Un rêve tentaculaire
Le titre ne ment pas : plonger dans ce roman signifie s'immerger dans un rêve. Les paysages, les mots, les personnages, l'univers dépeint, les couleurs choisies, le thème, le mobilier, les habitations… L'auteure nous décrit chaque chose avec poésie ; un lyrisme certain parcourt cet ouvrage incroyable. Dès les premiers mots, le ton est donné. le caractère de Vellitt Boe impressionne, tout comme l'école de femmes présentée, ou l'atmosphère singulière qui se dégage des tenues victoriennes des dames sévères, prêtes à tout pour que ce monde d'hommes les considère enfin.
Les grands fans l'auront peut-être deviné.
La quête onirique de Vellitt Boe est une réécriture d'un texte de
Lovecraft,
lui-même intitulé
La quête onirique de Kadath l'inconnue. L'interview de l'auteure
Kij Johnson, présente à la fin de cet ouvrage, nous explique ce choix étonnant. Fan des créations de
Lovecraft, mais non du personnage apparemment raciste, ancré dans une époque où la condition féminine n'avait pas la même valeur qu'aujourd'hui, l'auteure a voulu rendre hommage à cet écrivain incroyable, tout en mettant en scène une femme dans le rôle du personnage principal, une chose que le papa de Cthulhu n'avait pas vraiment l'habitude de faire.
Kij Johnson réécrit l'histoire à sa manière, y incruste sa touche féminine avec goût, tout en mettant en scène le héros du texte dont elle entreprend la réécriture. Dans ce roman, l'univers de
Lovecraft est touchant, beau, et poétique. L'auteure nous transmet sa vénération envers l'écrivain, dans un texte que l'auteur n'aurait certainement pas apprécié de son vivant, comme
Kij Johnson le précise dans la même interview.
Une longue quête
Plus des trois quarts du roman consistent à nous décrire le long voyage qu'entreprend Vellitt Boe pour retrouver l'une de ses étudiantes. Tous les endroits qu'elle croise, tous les lieux où elle fait halte, toutes les rencontres qui s'invitent à elle, sont dépeints avec talent. Les images que les descriptions surprenantes de l'auteure impriment dans nos esprits s'avèrent de toute beauté.
Ces passages n'ennuient pas. Au contraire, ils nous transportent dans un univers insaisissable, nous entourent d'une atmosphère à la fois sombre et fantastique. Les paysages nous restent longtemps en tête après la lecture. Se plonger dans ce récit trouble inévitablement. Les mondes du rêve et du réel s'entremêlent à chaque instant.
Le roman souffre de quelques longueurs, notamment lorsque Vellitt s'entoure de goules, au sein de grottes noires et humides, accompagnée par d'autres créatures plus terribles encore. L'atmosphère perd de son côté merveilleux. La poésie s'essouffle un instant.
Une femme forte
Vellitt Boe se dévoile à travers les personnages qu'elle croise, mais surtout aux côtés de son ancien amant, le héros du texte de
Lovecraft. Leurs différences et points communs mettent en évidence une personnalité forte, une volonté hors du commun, qui la mènera même de l'autre côté… Vellitt Boe est prête à tous les sacrifices pour sauver son élève.
L'étudiante disparue s'avère un tout autre genre de femme, aux ambitions divergentes. La lutte qu'elles se disputent semble sans fin. Les besoins de l'une ne représentent rien aux yeux de l'autre. Deux réalités s'opposent, deux mondes se répondent : ce
lui du rêve versus ce
lui de notre réalité, ce
lui composé de dieux anciens contre ce
lui construit sur la base de dieux plus récents.
Pour les fans
Les descriptions des lieux, des temples, des dieux, de la mythologie de l'univers, parleront davantage aux fans de Cthulhu qu'aux novices. Tous les noms étranges se multiplient, sans qu'aucun index ou aucune carte n'aide les lecteurs débutants à se retrouver. Après quelques chapitres, le lecteur peu connaisseur ne cherche plus à se situer dans l'espace. Il abandonne. Les noms propres perdent de leur sens. Seule la poésie compte, seule l'idée du voyage reste vivace.
Les conflits entre les dieux demeurent néanmoins compréhensibles, même si l'auteure n'explique pas le fondement de ces antagonismes ancestraux. La personnalité magique de Vellitt Boe, les descriptions poétiques, et un voyage prenant, permettent d'oublier le fait que l'univers nous dépasse. Et puis, finalement, nager dans le flou accentue l'idée du rêve, ce qui n'est en soi pas une si mauvaise chose, étant donné le thème de l'ouvrage.
Pas de fin
La fin déçoit par l'immense porte ouverte qu'elle laisse en suspens. L'intrigue principale n'est pas résolue. le voyage intérieur, le voyage initiatique de Vellitt Boe se termine de manière un peu trop abrupte. C'est dommage.
[Je publie des chroniques littéraires sur lavisqteam.fr et celle de ce roman est présente au lien suivant : http://www.lavisqteam.fr/?p=52200
J'ai mis la note de : 14.5/20]
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