Assise à table, Hulda dut se forcer pour avaler un morceau de raie fermentée. Elle en supportait mal l’odeur, et c’était loin d’être son poisson préféré, mais chaque année le 23 décembre, à la Saint-Torlak, la caféteria du travail se pliait à la tradition et servait ce plat. Ceux qui ne l’aimaient pas devaient se contenter de deux ou trois toasts, en essayant de tolérer la puanteur qui imprégnait tout le réfectoire, ou bien sortir s’acheter un sandwich.
Si seulement il n'avait pas fait basculer l'équilibre de leur foyer ...
Cet isolement, ce silence, cette fichue obscurité, tout cela participait à amplifier le moindre craquement dans la toiture ou le parquet, le sifflement du vent, les ombres, au point qu'elle se disait parfois que l'existence serait peut être plus supportable si elle se mettait à croire aux fantômes.
Hulda l'inspectrice et Hulda la mère semblaient être deux femmes différentes ; la première cherchait sans cesse à s'affirmer, la seconde, plus posée, plus naïve, fuyait le conflit. Et cette lâcheté, cette putain de lâcheté qui lui avait coûté si cher.
Toujours assise sur son lit, elle ferma les paupières un instant et écouta le silence. Lorsqu'elle essayait d'ignorer le vacarme du vent dehors, les bruits de la maison prenaient le dessus, s'intensifiant à chaque seconde. Le tic-tac du réveil, régulier et si terriblement assourdissant dans la nuit. Les craquements du bois, auxquels se joignaient à nouveau le hurlement de la tempête dans un capharnaüm de plus en plus insupportable, à lui en faire mal aux oreilles. Elle ouvrit les yeux et essaya de contenir son malaise. C'est alors qu'elle entendit quelque chose... Un vrai bruit. Aucun doute, quelqu'un était debout.
Elle aurait surtout aimé qu'il s'en aille sans tarder. L'dée de dormir sous le même toit que cet individu la terrifiait au plus haut point.
Cette fois-si , pas de sang, mais la scène n'en était que plus sinistre, d'une certaine manière. Quelque chose dans cet espace froid et vide donnait la chair de poule à Hulda.
Mais ils avaient devant eux un parfait inconnu, situation pour le moins inhabituelle. Personne ne voyageait dans les environs en plein hiver.
Telle la rivière, il cherchait le chemin qui lui opposait le moins de résistance.
C’était la vie qu’ils s’étaient forgée ici, une vie dont le seul but était de tenir bon.