Irving est un auteur d'obsession. Les femmes (souvent plus âgées), l'initiation sexuelle, l'adultère et le sexe en général. Les amputations, les relations familiales (frères/soeurs, père/fils, mère/fils...) les deuils, les ours, les nains, la lutte et l'Autriche. Et j'en oublie. Cette fois-ci, on n'a eu droit ni aux nains ni à l'Autriche, mais tout le reste était bien là, quoique avec plus de retenue qu'à l'accoutumée.
On pourrait croire qu'à prendre ainsi toujours les mêmes ingrédients, il écrit sans cesse le même roman. Ce serait se tromper lourdement, car en littérature comme en cuisine, on peut obtenir cent résultats différents en partant d'une même base. La singularité et l'originalité nait dans le détail : une épice ou un personnage, une cuisson ou un lieu.
Comme souvent, Irving déracine ses personnages à plusieurs reprises au cours du récit : géographiquement mais aussi psychologiquement. Il les arrache aux lieux et aux gens qu'ils aiment, il leur donne ce qu'ils méritent mais aussi ce qu'ils ne méritent pas.
Dernière nuit à Twisted River, c'est l'histoire d'un fils lui même devenu père, qui craint pour son père et pour son fils. Il tâche d'écrire sa vie entre les lignes que gravent son père poursuivi par un policier abruti et son fils qui marche sur le tranchant d'un rasoir.
Au delà des rapports entre les pères et les fils, la question semble être de savoir si on peut vivre et être heureux quand on s'inquiète de la perte de ceux qu'on aime ? Et peut-on survivre et encore être heureux quand il n'y a plus de raison de s'inquiéter puisque tout a été emporté ?
Alors il y a les anges : le premier est un bûcheron-draveur qui s'impute la première faute à l'origine de tout puis endosse toutes les suivantes, bouc-émissaire auto-désigné. le second est une femme qui tombe du ciel, nue comme un chérubin, mais à peine moins costaude que le draveur.
Le récit avance puis revient en arrière sous forme de flashback plus ou moins erroné, avec son lot de mensonges et de vérités qui arrangent ou dérangent. Ce n'est pas toujours limpide, comme l'histoire se tricote et se détricote pour former un nouveau tout.
La vie et la mort, qu'on attend, qu'on espère ou qu'on redoute selon les cas, jouent leur partition, et la boucle est bouclée. Mais y aura-t-il assez d'anges pour tout le monde ?
Irving écrit aussi en filigrane son histoire des Etats-Unis, pas toujours très glorieuse, et celle de son peuple, sans plus de concessions.
Un roman qui peut séduite aussi bien ceux qui aime Irving que les autres. La seule vraie difficulté dans la lecture aura été pour moi de retenir mes larmes...mais pourquoi faudrait-il les retenir ?