mais, tout le monde peut vivre heureux dans ce monde parce que chacun y a sa place, assignée qu'elle est sur une étiquette, celle qu'on appose sur le flacon. C'est bien là tout le paradoxe de l'utopie, où tout le monde peut être heureux à condition de respecter ce qui fait que l'utopie reste soigneusement maîtrisée, ce qui fait que tout le monde peut vivre ensemble. le bonheur, c'est le moteur de l'utopie d'Huxley, mais c'est un bonheur artificiel, commercialisé, consommé, du bonheur en boîtes, en flacons, en pilules. Une somme de désirs aussitôt satisfaits.
Il est mal vu dans cette société de refuser de prendre du soma (d'ailleurs, on propose à tout bout de champ de la drogue à Bernard) cette drogue sans effets secondaires ( si ce n'est l'addiction) qui rend tout le monde heureux. Qui offre un état euphorique, un succédané de légèreté, cette insouciance de la jeunesse, et qui ouvre la voie au plaisir des sens comme au Cinéma Sentant où chaque sensation est ressentie d'une manière sensuellement intense. Au Cinéma, on ressent sur ses lèvres le baiser des acteurs. le plaisir, la satisfaction, qui passe par la satisfaction sexuelle prime. le chewing-gum est composé à partir d'hormones sexuelles, les femmes sont stériles ou pratiquent des exercices malthusiens en plus de se promener en permanence avec une espèce de banane pleine de contraceptifs, et elles se promènent dans des combinaisons (qui ne sont pas en cuir, dommage !) avec une fermeture éclair (zip !) pour une efficacité optimale et pourvu qu'elles soient "pneumatiques" !
Mais attention, interdiction de faire des enfants parce que les mots "mère" et "père" sont tabous. La stérilisation et la contraception brident les naissances, les enfants ne naissent pas, ils doivent être fabriqués, sous contrôle, mis en flacons. Et les enfants sont programmés dans leur sommeil, avec la méthode hypnopédique. Ainsi, on crée artificiellement les "instincts" les plus "naturels" telles que la répulsion envers la nature ... les fleurs, les livres, parce que la nature humaine n'a pas lieu d'être dans cette "utopie".
Le Sauvage, dans
le Meilleur des Mondes, c'est un homme qui grandit dans une Réserve où il y a un mode de vie plus primitif, plus proche de l'état de nature, mais c'est un homme qui rêve de voir la civilisation. Et parce qu'il a appris à lire et qu'il aime
Shakespeare, comme seul un fanatique peut aimer, jusqu'à l'idolâtrie ; c'est de sa bouche qu'on entend le titre de l'oeuvre d'Huxley, faisant écho à sa traduction en français, puisqu'il fait écho au "Meilleur des Mondes" possible :
"How many goodly creatures are there here !
How beauteous mankind is ! O brave New World !
That has such peuple in't !" (
La Tempête,
Shakespeare).