Épopée romanesque ou fabuleuse plutôt, ensorcelante, qui se déroule dans une Angleterre à peine sortie du règne légendaire du Roi Arthur, peuplée de créatures non moins légendaires, ogres, elfes et dragons, et qui est imprégnée par le conflit à peine apaisé entre Bretons et Saxons.
Comme dans d'autres romans, Ishiguro fait sa marque du rendu d'une atmosphère enchantée, envoûtante, voire fantastique, surnaturelle. On ne le remarque pas au début. Axl et Béatrice sont deux vieillards alertes, qui vivent un peu à part dans un village breton, et décident d'entreprendre un voyage pour retrouver un fils perdu de vue depuis longtemps et dont ils ont peu de souvenirs. En fait, comme tout un chacun dans cette région, ils oublient tout, les faits récents et anciens, semblant, eux, en avoir conscience. On apprendra plus loin que c'est dû au souffle d'une dragonne perchée dans une colline.
Lors d'une première halte dans un village saxon où les Bretons sont reçus avec circonspection, ils rencontrent Wistan, un “guerrier“ qui vient de combattre des ogres et sauve un jeune garçon, Edwin, qui lui voue une admiration sans limite et en fait son initiateur à la fonction de guerrier.
Ils repartent tous les quatre ensemble, font la connaissance de Gauvain, vieux chevalier breton et neveu du roi Arthur, qui a accompagné ce dernier dans ses batailles. Ils gagnent alors une forteresse occupée par des moines, personnages pour le moins curieux. Wistan a une mission qui consiste à tuer la dragonne qui terrorise les peuples et dont le souffle trouble la mémoire des habitants du lieu. Gauvain vieux soldat qui a connu les horreurs de la guerre entre Bretons et Saxons, semble protéger le monstre. Wistan le guerrier aura raison et de Gauvain et du monstre.
Gauvain déplore en effet l'intérêt de retrouver la mémoire car l'envers en est le risque de réveiller des souvenirs propres à déstabiliser les rapports entre les deux peuples, dans ce que sont les faits conflictuels de leur histoire, guerres, haines, désirs de vengeance, etc.
Un risque plus particulier réside dans le passé de nos deux vieillards. Ils en sont bien conscients et craignent de voir surgir des souvenirs menaçant leur profond amour. On apprendra seulement qu'Axl a joué un rôle de médiateur, de conciliateur dans le conflit passé, on apprendra d'autres détails, le plus significatif étant le destin inattendu du fils des deux vieillards.
Ishiguro nous entraine dans ce conte qui a l'allure d'une épopée étrange, tout comme son écriture qui ne se laisse pas troubler par le rythme, parfois soutenu, de cette aventure, ni par les moments plus remuants du parcours des héros. Axl et Béatrice, courageux mais fragiles, impriment leur tempo, ce qui donne un récit fluide, maîtrisé, parfois précieux, toujours limpide, et respectueux des croyances de l'époque.
Oui, les ogres, les elfes et les dragons existent, et pas forcément pour le bien des humains. Ils existent là pour ajouter du sens à cette allégorie dont nous gratifie l'auteur, rôle de la mémoire, de l'histoire révélée, des souvenirs et des ressentiments dans la genèse des guerres. À moins que la métaphore de la vie sans souvenirs, de la vie plate au jour le jour, ne montre sa plausibilité, sa vraisemblance et sa possibilité d'être exploitée par des organisations cyniques, les moines du roman, par exemple. À chacun de se faire son idée.
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