Née de la rencontre de plusieurs courants artistiques au fil des invasions de la Perse (Iran), elle est immédiatement reconnaissable. Et très différente de l'art d'autres aires géographiques. Contrairement à peinture occidentale, elle ne raconte pas d'histoire, rien dans sa composition permet de mettre en avant un détail particulier : chaque élément à la même importance. Et à la différence la peinture chinoise, elle n'inclut pas son spectateur. Elle est, et renvoie au monde, tel un miroir, sa lumière. Car elle est lumière pure, sans ombre ni matérialité. Si elle doit représenter quelque chose, ce serait de l'ordre du conte, avec ses personnages et décors archétypaux. Jamais le réel. Enluminure de manuscrits, elle est ornementation raffinée et portée à un très haut degré de finesse et de recherche : les personnages qui y vivent n'ont pas plus d'importance que l'architecture ou les animaux. le plus important est le lieu où ils s'inscrivent : le jardin de lumière. Paradis Perse.
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Entre l’islam et la tradition occidentale, grecque ou chrétienne, il existe une différence radicale d’orientation. Il suffit d’entrer, à Istanbul, successivement dans Sainte-Sophie et la Suleymanié, qui en a pourtant repris le modèle architectural, pour que cette différence s’impose immédiatement avec évidence : dans le premier cas, il s’agit d’une descente de l’esprit dans le monde matériel, dans l’autre d’une métamorphose du matériel en spirituel.
Les églises ont presque toujours un plan symbolique, en croix, qui est un mandala du corps humain. Lieux de la messe, c’est-à-dire de la cérémonie symbolique de la Passion du Christ, elles sont très souvent fondées directement sur des tombeaux de saints : l’autel même, qui est la table de sacrifice, symbolise le tombeau du Christ, d’où l’esprit fait retour à l’immatériel, mais le moment de présence matérielle reste un moment essentiel. Par les vitraux colorés des cathédrales gothiques, la lumière céleste, en traversant les images de l’histoire sainte qui l’ont révélée au monde, pénètre, pour le sanctifier, dans le monde matériel : l’église constitue une présence du ciel dans un lieu terrestre.
La mosquée – d’où toute référence au matériel et a fortiori à la présence d’un corps mort est bannie, et où il n’existe aucune cérémonie symbolique sacrée mais seulement le croyant en prière se tenant en présence d’un Dieu spirituel transcendent – produit le détachement d’un lieu terrestre à la terre et sa projection mentale dans un ailleurs sans figure et autre, absolument. Dans la cour des grandes mosquées d’Ispahan, un grand bassin reflète la coupole du ciel, mais aussi les murs qui, perdant ainsi leur matérialité, rencontrent l’image du ciel dans l’eau : il ne s’agit pas de présence matérielle et réelle, comme dans la messe, mais du miroir et du reflet d’une lumière renvoyant à la transcendance, et c’est à partir de cette différence qu’il faut comprendre ce qui distingue l’image peinte en Occident de l’image dans la miniature persane. (pp. 47-48)
Les chose dépouillées de leurs scories, de leur part obscure, du poids, du volume et de l'ombre apparaissent comme dans un miroir magique, qui ne réfléchit pas, à sa ressemblance, ce qui est devant lui, mais l'éclaire par une autre lumière et le porte dans un autre lieu, pour le métamorphoser en image d'ailleurs.
Si les plus belles de ces miniatures ont été réalisées dans les cours des Timurides et des Safavides, dominées entièrement par les soufis, très peu de miniatures sont directement de leur inspiration, avec le sens ésotérique exigeant une lumière nocturne. Seules exceptions à, à Hérat, certaines peintures de Bihzad (1460-1535), qui passait pour être égal et même supérieur à Mani, et qui a introduit les réunions soufies et la vie quotidienne dans l’univers merveilleux de la miniature.
Il a remplacé le somptueux et l’éclat ostentatoire et symphonique des grands orchestres de couleurs de la tradition des Turkmènes de Tabriz, par un lyrisme raffiné, délicat et subtil, d’un quatuor à cordes hautement complexe, qui ne fascine plus immédiatement avec une impression éblouissante, mais captive par ses accords capiteux et fait pressentir, dans le visible même, le sens secret d’un infini spirituel.
Dans ces peintures de Bihzad, le ciel est nocturnes, rempli d’étoiles, ce qui ne change rien à la clarté de tout, mais il s’agit ici d’une lumière qui est intérieure à toute chose, comme un feu d’une ferveur intense, et ne semble pas avoir besoin de la lumière extérieure de cet éclat éblouissant qui va encore dominer les enluminures des grands manuscrits royaux de Shahnameh et de Khamseh réalisés pour Shah Tahmasp, qui unifient à la fois l’héritage des Turkmènes et celui de Herat. (p. 70)
"Citizen Kane" d’Orson Welles, analysé par Youssef Ishaghpour