Ils sont tombés dans le grand noir les chevaux morts. Comme avalés par le vide ils sont allés dormir contre les vieilles machines à laver et les congélateurs qu'il y a déjà en bas.
Cette vallée en bas de chez nous où on avait atterri fatalement s'étalait des deux côtés de la rivière la plus polluée de France.
Ma mère elle a pas beaucoup de mots qui lui sortent de la bouche, elle nous fait plutôt des regards. Elle parle avec son visage et moi et mon frère on comprend tout.
Elle a des yeux fatigués comme des amandes sèches, pour dire des choses elle regarde et nous autour on sait qu'il faut pas l'emmerder ou glisser du couloir vers la chambre.
Ses bras il y a de la lassitude dedans mais ils sont jolis quand même, ils pèsent un peu gris. Parfois elle dit oui ou elle dit non, elle a toujours ce qu'elle veut parce que c'est le plus juste, se tromper elle sait pas faire.
Même mon père il le sait tout ça, il sait bien qu'on est tous les trois et de l'autre côté il y a elle, que c'est la seule qui sait traverser.
Alors quand elle fatigue du bruit qu'on fait et de comment on secoue les jours et la vie dans la maison comme un prunier, elle va plus loin sur son bord et nous on la regarde qui s'éloigne et on est comme des cons.
Il se déblayait la tristesse avec ses grosses mains calleuses. Il se les bougeait du corps les cailloux, il jetait tout par-dessus son épaule et il en avait plein, et des énormes et tous très froids et humides.
Sont sortis partout de nous de l’énergie et des liquides, et sa mâchoire dictait la pulsation. Je suis tombé du bord du monde dans son odeur d’envoûtement, je suis allé et venu dans le noeud sous sa peau, j’ai pris le jus sur sa langue et avalé l’eau dans sa bouche, courbé le mouvement de sa nuque sur un rythme qui nous venait de ce qu’il a derrière le désir. Elle m’a traversé comme une cascade de lumière.
J'ai fini par sortir la tête de l'eau, juste au moment où les poumons me brûlaient tellement que j'étais obligé de revenir à l'air, même si je suis mieux la tête sous l'eau vu que ça empêche les souvenirs de bouillir.
Ça les refroidit les souvenirs. Ça fait comme un panorama froid qui me traverse, ça secoue moins que de penser dehors, se souvenir sous l'eau c'est comme penser à rien ce qui est presque comme pas penser du tout, comme quand on dort des fois pendant que la voiture roule.
(...)
Je suis allé remettre ma tête au fond et brûler mes poumons encore une fois.
Sous l'eau je voyais trouble les formes de la lumière qui me zébraient le corps et l'esprit, entre les ombres je laissais ce qui divague derrière mes yeux envahir le reste partout sous ma peau comme pour démarrer la magie. Longtemps j'ai laissé faire les formes.
Hé ben tu l'aimes la femme aux gros nichons mon coco !
Le soleil s’est lézardé par fragments de petites lumières orange en touchant les premières cimes, sous les feuilles des hêtres ça nous faisait presque des peaux de léopards pendant qu’on regardait le feu droit dans les flammes, puis la lumière est morte et tout le monde est parti.
[…] C'est toujours un chouette moment quand on tue le cochon.
Les vieux ils ont fini de tout découper et tout nettoyer, juste ils ont mis les tripes de côté pour finir le lendemain parce qu'il était déjà très tard dans la nuit.
Quand on s'est réveillés le matin, on est tous remontés là-bas pour finir le cochon.
Ma mère était rentrée de chez sa sœur et mon père savait pas où se mettre à essayer de dire des choses gentilles, même qu'il y arrive pas trop mais c'est drôle à voir parce que ma mère elle ça la fait sourire.
Elle sait que même si ça lui fait l'effet de marcher pieds nus dans des ronces à mon père de dire des choses douces, elles lui viennent du cœur alors c'est bon à prendre.
J'étais assis à caresser un chat qui passait, et je les regardais tous les deux se parler doucement les yeux dans les yeux les mains dans la graisse du cochon. J'étais content qu'elle soit rentrée ma mère, ça mettait un peu de douceur et de sérieux dans l'oxygène, ça faisait stable autour, c'était de nouveau la sécurité du silence.
Ma mère elle a pas beaucoup de mots qui lui sortent de la bouche, elle nous fait plutôt des regards. Elle parle avec son visage et moi et mon frère on comprend tout.
Elle a des yeux fatigués comme des amandes sèches, pour dire des choses elle regarde et nous autour on sait qu'il faut pas l'emmerder ou glisser du couloir vers la chambre.
Ses bras il y a de la lassitude dedans mais ils sont jolis quand même, ils pèsent un peu gris. Parfois elle dit oui ou elle dit non, elle a toujours ce qu'elle veut parce que c'est le plus juste, se tromper elle sait pas faire.
Même mon père il le sait tout ça, il sait bien qu'on est tous les trois et que de l'autre côté il y a elle, que c'est la seule qui sait traverser.
Alors quand elle fatigue du bruit qu'on fait et de comment on secoue les jours et la vie dans la maison comme un prunier, elle va plus loin sur son bord et nous on la regarde qui s'éloigne et on est comme des cons.
A la fin d'un peu de temps elle ramène toujours la voiture et on baisse la tête jusqu'à ce qu'elle dise que c'est bon, comme pour les chats qui restent devant la porte même si elle est ouverte et qui attendent qu'on leur dise que c'est bon. Mon père il fait pas le chat c'est pas son genre, mais là il faisait pas le malin non plus.
Moi, les écrevisses ça me pose pas trop de problème, c'est comme les grenouilles et les escargots j'aime bien. Pas comme les couilles des moutons, ça je veux pas en manger depuis que sa mère elle a fait une tarte avec et qu'on m'a forcé parce que je faisais la gueule dans mon assiette.