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« Les mères demeureront toujours comptables des péchés commis plus tard par l'enfant qu'elles ont porté. On nous accusera d'avoir concocté neuf mois durant un assassin, un monstre, un être qui fera regretter Dieu d'avoir créé Adam et on nous reprochera d'avoir engendré ces fratries asphyxiées aux cendres dispersées, fumant la terre des potagers dont la récolte nourrira les bambins des bourreaux, et nous prêtant le pouvoir de divination des sorcières, on nous blâmera de n'avoir pas cousu nos vulves afin de les préserver de l'existence et du supplice. »

Le prologue est saisissant, le reste du roman le sera tout autant. Et le sujet l'est encore plus. Sans jamais le nommer, Régis Jauffret raconte la gestation d'Adolf Hitler à travers sa mère, Klara, la narratrice. Il fallait oser. le résultat est un texte puissamment hors norme que j'ai lu avec une gravité estomaquée.

Hitler a toujours renié ses origines qui l'auraient desservi politiquement car l'histoire de sa famille, n'a rien de glorieux : misère, enfants illégitimes, consanguinité quasi incestueuse, ascendance douteuse du moins inconnu. Comme le montre la bibliographie fournie en fin de livre, Régis Jauffret s'est énormément documenté pour trouver les cadres concrets de son récit. Klara était une employée de maison au service d'un cousin ou oncle ( selon les versions ) qu'elle finit par épouser à la mort de sa deuxième épouse. Alois Hitler était agent de douanes dans l'empire austro-hongrois.

L'auteur navigue ainsi entre les éléments tangibles dont on dispose actuellement sur la généalogie de Hitler et la description réaliste d'un quotidien rude dans le Waldviertel, une des régions les plus reculées et inhospitalières d'Autriche. Au squelette de nos connaissances sur la famille d'Hitler, il ajoute de la chair. Dans sa solitude, Klara raconte un mari tyrannique et violent lui imposant un devoir conjugal proche du viol, une vie de labeur sans répit, l'omniprésence de la mort avec des épidémies qui déciment les foyers ( sur ses six grossesses, seulement deux enfants atteindront l'âge adulte ). Seule l'écriture clandestine de ses pensées semblent lui apporter un peu d'apaisement.

Dans ce déroulé factuel très sombre, j'ai apprécié que Régis Jauffret ne rajoute pas du psychologisant qui essaierait d'expliquer pourquoi Hitler est devenu ce qu'il était à cause de sa famille. C'était donc fondamental que le récit s'arrête à sa naissance ou plutôt son baptême.

C'est Klara qui mène le récit à la première personne. Elle parle beaucoup, presque sans filtre malgré la crainte d'être découverte par son mari. On est à la fois très proche d'elle par ce robinet ouvert de flux de pensée qui nous assaille, et en même temps, très loin d'elle, comme repoussée par les tourments qu'elle exprime.

« J'ai du mal à mettre de l'ordre dans cette cervelle. Tout caracole là-dedans. Je n'ai jamais vu un tel troupeau de pensées. Elles m'emportent l'une après l'autre, quand elles ne galopent pas vers les quatre points cardinaux comme des chevaux cravachés par le bourreau pour écarteler un condamné. »

Régis Jauffret a trouvé un formidable moyen narratif pour faire le pont entre les questionnements habituels d'une femme enceinte et ce qu'est devenu cet enfant en gestation, en la décrivant comme terriblement tourmentée par le péché originel, par l'enfer, persuadée qu'elle est une pécheresse qui pourrait transmettre son infamie à sa progéniture ou qu'une vengeance divine pourrait indélébilement tachée son bébé. Son confesseur est complètement dépassé par la violence presque blasphématoire des propos de son ouaille.

Ses confessions prennent aux tripes et mordent le ventre parce qu'évidemment, le lecteur ne peut s'empêcher de projeter sur le génocide à venir tant la Shoah est en chacun de nous parce que nous en savons.

Pour accroître cette tension, L'auteur a l'idée -géniale- de mêler aux divagations religieuses terrorisées de Klara des passages délirants qui s'invitent dans son récit malgré elle : ainsi surgissent sans qu'on s'y attende des paragraphes composées de phrases longues, sans ponctuation convoquant les gémissements de Juifs mourant de faim dans les rues des ghettos, les hurlements des enfants poussés dans les chambres à gaz, ou encore les prières s'échappant des wagons surchargés menant à Treblinka ou Auschwitz.

Des flashs hallucinés prémonitoires qui assomment et restent en suspens durant tout le texte jusqu'aux prochains, comme si Klara était contaminée par les idées de l'enfant qu'elle porte. Comme si Hitler était déjà Hitler lorsqu'il était en gestation. Comme si Klara portait en elle une bombe à retardement dont la déflagration exploserait près de cinquante ans après.

Un roman assez fou, d'une puissance évocatoire dérangeante et impressionnante. Troublant et marquant.


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Régis Jauffret nous fait ici le récit de la grossesse de Klara (la maman d'Hitler) . le nom Hitler n'est jamais cité. C'est donc ces 9 mois de juillet 1888 à avril 1889 . Il n'a pu obtenir que de maigres documents officiels. Mais nous savons quand même qu'elle résulte du viol et inceste de l"oncle" sur Klara Il va ensuite pouvoir l'épouser avec l'absolution de l'église.Klara subit la religiosité étouffante et culpabilisante, et le souci des apparences. L'auteur est très virulent envers la religion .Pour se sortir de tout ce quelle subit Klara écrit. Nous sommes plongés dans sa tête et grâce à une superbe écriture Elle a des visions prémonitoires qui permet à l'auteur de rendre un puissant hommage aux victimes de la Shoah. Ce sont des lignes d'écriture sans ponctuation mais avec des majuscules ça et là. Une sorte de poésie morbide écoeurante.
Ce livre est très puissant ,je ne suis pas prête de l'oublier. Il existe aussi une forte tension psychologique .
On ne ressort pas indemne cette lecture .
Bravo et merci Mr Jauffret .J'avais déjà ressentie un peu la même chose après la lecture de "Claustria".
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Habitué à décrire, dans ses précédents romans, des situations de folie et de sadisme, Régis Jauffret choisit de raconter, avec Dans le ventre de Klara, la grossesse de la mère d'Adolf Hitler, à partir des rares documents historiques, apportant ainsi sa contribution à l'Histoire.

Enfermé dans une contrainte extrême, ce portrait de femme du XIXè siècle décrit le chemin vers la folie où sa moindre parcelle de liberté lui sera étouffée. La description des différentes formes de domination répondra aux événements historiques à venir : l'enfant à naître, devenu adulte, va osciller entre venger les souffrances infligées à sa mère et répondre aux volontés viriles de son père. Avec ce roman, l'écrivain revient à la fiction avec un roman âpre, dense et terrifiant à la fois, mais absolument réussi !

Brins d'histoire
Klara raconte sa vie muselée, contrainte, réduite à un esclavage domestique suivant la volonté d'Aloïs. Sa culpabilité, de ne jamais pouvoir le satisfaire, elle la retourne contre elle jusqu'à s'abîmer dans la dévotion. Sa peur de perdre l'enfant qu'elle porte est omniprésente, elle qui a déjà mis au mode d'autres enfants qui sont morts depuis.

Pour échapper à ces émotions mortifères, elle tente de conserver une part de liberté. Elle écrit son ressenti dans des petits carnets, d'une écriture qui, au fil du temps, devient illisible. Son passage de domestique à épouse de l'homme qu'elle appelle Oncle, ne lui donne aucun avantage. Car la loi de l'homme, violent, y règne avec brutalité, en paroles et en actes. La mère d'Hitler vit dans la peur, la soumission et l'enfermement.

Emprisonnée par la domination masculine, Klara garde sa foi vivace. Mais, au lieu d'y trouver le réconfort nécessaire, elle subit, là encore, les diktats de la religion, incarnée par un abbé, étriqué dans ses principes intégristes. Il la soumet aux paroles de dieu en fustigeant ses actions dignes, pense-t-il, du diable.

Dénigrée par son mari et aussi par son confesseur, elle n'a que l'écriture pour trouver un peu de plaisir dans sa vie de misère. Mais, au fil des pages, cette espace de liberté sera restreinte aussi. Aucune colère pourtant, jamais ne s'exprime !

C'est le portrait d'une société enfermée dans un patriarcat absolu et une religion omniprésente où l'antisémitisme y est constant et où le rêve d'une grandeur retrouvée berce les rêves de chacun. Cette partie reculée de l'Autriche, proche de la frontière avec l'Allemagne, porte dans sa société, le contexte de l'acceptation de la dictature à venir.

Fiction pour expliquer l'Histoire
Reconnu pour ses combats contre les manipulations de toutes sortes, Régis Jauffret se propose d'éclairer la personnalité d'Hitler par la personnalité de sa mère, subissant le joug de contraintes extrêmes ne pouvant qu'entamer sa santé mentale.

Ainsi, et Régis Jauffret le rappelle, Adolf est le fruit d'un inceste entre Aloïs et sa nièce, Klara. Malgré cela, l'église a légitimé leur mariage, ce qui renforce la culpabilité de la jeune femme qui se considère comme le diable incarné. Comme un écho à son roman Claustria, paru en 2012, pour lequel il avait été condamné en diffamation pour avoir dénoncé des lois autrichiennes assez liberticides sur l'inceste, Dans le ventre de Klara reprend les faits historiques et envisage leurs conséquences sur ses personnages du XIXè siècle.

L'Oncle ressemble aussi au héros d'un de ses précédents romans, La Ballade de Rikers Island, publié en 2014 sur le prédateur sexuel qu'était DSK. Car, Régis Jauffret terrifie en décrivant les appétits sexuels de cet homme que Klara subit complètement, même avant le décès de sa première femme.

Autant dire que l'univers de ce nouveau roman en exploitant les faits historiques ne pouvait qu'interesser Régis Jauffret !

Une réussite !
L'étau ressenti à la lecture devient de plus en plus insupportable. La domination vécue par Klara, de plus en plus contraignante, étouffe l'espace du lecteur. La narration oblige plusieurs fois à arrêter la lecture pour reprendre son souffle, la puissance fictionnelle devenant insupportable !

L'oscillation entre l'empathie et la répulsion est constante : la sympathie grandit pour la fragilité de cette femme, puis quelques pages plus loin, la colère revient devant cette folie mystique qui semble plus la cadenasser. Son acceptation, que toutes ces violences sont des signes de dieu pour éprouver sa croyance, est insoutenable.

Évidemment, Régis Jauffret aborde l'antisémitisme de la famille et laisse sous-entendre, sans s'y attarder, la possible ascendance juive du futur Führer. Rien n'ayant été prouvé généalogiquement, il lui était difficile de suivre cette thèse.

L'art de la narration de Régis Jauffret n'est plus à présenter. Dans le ventre de Klara, le style est percutant et puissant. Présenter ici comme responsable de toutes les erreurs, le personnage justifie la protection que le jeune Hitler lui a accordée lors de sa jeunesse et la douleur qu'il a ressentie lors de sa mort. Mais, la haine de ce père brutal et violent qui ne cesse de dénigrer ceux qui l'entoure a dû provoquer des envies de violences dont l'homme n'a eu de cesse de se venger.

En conclusion,
La banalisation du mal dont Hannah Arendt a développé le concept s'illustre ici dans le quotidien des brimades et de l'enfermement de cette femme. Fonctionnaire médiocre, Aloïs maltraite, harcèle et dénigre son entourage de façon systématique avec l'assentiment de l'église, sans aucun affect. Il commet les crimes de viols, d'agressions sexuelles, de violences physiques et psychologiques sans aucun ressenti et en toute impunité puisque sa femme est une “moins que rien”, incapable, paresseuse, bête et habitée par le diable…Un quotidien de crimes répétés, inéluctablement, sans répit et sans affect !

Une démonstration implacable, un style maîtrisé, des personnages inoubliables, des clefs de compréhension…Un grand roman assurément !
Lien : https://vagabondageautourdes..
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Bigote naïve à la logorrhée étourdissante, Klara est une femme d'un autre temps, un temps où la considération pour le sexe faible était proche de zéro. Un temps où le devoir de la femme était de servir les besoins de l'homme en étant le récipient de son désir, matrice fertile pour sa descendance, tout en ayant en charge la tenue du foyer. 

Peut-être pour se préserver de la violence de son quotidien, fait de viols, de coups et de brimades, Klara est dépeinte comme une femme à l'esprit fantasque. Elle se plaît à le laisser dériver au gré de ses réflexions, de ses angoisses, de ses rêves, se repentant sans cesse, à la moindre sortie du cadre, et allant à confesse au moindre prétexte pour expier ses pensées impies, pour le plus grand plaisir d'un confesseur sadique et prompt à condamner ses ouailles…

Alors qu'elle a déjà perdu deux enfants en bas âge, Klara découvre qu'elle est de nouveau enceinte… Aloïs, son oncle, mais aussi le père de son enfant, est sûr que ce sera un fils, un soldat, un commandant, bref un grand homme… Quant à Klara, quoi qu'il devienne, elle sait déjà qu'elle chérira cet enfant plus que tout…


Je dois dire que traiter de l'un des plus grands criminels du XXème siècle en revenant sur sa genèse, alors qu'il n'est encore qu'un embryon en développement, était plutôt une idée de départ originale autant que séduisante! Un récit qui ne cherche pas à disculper, mais seulement à remettre en contexte une histoire méconnue. Fruit d'un remariage et d'une relation incestueuse entre un homme abusif et violent, obsédé par sa réussite sociale et une femme soumise et bigote, on imagine aisément que l'enfance du jeune Adolf n'a pas dû être joyeuse tous les jours…


Néanmoins, ce qui intéresse ici Régis Jauffret, n'est pas tant ce qui grandit “dans le ventre de Klara”, que les conditions dans lesquelles se déroulent cette grossesse. Portrait saisissant d'une femme qui oscille entre folie, culpabilité permanente, frustration mais aussi rêves de grandeur, Klara est un personnage ambivalent que j'ai trouvé profondément agaçant et antipathique. Bien que victime de sa condition, je n'ai pas réussi à être touchée par cette femme éprise de mots et d'écriture, qui tente, en cachette, de s'extraire du joug patriarcal et de libérer la parole, mais qui ne parvient qu'à produire une véritable logorrhée irritante et bien souvent indigeste.


Malgré un sujet intéressant, j'ai trouvé la plume de Régis Jauffret trop factuelle, trop sèche, trop tournée vers le mystique aussi. Bref, j'ai eu l'impression de rester en dehors du texte, même si, objectivement, je pense qu'il a de nombreuses qualités qui peuvent plaire. A réessayer plus tard peut-être! Il y a des fois ou ce n'est juste pas le bon moment, surtout lorsqu'on sort d'une lecture particulièrement enthousiasmante…
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Glaçant… Voilà le mot qui résume le mieux l'ouvrage que nous propose Régis Jauffret. Glaçant tant par le sujet qu'il aborde – le récit de la grossesse de Klara Hitler qui porte dans son ventre le mal absolu – que par la façon dont cette grossesse nous est narrée. En tournant les pages, on assiste aux doutes quasi permanents qui habitent Klara Hitler pendant toute sa grossesse. En effet, la jeune femme, très perturbée, à bientôt la conviction qu'elle va mettre au monde « une vermine ». Rien d'étonnant, me direz-vous, pour cet enfant qui est le fruit d'un inceste…

Ces neuf mois ne sont donc pas un long fleuve tranquille pour la future mère, avec en toile de fond l'importance de la religion – qui, rappelons-le, structure encore la vie quotidienne de l'époque – et le rôle majeur du prêtre de la paroisse, dont les avis sont des ordres. le lecteur vit, comme s'il était le confident de la jeune femme, cette violence quotidienne qui fait de chaque existence un chemin de croix. le lecteur vacille en permanence entre la compassion et la révulsion face à la mère du monstre, et il n'aura aucun répit, aucune possibilité de reprendre son souffle !

C'est du grand art qu'offre ici à son lectorat Régis Jauffret. Un style maitrisé, des personnages très travaillés et tous atypiques, ce roman a tout pour plaire. Par son sujet et par l'ambiance qu'il crée, ce livre ne laisse pas indifférent, et contraint ses lecteurs à sortir des sentiers battus.

Dans le ventre de Klara est incontestablement l'une des pépites de cette rentrée littéraire de janvier 2024 ! A lire, assurément !
Lien : https://ogrimoire.com/2024/0..
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Régis Jauffret est un écrivain hors norme. Chacun de ses nouveaux textes, nous entraine dans des contrées littéraires incongrues. Femme séquestrée, assassinat sadomaso, projet de cannibalisme, cet auteur est obnubilé par la folie et la cruauté de l'Homme. Il nous en fait profiter. Cette fois encore, il frappe fort en nous conviant dans la tête de Klara, qui n'est autre que la future mère d'Adolf Hitler.

Cette histoire qui se présente comme les origines d'un tyran, n'est en fait qu'un oeil porté sur la condition des femmes dans ces milieux et à cette époque. Klara possède un entourage désastreux. Elle est abusée par un oncle qui la maltraite. Elle se fait sermonner par un curé qui la diabolise. Elle est surveillée par une soeur simplette et incontrôlable. Dans ce contexte familial, elle n'a d'autres choix que d'abdiquer. Les règles en place dans tous les foyers sont tellement ancrées dans l'inconscient collectif, qu'à aucun moment, la jeune femme pense à les contourner. Elle accepte son sort, en se flagellant d'en être responsable.

Enfermé dans cet esprit limité et crédule, le lecteur subit les souffrances à ses côtés. Son quotidien oscille entre violence physique et violence psychologique. La plume pourtant exigeante de l'auteur retranscrit parfaitement la naïveté de cette femme, réduite à son rôle de reproductrice. Parsemée de phrases d'une longueur insolente, elle accompagne ses réflexions tourmentées.

Ce roman est douloureux à lire avec nos yeux d'aujourd'hui. Cette plongée dans une société patriarcale et religieuse sans restriction, nous prend souvent aux tripes. Toutes les scènes du roman, imprégnées d'une certaine tradition, confirment l'injustice de la situation de Klara. Pour ma part, j'ai plusieurs fois serré les poings devant mon impuissance à intervenir.

Même si elle s'avère moins sulfureuse qu'annoncée, c'est encore une nouvelle expérience de lecture inédite et déstabilisante que nous propose Régis Jauffret !
Lien : https://leslivresdek79.wordp..
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Il a bien fallu un jour qu'Adolf Hitler soit enfanté par une femme.
C'est cette gestation qui nous est contée ici.
Klara, la mère, est une femme totalement soumise à son mari Aloïs. Cet Aloïs qui est aussi son oncle de 23 ans son aîné – donc le père d'Hitler est aussi son grand-oncle - est un petit fonctionnaire, un homme dominateur, violent, sans tendresse pour les siens, et foncièrement conservateur, un mari qui prend sa femme pour une chose. Par ailleurs Klara, femme simple et peu éduquée, est sous l'emprise du curé des lieux qui voit la faute partout. Elle est curieusement sujette à des visions qui préfigurent ce que sera la Shoah exterminatrice, sans imaginer porter en elle celui qui sera l'incarnation du mal, cet Adolf dont le nom n'est jamais prononcé.
On ne peut qu'être pris de pitié pour cette femme rabaissée, réduite par son homme à la fonction reproductive, vouée par la société à la culpabilité et, en quelque sorte, de facto condamnée par L Histoire.
La langue de l'auteur est d'une grande puissance évocatrice, même si on peut ne pas adhérer au procédé narratif.
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Ce livre est une prouesse littéraire.
Régis Jauffret est véritablement un grand écrivain.

Il nous narre la grossesse de Klara, la mère d'Hitler, engrossée par son Oncle (ou son cousin, on ne sait pas vraiment), enfin grosse d'un enfant, le fruit d'un inceste.
Déjà ça démarre fort...

Je me permets de parler de prouesse littéraire car, par de petites touches, rares au début de la grossesse et plus saccadées à la fin, lors de l'accouchement ou juste après, Régis Jauffret instille au compte goutte les visions de Klara ou de l'auteur (à un moment donné tout se confond...), références innombrables à la Shoah et aux camps de concentration. Nous avons même droit à une époque très proche de la nôtre, si ce n'est la nôtre, des visites d'adolescents à Auschwitz-Birkenau.

Nous sommes nettement pris en otage dans ce livre addictif et profond, pour moi en tout cas il en fut ainsi, je n'ai pas pu le lâcher. Il m'a remplie comme Klara est remplie souvent de son Oncle quand il veut, comme il veut, où il veut.
Un sale bonhomme pétri de mauvaises pensées et se comportant comme un tyran sur toute la maisonnée.
Klara est mariée à lui.

Klara est clairement psychotique, surtout à la fin de sa grossesse.
Elle est obnubilée par ses pensées qui l'assaillent de nuit comme de jour, elle ressent un puissant attrait pour écrire ses pensées coupables dit-elle, elle est addict à tout support pour les écrire ; elle achètera même un tableau noir pour écrire encore et encore des phrases qu'elles entend. Pour les effacer avec une éponge.

Plus encore, elle est poussée à aller à l'église très souvent pour se confesser. Pas de chance, le Curé est limité, un psychopathe qui la rejette brutalement, ne lui donne l'absolution que quand ça lui chante. Des bondieuderies délirantes.
En fait, je m'aperçois que tous ont un grain, de l'Oncle à Klara en passant par sa soeur, et la servante. La sage-femme et le médecin sont également très étranges.

Ses pensées parasites, on sait qu'elle sont annonciatrices de l'avenir, car Hitler fut sans nul doute le père de la Shoah. le mal absolu. On sait quand les pensées de Klara s'envolent, Jauffret nous donne des petits indices, pas de ponctuation et des phrases mélangées au présent, qui vont tapisser les pages, et qui la plupart du temps, vont directement à la marge. C'est ici que je parle de prouesse littéraire, car ses digressions, qui n'en sont pas vraiment d'ailleurs, ses phrases ou paragraphes se mêlent avec beaucoup de talent au présent, à l'horreur de la vie de cette pauvre chose qu'est la future mère de Hitler, Adolph de son prénom.

Avec ce thème mortifère et moribond, j'ai hésité à le lire.
Et puis je me suis lancée (merci Kirzy...) et je ne le regrette pas, car c'est une vraie aventure littéraire auquel je me suis confrontée.
On retrouve ici encore le talent de Régis Jauffret.

Alors oui, c'est glauque, malsain, difficile.
Ayant beaucoup lu sur la Shoah, ces phrases parasites ne m'ont pas choquées ni mises à mal.
Mais l'ambiance de folie mentale est bien présente.

Pour moi, un OVNI littéraire, car je crois que le sujet du livre n'a pas été abordé par beaucoup d'auteurs, sinon aucun.

Un grand moment de lecture.
Je me sens remplie de cette expérience.
C'est sans doute le but.


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Régis Jauffret a le don de s'intéresser au pire. Au pire du pire, aux saletés et à la merde. Claustria m'avait choqué et retourné. Là encore, il s'attaque a un indicible.

Enfin… il ne s'y atèle pas directement. Cette fois-ci il s'y prend par la bande, il remonte plus loin pour voir à l'origine des pires travers et (les psy tous en coeur approuveront), quel coupable plus facile et évident que la mère ?

Mais, Régis ne cède pas à la facilité. Si c'est bien dans le ventre de Klara que grandit le futur génocidaire, c'est plus de l'entourage dont il est sujet. Bondieuserie, clergé culpabilisateur, mari abusif et manipulateur (et un peu consanguin…), isolement et rabaissement systématique…

De quoi devenir fou et…

Un livre dans un milieu sale et puant. Terreau fertile pour annoncer pire encore
Lien : https://www.noid.ch/dans-le-..
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« En juillet 1888, aux alentours de la Saint-Jacques, Oncle me fit grosse. » (p. 7) Dans le ventre de Klara s'étend sur les neuf mois de grossesse de cette femme, de qui le nom n'est jamais prononcé. Seul son prénom est indiqué. Son patronyme n'est cité que dans la quatrième de couverture : Hitler.

Régis Jauffret confie les pensées de celle qui porte la vie de celui qui incarnera la mort. Elle vit sous le joug d'un mari, qu'elle n'a pas choisi : un homme violent et sadique. D'elle-même, elle s'enferme dans une autre prison : celle de la religiosité punitive et étouffante. Elle s'accuse de tous les péchés. Son quotidien n'est que souffrance. Cependant, elle ne le perçoit pas entièrement, elle n'a connu que la domination patriarcale. Seuls des mots secrets, aussitôt cachés, brûlés ou effacés, montrent une certaine prise de conscience. Ses pensées sont entrecoupées par des visions des atrocités futures de son bébé. Ce sont des suites de mots, insérées dans ses phrases, de manière fugitive : ils remuent, car, contrairement à Klara, nous les interprétons sous le prisme de l'Histoire.

Ce roman m'a montré que le poids de la mémoire est si fortement ancré en moi, que je n'ai pu m'attendrir des douleurs de cette femme. Ma raison les entendait, mais je lui fermais mon empathie. Cela m'a déstabilisée, car si je n'avais pas su qui était son futur fils, j'aurais été émue par la vie de cette malheureuse. En effet, à travers elle, Régis Jauffret décrit la condition féminine, sous un angle qui me touche, habituellement. Je m'en voulais. J'étais déstabilisée par mon jugement injuste au sujet de Klara. Par moments, mon coeur s'ouvrait, mais se refermait. Ce livre m'a aussi permis de constater que mon esprit ne fabrique une image du dictateur, qu'à partir de son âge adulte. En raison de ses actes, je lui refuse toute enfance.

Dans le ventre de Klara est un roman puissant et troublant. Décidément, la rentrée littéraire des Éditions Récamier me bouscule et me confronte à moi-même.

Lien : https://valmyvoyoulit.com/20..
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