Citations sur 400 coups de ciseaux (12)
La monstruosité est la chose au monde la plus répandue, avec la bêtise. On peut écrire à l'infini sur l'une comme sur l'autre. J'essaie de m'y atteler. Je reste souvent confondu de stupeur à la lecture de certains faits divers sui révèlent l'existence de monstres ordinaires, d'ogres débonnaires, de cinglés parfaitement intégrés socialement mais dont la conduite, en privé, s'abîme dans des gouffres d'ignominie.
"Voilà comment ça s'est passé..."
[ fin du monde ]
Le jeune homme fut tenté de descendre lui aussi dans le trou. Les caches étaient rares. Les sous-sols du métro, il en avait fait l'amère expérience, étaient infestés de bandes de barbares qui effectuaient des raids à la surface pour capturer les isolés afin de les réduire en esclavage.
(...)
Le jeune homme, tirant son landau derrière lui, pénétra dans la grotte.
- Je t'ai vu, tout à l'heure, reprit le vieil homme. Tu es un dresseur d'araignées ? Curieuse spécialité, par les temps qui courent...
- Au... moment de... enfin quand c'est arrivé, expliqua le jeune homme, j'étais au jardin des Plantes. Le feu ravageait tout, j'ai couru droit devant moi, et, en tombant, j'ai brisé la vitre d'un vivarium : il était plein de mygales. Je les ai sauvées des flammes... Depuis, elles me suivent partout, et elles m'obéissent. C'est mieux qu'un flingue, ça frappe l'imagination !
La péniche avait quitté l'écluse et filait à présent d'une allure bien régulière.
- On étouffe, là-dedans, soupira la fille, alors que Liu écrasait son mégot contre un madrier en ayant bien pris soin de viser une grosse blatte qui semblait s'y prélasser.
Elle écarta le rideau de toile goudronnée et huma l'air du dehors, accroupie à fond de cale.
- Respire, dit-elle, c'est le printemps, renifle un peu. Putain, comme ça sent bon...
Les yeux clos, narines grandes ouvertes, elle tendait son joli minois au vent d'avril, insolente, éperdue.
Peu après qu'il eût quitté son poste d'aumônier à la Légion, l'évêque de son diocèse l'avait prudemment approché pour lui proposer une charge d'exorciste. Les vocations faisaient défaut pour un tel poste à hauts risques. Un gaillard comme lui, solide, robuste, et qui n'avait pas froid aux yeux, ça semblait être l'idéal. Mais l'abbé avait décliné l'offre. C'était précisément l'année 1974, où était sorti en salles le long-métrage de William Friedkin, qui connut un triomphe international. L'abbé n'avait pas voulu risquer sa réputation d'homme intègre dans un tel carnaval. Et se retrouver à calmer les délires de rombières névrosées qui n'allaient pas manquer de trémousser de l'arrière-train à la suite du succès du film.
Giulio ne cessait de le répéter à ses pairs depuis des années, il fallait à tout prix sortir des galeries, déserter les musées, boycotter les expos. Tout cela, c'était du passé, des vieilleries. Peindre sur toile et suspendre les tableaux le long des murs pour que des badauds s'agglutinent devant en prenant des airs entendus, ça n'avait tout simplement plus de sens.
Certes il y avait des tentatives intéressantes, des voies de recherche nouvelles. Tel confrère avait déféqué dans une boîte de conserve et l'oeuvre, après obturation du couvercle, s'était sobrement intitulée 'Merde d'artiste'. Succès assuré.
(...)
• extrait de 'Art conceptuel', nouvelle parue dans 'Ras l'front', n° 76, juillet-août 2000, p. 11-12.
On dit parfois que les humains ont un capital de chance strictement égal à celui de leur malheur, qu'en d'autres termes la vie nous réserve un équilibre parfait, que les instants de joie, dans la balance du destin, équivalent à ceux des larmes.
[ préface de l'auteur ]
■ Voilà comment ça s'est passé...
(...)
Le roman noir m'avait donc mis une claque. Entre deux chapitres des 'Oeuvres complètes' de Trotski, je plongeais dans la 'Série noire'. A l'époque [fin des 70's], ma vie professionnelle - j'étais ergothérapeute - se confondait avec mes lectures. Noir, c'était vraiment noir. Je travaillais à l'hôpital Dupuytren, à Draveil. 'Hôpital' est un bien grand mot. A Dupuytren, centre de gériatrie, on parquait les petits vieux en attendant qu'ils meurent. Je devais les aider à patienter avant le grand saut en échange d'un salaire assez modeste. En bon militant trots', j'avais ma carte à la CGT, je marquais à la culotte les staliniens qui dirigeaient la section syndicale, dans l'attente de lendemains qui promettaient de chanter... et surtout, surtout, je déprimais très, très fort. Le spectacle de la mort omniprésente, jour après jour, heure après heure, la collection de vies dévastées que m'offraient les pensionnaires de Dupuytren, la longue litanie de souffrances qui suintaient des murs de ce mouroir me saccageaient le moral. Un copain m'aidait pourtant à tenir le coup. M. Lepointre, 76 ans aux prunes, qui me racontait ses souvenirs de délégué d'usine, à Levallois, en 1936. Un vieux prolo autodidacte qui avait lu Trotski, Aragon, Céline... et Dashiell Hammett. Je l'écoutais raconter sa vie, des heures durant.
(p. 14-15)
L'avantage du roman noir, je l'ai déjà souligné, c'est qu'il donne toujours des claques. (p. 20 / Policiers Seuil, 2013)
Un Mobil-Home, s'il vous plaît, avec deux majuscules, une à "Mobil" et l'autre à "Home" .Bref, une sorte de clapier destiné non pas à des lapins, mais bien à des humains,...
[Paroles d'une femme dont le mari violent la pousse à boire jusqu'à la faire devenir alcoolique]
J'ai tenté de m'y opposer, mais il est devenu violent. J'ai peur d'être battue, une peur maladive. Je ne sais pas me défendre.
[...]
J'ai peur des coups. Et c'est si bon de boire.