Comment lui dire ce qu'il ressentait ? Cette émotion, là, tout au fond de lui. Rico ne savait plus rien de ces choses, qui appartiennent aux sentiments. Les mots, les mots de l'amour, les je t'aime et tous les autres, mièvres, puérils, qu'on invente, s'étaient lentement effilochés. Ils n'évoquaient plus que des souvenirs. Des lambeaux.
La chair des mots d'amour, s'était putréfiée au fil des ans. Que voulait dire aimer sans les baisers, les caresses, sans les plaisirs que les sexes se donnent l'un à l'autre, s'offrent jusqu'à l'épuisement ?
Pourquoi ce qui est vrai un jour peut ne plus l'être un autre jour ?
Juste la vie, l'amour qui déraisonnent sans raison.
De jours avec et des jours sans,
l'avenir s'arrête là.
C'était hier, pensa Rico. Et plus rien n'existe aujourd'hui. N'existera plus. Plus jamais. Le monde se dissout, mais pas le mal qui le régit. L'ordonne.
On pouvait haïr et toujours aimer. C'est une chose qu'il n'avait jamais comprise, qu'il ne comprendrait jamais.
- On the road again, il avait répété, pensif. Quelle putain de connerie !
Ni l'un ni l'autre n'en doutaient, leur route n'était plus une route. Seulement un marais où, chaque jour un peu plus, ils s'enfonçaient. Irrémédiablement. Et même si quelqu'un parvenait à leur saisir la main, il était trop tard. Les mains qui se tendaient vers eux n'étaient pas des mains amies, ne l'étaient plus. Juste des mains bienveillantes. Un gobelet de café chaud. Une boîte de corned-beef. Une portion de Vache qui rit.
Titi. Il revit son cadavre qu'on emportait. Titi, lui, les autres, ils n'étaient rien. Rien. C'était la seule saloperie de putain de vérité de cette vie.
Derrière ses paupières, un instant baissées, quelque chose de sombre se profila, que Rico ressentit. La guerre, pensa-t-il. Mais ce mot n'avait aucun sens. Ce n'était qu'un terme abstrait, qui passait sous silence les drames, les déchirements. Et la mort. La mort des êtres chers. La mort des amis, des copains. La mort des voisins.