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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Ce qui est étonnant dans ce livre est de voir à quel point la lecture en est le pivot et le prétexte. Elle est à la fois le métier du personnage principal, un sujet de conversation (avec le professeur Sora), la condition qui fait que les différents protagonistes du livre apparaissent (l'annonce), la possibilité pour nous de les connaître et de savoir ce qu'ils sont et ce qu'ils pensent. Sans elle, le livre n'aurait pu être écrit et en même temps, elle semble servir de point de départ essentiel pour nous apprendre ce qui lie intensément les êtres par le désir et la nécessité pour chacun de le communiquer.

Cette lecture est avant tout -communication- puisqu'elle est orale, Marie-Constance pour les besoins de son métier lit ses textes dans ce qu'elle appelle la « chambre sonore », une pièce où seule sa voix est présente, un lieu où la voix humaine est à l'image des murs bleus qui le composent, comme si son origine inconnue ou divine donnait au lieu même où elle s'énonce un caractère d'étrangeté et d'étonnement. le passage où Marie-Constance sort de « la ville pour marcher dans les bois » est significatif. Nous avons l'impression que les diverses péripéties auxquelles son métier l'a entrainée et qui sont autant de questions pour elle, la poussent hors d'elle-même jusqu'à l'origine énigmatique de la parole et de l'homme : « Tout en laissant venir, par bribes à mes lèvres, tout ces petits bouts, fragments, éclats de choses lues qui dansent dans ma tête…..Mon Dieu, qui suis-je ? »

Toutes les personnes qui répondent à l'annonce ( les parents pour les enfants et les autres ) même si ils sont effectivement intéressés par une lecture orale de textes littéraires, sont avant tout on le voit bien dans le livre, préoccupés par la nécessité d'exprimer ou de communiquer un désir le plus souvent caché ou n'ayant pas la possibilité d'être pleinement formulé ; pour le jeune Eric des émois sexuels et une sensibilité poétique ; pour la Générale une complicité à l'égard de ses ferveurs révolutionnaires incongrues pour une aristocrate ; pour le PDG un besoin de rompre sa solitude pour assouvir un désir affectif et sensuel ; pour la jeune Clorinde l'envie de s'amuser (de se défouler) comme peut le ressentir une petite fille face à la pression quotidienne d'une mère autoritaire, etc… Chacun de ces personnages réagira à la présence humaine de Marie-Constance et à l'écoute de la lecture choisie ou pas, de manière à ce qu'il puisse exprimer quelque chose qui étouffe en lui et qui a besoin de se libérer.

Il est facile de s'en convaincre car la lecture est systématiquement interrompue par une réaction et le cours du livre déborde sur autre chose qui est l'affirmation du désir de celui qui écoute. Même si dans le cas d'Eric les deux peuvent avoir lieu, il écoute et regarde les jambes de Marie-Constance qu'elle dénude complaisamment. L'origine de ce désir se manifeste à chaque fois que la lecture littéraire commence et que la voix en devient le guide, cette voix est l'expression et le reflet du désir auquel répond le désir particulier de chacun. Michel Dautrand semble le confirmer lorsqu'il dit : « Tout vient de votre voix ! elle me pénètre jusqu' au fond des moelles ! » La voix de Marie-Constance est le « festin royal » qui apaisera peut être le désespoir de Dautrand : « je suis dans la situation de quelqu'un qui n'aurait pas mangé depuis des mois et qu'on met tout d'un coup devant une table somptueuse ». Cette voix est comme un festin alimentaire qui soulagera le désir sexuel du PDG, Marie-Constance le sait puisqu'elle dit : « j'essaie de lui faire comprendre que les mérites de la lecture ne sont pas si étrangers à ceux de l'amour qu'il semble le croire ».
Nous nous apercevons d'ailleurs dans cette scène que seul le maintien de la lecture - alors que le couple devrait passer directement aux actes - répondra à l'accomplissement harmonieux de l'étreinte.

Est-ce à dire qu'il y aurait un lien entre l'oralité et la jouissance ? Stendhal mentionne dans son journal intime qu'il aurait été confronté à une énigme qui est celle d'éprouver une excitation en parlant. Ceci pourrait nous amener à ce que Freud avec la psychanalyse conclut dans l'un de ses livres, quand il explique : « Nous avons remarqué que l'on pouvait reconnaître dès le tout début de la vie sexuelle enfantine, les prémices d'une organisation des composantes pulsionnelles sexuelles…Dans une première phase très précoce, l'érotisme
oral est au premier plan. » Cet aspect est peut être pas si incongru lorsque nous pouvons l'utiliser en faisant des rapprochements.

Ceci dit, il est à remarquer dans ce livre que le choix des auteurs lus commence avec Maupassant et se termine avec Sade. Nous avons l'impression que cette voix qui lit et exprime le désir à travers des textes qui manifestement n'ont aucun caractère érotique est comme pris au piège à la fin par la convoitise de tous et de certains plus radicalement. Marie-Constance qui illustre par sa voix le désir des autres est un miroir où tous les fantasmes finissent par se refléter. Elle est à elle seule le Désir et en subit le poids étrange, la scène dans le bois montre qu'elle est jetée dans l'infinité du désir et que celui-ci à ce moment, n'a d'autre but que la nature entière, que la voix humaine qui en est l'expression évoque par la célébration poétique voire extatique : « j'aimerais nettoyer minutieusement les troncs de leur vieille écorce, puis les étreindre, les embrasser, poser mes lèvres sur le bois nu. Mâcher les jeunes feuilles dès qu'elles vont sortir. Me griffer la figure à celles qui subsistent et peuplent les fourrés. Marcher sur cette terre sans espadrilles ni chaussettes…avancer encore. Plus loin. »

Comme par fatalité, Marie-Constance en vient à lire Sade, elle qui éveillait les timides envies d'Eric par la lecture d'un poème allusif de Baudelaire finit par se retrouver dans un petit salon calfeutré, accompagnée des notables de la ville avec devant les yeux ce texte où les désirs les plus monstrueux sont exposés : Les 120 journées de Sodome. le salon devient le théâtre où le désir, la parole, et la littérature vont peut être s'unir dans un même effort afin qu'un sens équivalent puisse les confondre.
Les trois notables assis face à Marie-Constance et qui attendent la lecture reproduisent précisément, le contexte mis en scène par Sade dans les -120 journées-. Lorsque les libertins écoutent les récits de débauches des historiennes, nous avons l'impression de « tomber » dans le livre que tient à cet instant la lectrice dans ses mains : quand nous savons que ce protocole sert à mettre en –appétit- nos libertins que de jeunes garçons et filles auront le malheur d'apaiser, nous comprenons mieux l'effroi de la lectrice et l'ironie de Raymond Jean.
Ce jeu subtil et profond entre la parole, le désir et la littérature est exposé par l'auteur dans son livre : La poétique du désir, qui se donne pour tâche d'éclaircir : « L'intention fondamentale de tout acte d'écriture ». Il semble qu'il y ait à l'origine de la création littéraire, un manque que le désir cherche à combler, « exprimer le principe agissant qui est à l'origine de tout texte littéraire nécessairement constitué à partir d'une absence, d'un vide que l'écriture a pour fonction de remplir. » Ce manque et le désir qui en résulte est proprement humain comme la littérature peut l'être et comme Lacan l'explique quand il dit que le moi s'organise autour de son -manque à être-. Ceci fait étrangement écho aux attitudes respectives des personnages de la lectrice à l'écoute des textes littéraires lus car la parole à ce moment semble illustrer à elle seule le vide qui est à l'oeuvre dans le livre et chez les êtres puis le désir que celle-ci éveille : « le désir dans le langage est d'abord la recherche insistante d'un objet qui ne se connaît pas encore et que la voie qu'il emprunte est celle d'une érotique ». Il suffit que le langage lui-même devienne l'objet de ce désir pour que l'oralité et la jouissance puissent être confondues.
Raymond Jean mentionne dans son essai que le désir qui en jeu dans la littérature peut se révéler « dans sa nature proprement sexuelle » en ajoutant de ne pas omettre « la part immense de l'éros dans la vie et l'oeuvre de l'écrivain.

Comme on le voit, la « Lectrice » est un livre d'une extrême richesse dans lequel la lecture est prétexte comme je le disais au début à un questionnement profond et lumineux sur l'écriture, le désir, le langage et les êtres.













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Quand je lis les critiques tout est dit. J'ai lu pratiquement tout de R.JEAN que j'adore. Pour ceux qui ne connaissent pas quelques titres : "L" « La Ligne 12 » « Les Perplexités du juge Douglas » « Un fantasme de Bella B » « le Roi de l'ordure » « L'Or et la Soie » « Transports ». Et bien entendu, le film de DEVILLE « La lectrice » avec Miou miou lumineuse et une pléiade d'acteurs tous formidables avec une mention spéciale pour Maria Casarès et Patrick CHENAIS.
Bonne lecture
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