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Comment ne pas être émue par cette silhouette chaplinesque qui rejoint son lugubre logement d'Arcueil et sa féroce solitude ? de quelles vilaines pluies le parapluie noir qu'il n'ouvre jamais est-il censé le protéger ? Après la mort d'Erik Satie, ses amis entrent avec stupéfaction et accablement dans la pauvre chambre où il s'est caché pendant 27 ans. A partir de cette découverte, Stéphanie Kalfon brode une rêverie que scandent les indications fantaisistes que le musicien notait sur ses compositions. Une rêverie qui joue avec les éléments biographiques et nous fait pénétrer l'impénétrable, la part irréductible et mystérieuse d'un homme, d'un créateur exilé dans son temps. L'humour conjugué à la tristesse aboutit à l'absurde d'une existence que seule la mort rend visible. Il y a quelque chose de désespérant là-dedans, que l'ironie permet de désamorcer.
Je garde une impression de malaise après ma lecture de ce roman. Quelques petits trucs qui m'empêchent d'y adhérer complètement. Tout d'abord, il m'a semblé que l'auteur tirait fort sur le fil du pathétique, presque du larmoyant. C'est réussi, d'ailleurs : j'ai souvent eu les larmes aux yeux ! Mais ce qui me gêne surtout c'est que le point de vue adopté se donne pour biographique alors qu'il est et ne peut être qu'interprétation et reconstruction romanesque. La démarche qui utilise des fragments de la main du musicien, sortis de leur contexte, des évènements avérés de sa vie, comme venant authentifier le roman, alors que d'autres sont occultés, me paraît assez discutable. le risque étant que l'on superpose complètement le musicien et son personnage. Quelle importance? me direz-vous. C'est un peu de la manipulation des faits, non ? Et, pour moi, ce n'est pas nécessairement rendre hommage à un créateur que de l'ériger en mythe, car alors la fable prend le pas sur la création et l'oeuvre s'efface peu à peu derrière les images d'une trajectoire dramatique. le mythe de l'artiste maudit est extrêmement fécond et "Les parapluies d'Erik Satie" s'y nourrit d'une manière originale et touchante. C'est un beau roman... dans lequel je me refuse à voir le reflet de l'existence réelle d'Erik Satie.
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Avec "Les Parapluies d'Érik Satie" Stéphanie Kalfon fait un portrait troublant mais réussi du pianiste d'exception. Car il est délicat de faire le tour de sa personnalité : il se cache, il résiste, fait des blagues, vous tourne le dos et rentre toujours à Arcueil s'enfermer dans son gourbi où personne n'est admis.
Avec ce premier roman, la réalisatrice et scénariste rend un bel hommage à Satie qui est un musicien incontournable pour moi.

Déjà solitaire dans son enfance à Honfleur, la perte de sa mère ne cesse pas de résonner dans sa tête. Les phrases en anglais nous rappellent d'ailleurs qu'elle était écossaise. Les notes deviendront sa respiration même si sa formation de pianiste a été compliquée car son refus des règles lui ont valu l'incompréhension et le rejet de ses professeurs au Conservatoire.

Satie changera de siècle dans la douleur car c'est un homme qui n'arrive pas à se faire à son époque même si c'est la belle époque.
Au début du 20ème siècle, Erik Satie a la trentaine. Sans ressources et sans avenir professionnel, il délaisse Montmartre et l'auberge du Chat Noir où il a joué de nombreux soirs, pour une chambre de banlieue à Arcueil, coincé entre deux pianos désaccordés et quatorze parapluies identiques. Il boit autant, ou plus, qu'il compose. Observateur critique de ses contemporains, l'homme dépeint par Stéphanie Kalfon est aussi un créateur brillant et fantaisiste qui condamne l'absence d'originalité de la société musicale de l'époque. Il faut rappeler qu'il est l'inventeur de la musique d'ameublement, une musique créée pour faire partie des bruits ambiants et qui en tient compte.

Ami de Debussy, Cocteau, Man Ray, le portrait proposé par Stéphanie Kalfon est pourtant celui d'un solitaire triste, paranoïaque et alcoolique. Dommage qu'il soit si noir. Mais malgré cela j'ai aimé le ton et cette façon intéressante de raconter la vie de ce grand musicien, en la ponctuant des formules originales dont il était le créateur.

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Il est difficile d'écrire sur un livre lorsqu'on est ému. Il est difficile d'écrire une émotion, décrire une musique...
Peut-être est-ce le mot clé : musique. Ce roman déroule sa mélodie encore en moi à cet instant. Bien sûr il s'agit d'Erik Satie : point d'originalité à entendre un piano résonner au loin. Mais bien plus que cela, ce premier ouvrage réussit magistralement à transmettre dans le rythme d'un phrasé, dans l'emboîtement et la joliesse des mots : la lenteur et la douceur d'une composition, l'écriture d'une partition dans la succession de notes, de tonalités et de silences…Les suspensions de temps, les répétitions d'idées, les ruminations malades, et la mélancolie tour à tour douce et sombre d'un génie douloureux…Tout cela dans une orchestration originale et légère, inédite, et d'autant plus surprenante qu'elle délivre dans ces portées le tragique d'une existence, de l'existence.
Il y a dès le début cette scène d'enfance où Erik entend, « I heard something » : il entend le souffle qui cesse, le souffle de vie qui s'estompe ou le souffle de la mort qui emporte. Il entend le silence de la fracture, de ce qui troue à jamais, de ce qui cesse, le vide.
« Il ne fait pas froid, mais Diane a disparu et avec elle tout ce présent qu'on ne voyait pas et qui réunissait la totalité du monde… ».
Impossible de ne pas relier la mort, ses blancs ou ses noirs, son retrait qui aspire et creuse l'absence aux silences ponctués dans la musique de Satie…Toutes ces saccades, ces arrêts prolongés, ces instants d'apnée de la note tenue…Ainsi toute la noirceur de la tristesse introjectée par ces deuils précoces empoisonnera petit à petit sa vie et dans un même mouvement nourrira son oeuvre.
« Difficile de ne pas devenir fou, à force de collectionner les absences. »
On vacille en funambule entre détresse envahissante et sursaut créatif, frêle frontière entre les deux que la douleur rassemble.
Il y a la beauté et l'élégance de cet homme qui ne pourra jamais faire autrement que d'aller vers son libre soi tout en taisant son mal-être. Il préfère la solitude aux semblants ; il se drapera dans cette solitude armurière jusqu'à en crever en aiguisant toujours sa conscience sur la vie et le réel, pour lesquels il n'est pas adapté peut-être…pas si simple. « le quotidien l'éprouve, le harasse. le réel est terrifiant, il revient le hanter, un vrai boomerang…Partout s'accumulent des obligations, des politesses, des contraintes, du paraître et des justifications. (…) Etre un homme, une femme, un citoyen, une personnalité ou un parvenu qu'importe, il faut être, et de préférence pliable, rangeable, étiquetable. Alors Satie se force. Mais il ronge son absence comme un frein, il la reporte, la mâchouille et quand il n'en peut plus, il pique une colère sur tous les prétextes possible, histoire de créer un endroit imperméable où les autres n'ont plus du tout envie de venir le chercher ».
Avec l'humour en politesse des plus grands, et même si son malaise le trahit, il pensera préserver une amitié plutôt qu'étaler les viscères d'un désespoir. Avec une maladresse toute poétique, excessive ou absurde, persiste cette difficulté de s'inscrire au milieu des autres en respectant qui l'on est, de fuir un lien qui étouffe et alors sombrer de n'être plus regardé ou écouté…
Il y a l'éloge de l'ennui…Comme cette ballade sur la plage dans l'écoute attentive des nuances des pas qui crissent sur le sable, la basse du ressac, les respirations de l'écume : « il enfilait de l'ennui à l'ennui. Et maintenant l'ennui était plus chargé que l'océan ». L'ennui, le vide, la lenteur et dans ce paysage côtier, une main gauche qui accompagne une main droite dans la composition d'une sarabande.
Il y a tous ces mots magnifiques sur la difficulté de vivre qui tord : « Où en sommes-nous chacun, de ce qui fait une vie ? Qu'a-ton appris de tous les bruyants bavardages dont nous recouvrons nos malaises d'être là, vides et visibles, mon Dieu tout ce vide…A qui la donner pour ne plus l'affronter, cette perplexité d'être soi, être soi d'accord, mais qui ? Il est impossible de se ressembler. Un matin, quelque chose se stabilise et une rue plus loin, on a changé de caractère ou de colère. Il n'y a pas de mots pour dire ces variations silencieuses ». Pas de mots peut-être mais des notes, des clés, un piano…Une musique, de celles qui nous accompagnent et qui nous rappellent que nous sommes vivants même dans la tourmente et le chagrin. Qu'un homme avait compris cela et nous a offert quelques notes de musique et de se sentir moins seul alors quand la tristesse d'une mélodie nous autorise à entendre, accueillir la nôtre de tristesse, et à la déposer dans la consonance de ce partage.
Erik Satie et Stéphanie Kalfon nous rappellent un essentiel : la préciosité de notre singularité et que chacun a sa partition à jouer. « Tous, nous avons tous une signature de vie. C'est elle qui vous rend singulier, à cause d'elle que les choses arrivent d'une certaine manière, et se répètent ou se déroulent selon une musique spéciale, identifiable, différente. Dès ses premières années, comme tout le monde, et tout en l'ignorant, Satie était entré dans sa tonalité ».
Le drame est dans l'ignorance de soi, de sa couleur, la mésestime laquelle dans un engrenage cruel pousse à l'isolement, et l'oubli de soi pour soi et par les autres…
Alors ce soir je remercie Stéphanie Kalfon : qu'elle n'ignore jamais la beauté de sa tonalité, de son unicité dans ce talent d'écriture, si remarquable, dans la poésie et la grâce de ce premier roman tellement intelligent… avec lequel en plus des mots elle nous donne à entendre une musique, une vie, les battements d'un coeur créateur.
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C'est avec plaisir que je suis partie à la découverte d'Erik SATIE, ce compositeur né à la fin du XIXème siècle, sous la plume d'une toute jeune écrivaine, Stéphanie KALFON.

Erik SATIE fait partie de ces enfants que l'on qualifierait aujourd'hui de différents. Pas dans le rythme, un comble pour un futur musicien. Il n'a que 5 ans lorsque sa petite soeur Diane décède, il va vivre toute sa vie dans une profonde tristesse. Son frère Conrad ne suffira pas à lui faire oublier sa peine. du Conservatoire, il sera rejeté. Engagé dans l'Armée, il ne tiendra pas plus de 6 mois. La seule lueur d'espoir viendra de sa relation d'amitié entretenue avec Claude DEBUSSY. Saura-t-elle lui faire oublier sa condition ? Rien n'est moins sûr !

La lecture de ce roman m'a profondément attristée.

Tout d'abord, je crois que ce qui a suscité mon empathie, c'est l'immense solitude et l'état de dépression dans lequel on le découvre en 1901, il n'a alors que 35 ans, il vit à Arcueil, rue Cauchy. C'est l'expression de ce mal-être, de cette incompréhension du monde qui m'a troublée. Claude DEBUSSY avait su repérer chez lui son incapacité à s'intégrer dans la société qui était la sienne, il disait de lui qu'il était : "Un égaré dans ce siècle".

C'est aussi le profond isolement dans lequel sombre cet homme dont le talent sera reconnu bien après sa mort qui m'a fait réfléchir à la condition humaine et aux conséquences d'une mise à l'écart, d'une exclusion !

"Quand les gens vous oublient sans raison, c'est indescriptible. Cela devrait être interdit par la démocratie. Ils vous laissent une fuite dans le coeur, comme un sifflement. On appelle ça les acouphènes. Pour les musiciens, ce n'est pas de chance." P. 110

L'immense chagrin qui envahit Erik SATIE trouve sa source dès les premières années de son enfance avec le décès de sa petite soeur. Mais très vite, ce sont aussi sa mère et sa grand-mère qui décéderont. La vie du compositeur sera marquée par toutes ces femmes sorties de sa vie familiale prématurément et qui ne cesseront de le hanter plus tard.

"Tous, nous avons tous une signature de vie. C'est elle qui vous rend singulier, à cause d'elle que les choses arrivent d'une certaine manière, et se répètent ou se déroulent selon une musique spéciale, identifiable, différente." P. 93

Outre ces deuils successifs que l'enfant va avoir à surmonter, c'est aussi une forme d'éducation qui va contribuer à sa destruction. A cette époque-là, les enfants sont traités sans ménagement et les humiliations qu'il va vivre laisseront une empreinte indélébile au plus profond de son âme.

"Les vexations furent si injustes dans son coeur d'enfant qu'elles continuent de le menacer le long des âges. Ils ont fait de lui un être défait, un être de ruine." P. 131

En terminant ce roman, je ressens comme un sentiment de colère face à ce gâchis, gâchis humain bien sûr, aucun être ne mérite de vivre sa vie dans ces conditions, gâchis artistique aussi. Quand j'écoute Allegro, sa toute 1ère oeuvre, ou bien Valse-Ballet ou encore Fantaisie-Ballet, je ne peux me résigner au fait qu'il ait pu être blâmé pour sa virtuosité.

Stéphanie KALFON nous livre une biographie particulièrement teintée par la mélancolie du personnage, de celle qui ne permet pas à un artiste d'exprimer sa propre personnalité :

"La tristesse, souvent, fait de vous un être faux, une caricature." P. 158

Pour m'aider à refermer ce roman avec un brin de légèreté, j'aime à m'interroger sur la vie d'Erik SATIE s'il était né à l'aube du XXIème siècle...
Lien : http://tlivrestarts.over-blo..
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"Les parapluies d'Erik Satie", j'avoue que le titre du premier roman de Stéphanie Kalfon m'a beaucoup intriguée. de Satie, je connaissais certes les Gymnopédies… pas vraiment ma tasse de thé… mais je ne m'étais jamais particulièrement interrogée à son sujet… Pianiste et compositeur, musicien hors normes, ses sons décalés ne rentraient pas dans le style préféré de l'amateur de musique classique "classique" que je suis. Alors des parapluies !
A peine ouvert, pourtant, je me suis sentie propulsée dans son monde…dans un monde, car l'auteur ne se contente pas de relater sa vie, elle va beaucoup plus loin, narrant le climat dans lequel il évoluait, les personnalités qu'il côtoyait, le caractère si particulier qui fit de cet homme un musicien hors normes. J'ai apprécié, en effet, l'humanité avec laquelle elle parle de lui, l'artiste misérable, pour le moins ignoré, raillé, ridiculisé même, l'explique, lui rend hommage. Elle le dépeint merveilleusement dans son époque, au sein d'une société conformiste à laquelle il souhaite échapper. Réfractaire à tout ce qui était dicté par les bien-pensants, lui a voulu explorer d'autres rythmes, d'autres nuances de notes et fut donc incompris comme chaque précurseur. Il est vrai, je l'ai dit, que sa musique n'est pas d'un accès facile pour des néophytes, il faut s'y habituer, s'y adapter, s'en imprégner.

Stéphanie Kalfon nous raconte sa descente aux enfers, sa folie… "Signe extérieur de folie : Satie répète les mêmes motifs. Sans cesse il revient, revient, revient autour des mêmes choses…. Voilà comment il apparaît aux yeux des mondains. Aux yeux de ceux qui n'ont pas de sympathie envers la tristesse". Car il ne fait pas bon être différent des autres, insolite, inventeur, même si parfois, l'on n'en a pas moins raison à être seul à dire vrai.
J'ai trouvé le récit déroulé par Stéphanie Kalfon parfaitement adapté à la musique du pianiste. Syncopée, dérangée, l'écriture s'envole, se pose et bringuebale de descriptions en citations. Elle englobe dans ses propres mots, ceux du musicien, ses pensées, ses réflexions, ses notes, et le tout forme une sarabande à l'image des sons que j'écoute en lisant, car, oui, il fallait bien ça : se remémorer cette musique déglinguée, écoutée et restée mystérieuse, alors que je n'avais pas plus de vingt ans.

Le sujet est original et le texte très beau qui ravive le gris de la vie de Satie, lui donne de la brillance, et à moi l'envie de redécouvrir cet artiste méconnu de son vivant.
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On connait le nom d'Erik Satie mais beaucoup moins bien la vie de ce musicien avant-gardiste, « égaré » dans son siècle. Avec ce roman de Stéphanie Kalfon, le lecteur découvre un homme de génie, qui rejette la musique et la création de son époque pour inventer un autre rythme, d'autres normes que celles imposées par le conservatoire.
Erick Satie est incapable d'entrer dans un moule, d'accepter les règles ; il vit misérablement dans la solitude, dans une banlieue bien éloignée pour un marcheur à pied. Il passera de nombreuses nuits de café en cabaret, à jouer sa musique, à boire et parler pour ne rentrer qu'au matin dans ce logis peuplé de parapluies et de pianos cassés qui ne sera découvert qu'à sa mort.
Joli premier roman, intéressant et instructif, qui évoque l'inventeur d'une musique originale, mais aussi cette incompréhension dont souffrent souvent les génies trop en avance sur leur temps.
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« On n'envie jamais les gens tristes. On les remarque. On s'assied loin, ravis de mesurer les kilomètres d'immunité qui nous tiennent à l'abri les uns des autres. » Dès ces premières lignes, on comprend que Stéphanie Kalfon ne va pas se contenter de retracer la vie d'Erik Satie, mais dépeindre une atmosphère, un cheminement, tenter d'expliquer le mystère qui entoure encore aujourd'hui ce compositeur et pianiste à nul autre pareil.
Pour cela, elle va faire fi de la chronologie, commencer par nous présenter «le petit homme hors norme» en mai 1901, alors qu'il a 35 ans, qu'il chemine à pied de Paris à Arcueil parce qu'il n'a pas les moyens de faire autrement pour regagner cette chambre de la rue Cauchy où règne un chaos indescriptible, entre deux pianos qui ne sont plus en état de marche et… quatorze parapluies. Arcueil rime avec cercueil.
Il se retrouve dans la misère après avoir perdu les siens, s'être fâché avec le tout-Paris de la musique, délaissé ses amis et Montmartre où il avait pu, sous l'aile protectrice de Rodolphe Salis, le patron du Chat noir, exercer son métier de gymnopédiste.
Car « depuis toujours il promène sa partition interne hors des musiques à la mode. Taillé pour l'exil, lui se fiche pas mal des « Périmés » et de l'Académie. Ses contemporains se sont embarqués sur un vieux bateau « modern style » et prennent l'eau jusqu'au bout des mâts. Son embarcation à lui, c'est le bout de ses mains. Tout ce qu'elles peuvent dire sans un mot, à leur façon. D'une manière si inimitable qu'elle retient l'oreille de l'Assemblée, elle étonne. »
Au fil de courts chapitres, il sera alors temps de remonter le temps, celui de l'enfance et déjà, de la mort qui rôde. À six ans, sa mère meurt. Avec son frère Conrad il retourne à Honfleur chez ses grands-parents. Mais sa grand-mère meurt est retrouvée à son tout morte sur la plage. Voilà les deux frères de retour à Paris. Erik y apprend le piano, entre au Conservatoire, mais ne tarde pas à refuser des règles qu'il juge désuètes. Il est renvoyé et, aussi curieux que cela puisse paraître, décide alors d'intégrer un régiment d'infanterie.
Bien entendu, il va vite constater que l'armée n'est pas faite pour lui et se fait réformer en se promenant poitrine nue dans le froid hivernal. Suivront les années montmartroises et la rencontre avec les poètes, les peintres, les musiciens parmi lesquels Claude Debussy tiendra sans doute un rôle majeur, entre fascination et rivalité. Non décidément, il reste en perpétuel décalage dans un monde qui est pourtant en train d'entrer dans la modernité. Après l'exposition universelle, le XXe siècle apparaît, celui du jazz et du coca-cola. Celui des gymnopédies et celui des trois morceaux en forme de poire aussi. Car le génie de Satie ne sera vraiment reconnu qu'après sa mort.
En lisant Stéphanie Kalfon, comment ne pas vous suggérer d'écouter en fond sonore cette musique si originale ? En (re)découvrant l'homme, vous (re)découvrez ainsi les principales oeuvres d'Erik Satie. Vous verrez alors que le petit homme seul méritait cet hommage sensible, baigné de mélancolie.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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En 1887 Erik Satie a 17 ans, est viré du conservatoire, jugé trop insolent et refusant de se conformer aux règles de l'établissement.
« ICI, ON EXÉCUTE LA MUSIQUE !
IL N'Y A PAS DE VÉRITÉ EN ART :
LES COMPOSITEURS NE DOIVENT PAS
ETRES ESCLAVES DES REGLES. »
Il reste deux ans à ne rien faire et y retente sa chance mais ils ne veulent toujours pas de lui pour les mêmes raisons. À 20 ans il décide de s'engager dans l'armée mais sa fébrilité ne fait pas de lui un bon soldat, dehors ! Erik Satie est seul et a besoin de reconnaissance mais comment y parvenir avec sa singularité.
« Tous, nous avons tous une signature de vie. C'est elle qui vous rend singulier, à cause d'elle que les choses arrivent d'une certaine manière, et se répètent ou se déroulent selon une musique spéciale, identifiable, différente. »
Il est obsédé par la mort de Diane, sa petite soeur à l'âge de 8 mois mais aussi par celle de sa mère Jane deux mois plus tard et de sa grand-mère Granny, elle qui l'a élevé de nombreuses années. Elles le hantent chaque jour de son existence.
Ses rencontres l'amènent à jouer les gymnopédistes à l'Auberge du Clou, puis à croiser la route de Claude Debussy, qui fera naître une amitié de 30 ans.
À 36 ans il commence à sombrer dans l'alcool et n'arrive plus à créer. Il a toujours caché sa misère aux autres, vivant dans une petite chambre à Arcueil avec pour seule compagnie deux pianos, des partitions et 14 parapluies identiques.
« Alors alors, dès qu'il a un sou en poche, c'est pour acheter un parapluie :
un de Secours (de couleur noire)
un Just in case (de couleur noire)
un Malheureux (de couleur noire)
un plus Solide (de couleur noire)
un qui s'Envole (de couleur noire)
un Jetable (de couleur noire)
un très Digne (de couleur noire)
un Imperméable (de couleur noire)
un que l'on peut Casser (de couleur noire)
un qui nous Attend (de couleur noire)
un très Intimidant (de couleur noire)
un Alambiqué (de couleur noire)
un très Sportif, qui défend bien (de couleur noire)
et le dernier, gentil, juste pour les Dimanches (de couleur noire) »
Toujours habillé de la même sorte, empruntant le même chemin dans les rues.
« Il est un continent sans passeport valide. Il est sans barrière, sans limite. Il invente donc un style vertigineux, en supprimant les barres de mesure. C'est cela, le style Satie. Aucun jugement, aucune mesure, aucune norme ne peuvent plus vous barrer la route. »
Erik Satie passe les 27 dernières années de sa vie à errer dans les bars, seul, incompris, méconnu.
« Je n'aime pas marcher dans le vent, il kidnappe les sons et les rythmes, il écrase tout. Quand il souffle il nous rend sourd. »
« Rire d'une absurde mélancolie pour ne pas prendre ni la vie ni la mort au sérieux, quitte à ne jamais être pris au sérieux, tel est le piège. »
« Parfois, s'égarer hors du monde est le meilleur moyen d'en ressentir la vraie pulsation. »
Ce roman biographique rend un bel hommage à Erik Satie, musicien mal dans sa peau car incompris des autres. Il a consacré sa vie à la musique. Il nous montre sa fragilité dès le début de son enfance jusqu'à la fin de sa vie. Cet homme m'a fait souffrir avec lui tout au long du livre. Chaque période de sa vie nous renvoie à une découverte comme par exemple le cinéma, la tour Eiffel, le Coca-Cola…enrichissant notre culture. Comme il n'est pas simple d'être un artiste ‘hors-norme'.
Ce roman fait partie de la sélection des 68 premières fois, édition 2017
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" On n'envie jamais les gens tristes" c'est ainsi que commence ce roman.
Renvoyé à 17 ans du Conservatoire, le compositeur et pianiste français Erik Satie s'y démarquait par son insolence, son refus de respecter les règles et sa singularité, rêveur il était considéré comme un cancre. " Ici, on exécute la musique! Il n'y a pas de vérité en art : Les compositeurs ne doivent pas être esclaves des règles." écrit-il en lettres noires sur le fronton du Conservatoire.
Ce rejet le marquera à vie " Ils ont fait de lui un être défait. Un être en ruine.". Il trainera toute sa vie un terrible besoin de reconnaissance, se demandant "À quel âge est-il trop tard pour devenir quelqu'un?"

Erik Satie est dépeint comme un être contemplatif "Il enfilait de l'ennui à l'ennui " et solitaire. Frappé d'insomnies, il marche la nuit, dort le jour, flâne et boit de l'absinthe. Il cache sa mélancolie sous une certaine fantaisie, et adopte un habillement provocateur loin des conformismes de l'époque.
Il est aussi entier et intransigeant " Rien ne le blesse davantage que de partager un bon moment avec un être qui n'en garde qu'un souvenir vague, voire aucun."
C'est un homme plein de paradoxes qui malgré son extrême timidité est capable de coups d'éclats comme lorsqu'il parvient à se faire engager dans un bar.
Un homme marqué par la mort de sa soeur Diane à l'âge de 8 mois , la mort de sa mère et de sa grand mère à Honfleur, des morts qui l'obséderont toute sa vie...
Erik Satie a le goût de la nuit et de la liberté et traine avec une bande d'artistes Alphonse Allais, le poète Contamine avec qui il partage un costume. Il rencontre aussi Debussy avec qui il va entretenir une amitié de 30 ans.

Ses amis découvrent son extrême pauvreté le jour de sa mort en entrant dans sa chambre d'Arcueil "qui rime avec cercueil" car Erik Satie a toujours réussi à cacher sa misère à son entourage et s'est installé dans cette chambre en délaissant Montmartre à 34 ans en 1901, il y mourra 24 ans plus tard. Apocalyptique, cette chambre a fait sa légende avec ses deux pianos désaccordés et ses 14 parapluies noirs identiques. Personne n'était jamais entré dans cette chambre...14 parapluies pour un homme qui protégeait son parapluie quand il pleuvait de peur de le mouiller...

Parallèlement Stéphanie Kalfon évoque la naissance du cinéma, la création du coca cola, la construction de la tour Eiffel, le changement de siècle, l'expo universelle, l' invention de la biscotte, la mort de Zola et nous donne ainsi à voir un monde où tout s'accélère.

Insérés en italique des propos de Satie, des extraits de lettres à son frère, son seul confident, rendent le récit particulièrement émouvant.

On souffre avec cet homme hypersensible totalement seul, (le passage sur son anniversaire qu'il passe seul est poignant), en plein délire au bord de la folie, inadapté à son époque.
J'ai trouvé ce roman intense, très émouvant et remarquablement bien écrit.
Ce n'est pas une biographie classique du compositeur, Stéphanie Kalfon nous fait véritablement rentrer dans la tête de cet homme à la sensibilité à fleur de peau, si souvent au bord du désespoir "Vivre, c'est tellement... inutile!". Un être méconnu, insaisissable et incompris qui a consacré sa vie à la musique.
Un premier roman remarquable à lire avec un bloc notes à proximité pour y noter toutes les belles phrases de l'auteure, un premier roman à faire connaître !

Une belle découverte grâce à l'aventure des 68 premières fois
Ce roman fait partie de la première sélection du prix de la Closerie des Lilas
Lien : http://leslivresdejoelle.blo..
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La première qualité de ce livre c'est la plume de Stéphanie Kalfon. Vive, légère, presque musicale. Une plume qui livre des phrases virevoltantes, pleines d'une poésie que l'on imagine en phase avec son sujet.
Parce que je l'avoue, Erik Satie, je ne connais pas. Enfin, de nom bien sûr. Mais je suis très peu férue de musique et totalement ignare en la matière. Pourtant je l'ai croisé deux fois cette année, à une semaine d'intervalle. Ici et, comme un clin d'oeil dans le tome 6 des aventures de Victor Legris, la série policière dont Claude Izner situe l'intrigue à la toute fin du XIXème siècle, et où l'on rencontre Erik Satie dans... un magasin de parapluies. de quoi sourire.
Mais revenons à ce premier roman. Entre hommage et biographie romancée, il dessine le portrait d'un artiste maudit comme le furent souvent (et continuent parfois à l'être) les avant-gardistes. Un homme seul, refusant les règles et l'académisme, comme les peintres impressionnistes avant lui. Stéphanie Kalfon entreprend avec beaucoup de délicatesse de nous faire toucher du doigt les sentiments qui animent Erik Satie tout au long de sa vie, depuis les marqueurs de son enfance jusqu'à sa fin, triste dans une chambre de banlieue parisienne. Etait-il fou comme l'affirment certains ? Ou tout simplement génial ? Peu importe la réponse... c'est le voyage en compagnie d'un artiste hors du commun qui fait tout l'intérêt du livre, comme un privilège de côtoyer de près les mystères d'où naissent le génie.
Stéphanie Kalfon livre ici un premier roman original, tout en finesse, bien loin d'une quelconque hagiographie. Une délicieuse variation sur le thème du génie incompris.
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