Citations sur Les portes de la perception (223)
Le monde extérieur est ce à quoi nous nous réveillons tous les matins de notre vie, c'est le lieu où, bon gré mal gré, il nous faut essayer de faire notre vie.
Nous vivons ensemble, nous agissons et réagissons les uns sur les autres; mais toujours, et en toutes circonstances, nous sommes seuls. Les martyrs entrent, la main dans la main, dans l'arène; ils sont crucifiés seuls. Embrassés, les amants essayent désespérément de fondre leurs extases isolées en une transcendance unique; en vain. Par sa nature même, chaque esprit incarné est condamné à souffrir et à jouir en solitude. les sensations, les sentiments, les intuitions, les imaginations - tout cela est privé, et, sauf au moyen de symboles, et de seconde-main, incommunicable. Nous pouvons mettre en commun des renseignements sur des expériences éprouvées , mais jamais les expériences elle-mêmes. Depuis la famille jusqu'à la nation, chaque groupe humain est une société d'univers-îles.
La plupart des univers-îles se ressemblent suffisamment pour permettre une compréhension par inférence, ou même une "empathie" naturelle ou pénétration par le sentiment. C'est ainsi que, nous souvenant de nos propres pertes et humiliations, nous pouvons prendre part à la douleur des autres en des circonstances analogues, nous pouvons (toujours, bien entendu, dans un sens légèrement pickwickien, nous mettre à leur place.
Pour ceux qui vivent à l'intérieur de ses limites, les lumières de la ville sont le seul luminaire du vaste ciel. Les réverbères des rues éclipsent les étoiles, et l'éclat des réclames de whisky réduit même le clair de lune à une inconséquence presque invisible.
Ce phénomène est symbolique ; c'est une parabole en action. Mentalement et physiquement, l’homme est ainsi l’habitant, pendant la majeure partie de sa vie, d’un univers purement humain, et en quelque sorte « fabriqué-maison », creusé par lui-même dans le cosmos immense et non humain qui l’entoure, et sans lequel ni cet univers, ni lui-même ne pourraient exister. À l’intérieur de cette catacombe privée, nous édifions pour nous-mêmes un petit monde à nous, construit avec un assortiment étrange de matériaux – des intérêts et des « idéals », des mots et des technologies, des désirs et des rêveries en plein jour, des produits ouvrés et des institutions, des dieux et des démons imaginaires. Là, parmi les projections agrandies de notre personnalité, nous exécutons nos bouffonneries curieuses et perpétrons nos crimes et nos démences, nous pensons les pensées et ressentons les émotions appropriées à notre milieu fabriqué par l’homme, nous chérissons nos folles ambitions qui seules donnent une signification à une maison de fous. Mais pendant tout ce temps, en dépit des bruits de la radio et des tubes à néon, la nuit et les étoiles sont là - juste au-delà du dernier arrêt des autobus, juste au-dessus du dais de fumée illuminée. C’est là un fait que les habitants de la catacombe humaine trouvent trop facile, hélas, d’oublier ; mais, qu’ils oublient ou se souviennent, cela demeure toujours un fait. La nuit et les étoiles sont toujours là.
Le visionnaire sans talent peut percevoir une réalité intérieure non moins formidable, belle et significative que le monde contemplé par Blake, mais il manque totalement de l’aptitude à exprimer, en symboles littéraires ou plastiques, ce qu’il a vu.
Ce que [la mescaline] m’avait permis de percevoir, à l’intérieur, ce n’était pas le Corps-Dharma en images, mais mon propre esprit ; ce n’était pas l’Archétype de la Réalité, mais une série de symboles –en d’autres termes, un succédané, « fabriqué-maison », de la Réalité.
La cohérence est un critère verbal, qui ne peut s’appliquer aux phénomènes de la vie. Prises toutes ensemble, les diverses activités d’un même individu peuvent être incohérentes, tout en étant parfaitement compatibles avec la survie biologique, le succès séculier et le bonheur personnel.
Ce n’est pas la réflexion qui obstrue le Chemin, c’est l’attache à toute pensée ou opinion particulière.
[Alors qu’il regarde les plis de son pantalon] Voilà le genre de choses qu’il faudrait regarder. Des choses sans prétention, satisfaites d’être simplement elles-mêmes, suffisantes en leur réalité, ne jouant pas un rôle, n’essayant pas, d’une façon insensée, d’ « y aller » seules, isolées du Corps-Dharma, en un défi luciférien à la grâce de Dieu.
[Les] expériences spirituelles authentiques n’adviennent, en règle générale, qu’à ceux qui sont assez avancés dans la voie de la purge, et conduisent elles-mêmes à une amélioration de la qualité de la vie de celui qui les éprouve –amélioration qui va, dans des cas exceptionnels, jusqu’à cette transformation totale du caractère qui se manifeste dans la sainteté.
Des champs nouveaux ont été ouverts aux labours, produisent des récoltes qui permettent une expansion de la population, et puis, presque soudainement, se transforment en "bols de poussière" et en coteaux érodés. Des produits chimiques nouveaux pour maîtriser les insectes, des virus et des champignons, semblent opérer quasi miraculeusement, mais seulement jusqu'à ce que la mutation et la sélection naturelle aient produit des lignées nouvelles et résistantes des anciens ennemis. Les engrais artificiels produisent des récoltes magnifiques; mais entre temps, ils tuent l'indispensable ver de terre et, de l'avis d'un nombre croissant d'autorités en la matière, tendent, à longue échéance, à réduire la fertilité du sol et à nuire aux qualités nutritives des plantes qui y poussent. Au nom de l' "efficience", nous troublons l'équilibre délicat de la nature; en éliminant l'un des facteurs de la mosaïque écologique, ou en augmentant artificiellement un autre, nous obtenons notre production accrue, mais au bout de quelques années, la nature outragée prend sa revanche, de la façon la plus inattendue et la plus déconcertante.