Ce tome regroupe 2 histoires indépendantes qui ne nécessitent qu'une connaissance très superficielle du personnage. Il comprend les épisodes 1 à 4 de la série de 1997, ainsi que les épisodes 1 à 3 de la série Deadside de 1999, complétés par le script de l'épisode 4 et les esquisses.
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- Shadowman 1 à 4 (1997, scénario de
Garth Ennis, dessins, encrage et couleurs d'Ashley Wood) - Jack Boniface, le premier Shadowman est bel et bien mort. Nettie (une prêtresse vaudou, l'ancienne femme de ménage de Boniface) a choisi le prochain individu pour devenir Shadowman : Mike Leroi. Il s'agit d'un tueur à gages, sans pitié, qui conserve par devers lui un ours en peluche, comme s'il s'agissait d'un objet transitionnel. Pendant que Jaunty emmène Leroi faire un tour du côté de Deadside, 4 esprits en provenance de Deadside viennent asticoter son pote et le barman du débit de boisson qu'il fréquente.
En 1989, après s'être fait débarquer du poste d'éditeur en chef de Marvel,
Jim Shooter lance une nouvelle maison d'édition de comics : Valiant. Entre autres, en 1992, il participe à la création du superhéros Shadowman, avec
Steve Englehart et
David Lapham, dans les épisodes réédités dans Valiant Masters: Shadowman Volume 1 - Spirits Within. Par la suite, Valiant est racheté par Acclaim (un éditeur de jeux vidéo) qui relance la série Shadowman en 1997, en particulier avec ces épisodes. En 2012, l'éditeur Valiant est de retour et il relance une série Shadowman en 2013, réalisée par
Justin Jordan &
Patrick Zircher, à commencer par Birth rites.
Pour relancer la série, l'éditeur Acclaim choisit une équipe créatrice de choc (même si
Garth Ennis est encore assez jeune dans le monde des comics américain) et leur laisse les coudées franches. le scénariste raconte donc la naissance d'un nouveau Shadowman, à partir d'un individu tout neuf. Dans un premier temps, le lecteur note avec surprise quelques anglicismes, alors qu'a priori le récit se déroule aux États-Unis. Mais il s'avère que Jaunty est bel et bien originaire de Belfast. Selon toute vraisemblance, le lecteur est venu à ce recueil, soit pour le nom du scénariste, soit pour celui de l'illustrateur. Il y a peu de chance que l'historique de publication de Shadowman l'ait intrigué au point qu'il veuille découvrir son incarnation pendant la période Acclaim. Il retrouve effectivement plusieurs spécificités narratives d'Ennis. Il y a quelques moments énormes dans la violence, une affaire de gangsters, entre le tueur à gages et les délinquants en provenance de Deadside. Il y a également le choix du lieu principal : un bar.
Garth Ennis fait en sorte que son récit soit intelligible pour les nouveaux lecteurs, sauf peut-être pour la nature de Deadside, des sortes de limbes où séjournent toutes les âmes défuntes. Il raconte une histoire très ramassée dans le temps, environ 24 heures. Il prend le temps de donner un peu d'histoire personnelle à Mike Leroi, avec le dispositif narratif très voyant de l'ours en peluche. Il lui colle un gros traumatisme des familles sur le dos, et voilà un tueur sans âme prêt à l'emploi. Les autres personnages restent à l'état d'esquisse, guère plus que des dispositifs narratifs unidimensionnels. Il fait en sorte que cette itération de Shadowman présente une particularité qui la différencie de la précédente.
Dans ces épisodes, Ashley Wood dessine encore avec un encrage classique, il n'a pas encore basculé entièrement à l'infographie, comme dans Hellspawn avec
Brian Michael Bendis. Par contre, il a continué à s'éloigner du figuratif époque X-Corps avec
Joe Casey. Il utilise de gros aplats de noir pour montrer la noirceur des âmes et le poids du destin. Il s'affranchit régulièrement de représenter les arrière-plans, pour mieux faire ressortir les personnages. Il préfère s'attacher à des détails dans les cases, plutôt que de s'astreindre à être descriptif. Ainsi le regard du lecteur est accroché par l'uzi utilisé par un criminel de Deadside, sans qu'il n'y ait de raison qu'il utilise une telle arme, par les volutes de fumée s'échappant d'un canon d'arme à feu plus impressionnistes que réalistes, par l'insigne en étoile du shérif qui ressort au premier plan alors qu'il est en fond de case, par les grilles de Deadside épurées jusqu'à l'icône, par la forme impossible du crâne de Jaunty.
Ce scénario violent mais décompressé de
Garth Ennis est mis en image de manière expressionniste par Ashley Wood. L'artiste sait exprimer toute la violence du récit et son côté macabre, sans réussir pourtant à l'étoffer, sans que les dessins ne complètent ou n'apportent une interprétation supplémentaire à une intrigue squelettique. 3 étoiles pour la dimension expérimentale du récit.
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- Deadside 1 à 3 + script du 4 (1999, scénario de
Paul Jenkins, dessins, encrage, couleurs d'Ashley Wood pour les épisode 1 et 2 et les pages 1 à 9 du 3, dessins, encrage et couleurs de
Dennis Calero pour le reste de l'épisode 3, et esquisses très rapides de Calero pour le script de l'épisode 4) - À Londres au début du vingtième siècle, Billy Reuben est issu de la classe sociale la plus pauvre. Un jour, adulte, il est agressé par 2 malandrins qui l'assomment. Il se réveille allongé et ligoté sur une table, aux mains d'un médecin prénommé Alexander qui expérimente sur lui jusqu'où il peut mettre sa vie en danger, sans qu'il ne meure tout à fait. C'est ainsi que Billy se retrouve à traverser temporairement du côté de Deadside. Épisode 2 - Marie Coleman était une femme insignifiante ayant l'impression d'être spectatrice de sa propre vie, désolante de médiocrité sans relief. Après sa mort, elle se retrouve dans Deadside, persuadée qu'il s'agit des limbes servant d'antichambre au Paradis. Épisode 3 - Harry Chin était un vrai dur de dur, un tueur, mais il a fini par se donner la mort avec une balle de revolver dans le palais de la bouche et à se retrouver dans Deadside. Il est bien décidé à relever le défi, et à grimper au sommet de la pyramide en affrontant tous ceux qui se trouvent sur sa route. Épisode 4 - le narrateur des 3 premiers épisodes observe différents actes brutaux et violents dans lesquels des êtres humains trouvent un mort atroce, inutile et dépourvue de sens. Il repasse du côté de Deadside et observe des anges et des tortionnaires.
Cette série (très courte) était concomitante à une autre écrite par
Dan Abnett &
Andy Lanning qui a duré 6 épisodes en 1999. Comme son titre l'indique, elle n'a pas pour objet de raconter des aventures de Shadowman, mais d'utiliser le concept de Deadside (des formes de limbes après la mort) pour différents individus. Dès le premier épisode, le lecteur constate que l'ambition de
Paul Jenkins n'a rien à voir avec celle de
Garth Ennis dans l'histoire précédente. le scénariste confronte les convictions de ses personnages à la réalité de Deadside, à la réalité de la vie après la mort, du moins telle qu'elle existe dans la série. Ainsi le premier épisode est l'occasion de mettre en scène l'obsession d'immortalité d'un individu prêt à tout pour y accéder. Jenkins déroule un terrible face à face dans lequel le bourreau n'épargne rien à sa victime, et cette dernière recherche une échappatoire. C'est une nouvelle horrifique, sans grande illusion sur le fond de la nature humaine : sadisme et égoïsme.
Pour cet épisode, le suivant, et le début du troisième, Ashley Wood utilise son rendu si caractéristique : une apparence de photographies retouchées, immergées dans des camaïeux texturés. Les dessins présentent donc une dimension plus expressionniste que figurative. En fonction des épisodes et des séquences, Ashley Wood va focaliser une case sur un détail nageant dans des effets spéciaux, des jeux de couleurs, des textures évocatrices, etc. Ce parti pris graphique s'accorde à merveille du parti pris plus existentiel et philosophique de la narration de Jenkins, questionnant la nature humaine. Les dessins accentuent les émotions, les impressions, les sensations, montrant ce qui se passe, avec la subjectivité du personnage principal. En outre, ils apportent une dimension fantasmagorique aux limbes de Deadside, donnant à ressentir un endroit plus spirituel que réellement physique. Les dessins de
Dennis Calero reviennent à une approche plus figurative et les camaïeux perdent toute leur dimension métaphorique. Ses esquisses très rapides pour l'épisode 4 n'apportent pas grand-chose au script.
Au fil des 3 premiers épisodes, le lecteur est entièrement envouté par la narration visuelle expérimentale et relevant des impressions sensuelles. Il se rend également compte que
Paul Jenkins se sert du concept de Deadside pour raconter des histoires d'horreur, car cet au-delà n'a rien d'enchanteur. Il confronte aussi ses personnages à leurs convictions, selon lesquelles ils ont mené leur vie sur Terre. L'auteur sait se montrer convaincant quant à la logique de leur mode de vie, tout en en exposant son inanité lorsqu'ils tentent de reproduire les mêmes schémas de vie dans Deadside, une leçon de vie assez amère. L'épisode 4 présente donc la particularité de ne jamais avoir été terminé. La lecture n'en est pas très digeste sous forme de script, et le lecteur s'interroge sur la manière dont l'artiste aurait interprété ces indications assez limitées.
Cette deuxième partie constitue donc une expérience de lecture un peu contrariée, du fait du départ d'Ashley Wood en cours de route, et l'état inachevé de l'épisode 4. Néanmoins,
Paul Jenkins est au meilleur de sa forme pour les 3 épisodes complets, et Ashley Wood fait preuve de toute sa sensibilité dans des illustrations très évocatrices. 4 étoiles.