Ce tome regroupe les épisodes 1 à 6 de la série débutée en 2011. Après
Flashpoint, DC Comics décide de redémarrer tout son univers partagé à partir de zéro dans une opération baptisée New 52. Parmi les différentes séries, celle-ci joue le jeu en racontant la constitution de cette équipe avec des personnages tout neufs dont le lecteur ignore tout.
Dans son étrange boutique, madame Xanadu a vu le futur, et les lendemains ne sont pas riants. Dans les rues de New York, plusieurs exemplaires d'une même jeune femme (June Moon) sont victimes d'accidents de la route. Quelque part dans une chambre d'hôtel, Rac Shade (Shade, the changing man) se rend compte que sa santé mentale est fragile alors qu'il parle avec Kathy, son défunt amour. En pleine campagne, Enchantress est en pleine crise de folie gériatrique. Superman, Cyborg et Wonder Woman interviennent mais n'arrivent pas à pénétrer une tornade de dents. Dans le quartier général de la Justice League, Zatanna prend les choses en main et informe Batman qu'elle va intervenir elle-même pour régler ce désordre causé par la magie. Chacun à leur tour, Deadman (Boston Brand) et John Constantine sont affectés par l'état d'Enchantress. Rien ne le prédestine à travailler ensemble.
Dans le cadre du redémarrage de leur univers partagé DC, les responsables éditoriaux ont pris le parti de structurer leur offre suivant différentes têtes de gondoles : Superman, Batman, Justice League et une gamme qualifiée de "Dark". En 2011, Justice League Dark sert à la fois à élargir la gamme Justice League (celle de
Geoff Johns & Jim Lee et Justice League International de
Dan Jurgens), mais aussi la gamme des titres Dark (avec, entre autres, Animal Man de
Jeff Lemire et Swamp Thing de
Scott Snyder).
Au fil des pages, l'intérêt du lecteur est habilement éveillé et maintenu par un mélange de mystère, de présentation minimale et progressive des personnages, et par des affrontements. Évidemment, dit comme ça, on ne voit pas trop la différence avec le reste des autres comics de superhéros. L'intelligence de la narration de Milligan est dans le dosage. Il faut attendre 1 ou 2 épisodes pour être bien sûr d'avoir saisi le point de départ de la série. L'équipe ne se constitue pas par la rencontre d'un membre après l'autre, ou par une rencontre opportune (et artificielle) de tout le monde au même endroit et au même moment. Milligan fait un effort pour tisser les liens entre les futurs membres de cette étrange ligue de justice, ou pour faire apparaître ceux qui étaient préexistants (certains personnages s'étaient déjà rencontrés avant). Milligan invente des manifestations de l'ennemi qui sortent également de l'ordinaire par leur nature : une double page dans laquelle une demi-douzaine d'exemplaires de June Moon se font écraser sur une autoroute, une tornade de dents, l'un des personnages qui se fait passer à tabac, etc. Ces phénomènes paranormaux (ou très terre à terre) finissent par installer une ambiance qui crée le décalage voulu par rapport à un récit traditionnel de superhéros. Milligan, en vieux briscard, a également inclus la scène avec Superman, Cyborg et Wonder Woman pour montrer que les superhéros "normaux" sont totalement inadaptés à ce genre de dangers.
À chaque épisode, le lecteur apprend un élément nouveau sur plusieurs personnages. À chaque épisode, le lecteur prend un peu plus conscience que ces héros présentent également un décalage significatif par rapport à Superman et consort. Madame Xanadu souffre du fait de ses pouvoirs, plus qu'elle n'en profite. Il y a une composante morbide dans ce personnage. Rac Shade est autant utilisé par sa veste M qu'il l'utilise, et il porte un fardeau pesant sur la conscience. Deadman a du mal à supporter son état et sa séparation physique d'avec Dawn Granger et à gérer sa libido, etc. Milligan sait en une scène montrer en quoi un personnage souffre de son état, de sa nature. Il faut dire qu'il a déjà eu l'occasion raconter les aventures de Rac Shade pour Vertigo (à partir de The american scream) et de John Constantine aussi pour Vertigo (à partir de Scab). Évidemment leurs incarnations DC sont moins dessalées que les versions Vertigo, mais ils conservent une part d'ombre et de corruption de l'âme que l'on ne trouve pas chez Superman. Constantine a conservé une fibre autodestructrice et manipulatrice qui dénote par rapport aux superhéros traditionnels. Par contre, il est étonnant que les responsables éditoriaux aient laissé Milligan composer une Justice League composée à 100% d'individus caucasiens de race blanche (aucune diversité, aucune minorité).
Même les combats disposent d'une personnalité supérieure à la moyenne, du fait de la prépondérance d'énergies magiques et de la veste M. Il faut dire aussi que le responsable éditorial a réussi à assigner la partie graphique à
Mikel Janin (dessins + encrages), un illustrateur de bonne qualité tout au long des 6 épisodes. Il dessine dans un style plutôt réaliste, avec une approche soignée des textures. Il montre un certain goût pour les décors qu'il s'agisse des aménagements intérieurs des pièces, ou des immeubles lors des scènes de rue. Même sa maison isolée dans la rase campagne projette un sentiment d'étrangeté et de pressentiment funeste. Il est assisté par Ulises Arreola pour la mise en couleurs qui fait preuve d'inventivité pour les effets de la veste M, et pour les énergies magiques. Janin dépeint les éléments horrifiques avec un niveau de détail supérieur à la moyenne des comics, en cohérence avec les aspects plus adultes du scénario. Il faudra encore quelques épisodes pour qu'il développe un peu petit plus de personnalité. Mais en l'état il a déjà trouvé une approche qui lui permet de rendre Constantine crédible, même pour les lecteurs habitués de sa série Vertigo.
Justice League Dark constitue une bonne surprise : cette série tient son pari d'installer la magie dans l'univers partagé DC, d'être plus pessimiste que la Justice League en titre, et de présenter des personnages estampillés Vertigo, sans trahir leur personnalité. Milligan (l'un des piliers de la relance New 52, scénariste également de Red Lanterns, et de Stormwatch à partir du deuxième tome Enemies of Earth) réussit le numéro de funambule qui consiste à rendre crédibles des héros Vertigo sans les affadir de trop, sans les rendre méconnaissables, et d'imaginer des dangers surnaturels pas trop génériques. Ses scénarios gagnent en pouvoir d'attraction et de divertissement grâce à une mise en images très professionnelle, démontrant elle aussi une inventivité qui va au-delà de visuels basiques, ou purement fonctionnels.