"
Esprit d'hiver", enfin !
Premier rencard avec
Laura Kasischke. Je me suis mis sur mon trente et un, pressé de faire connaissance ... et un peu fébrile aussi. Est-ce que va coller entre nous ?
Le spectre d'avis plutôt large entraperçu sur Babelio, balayant tout de la louange inconditionnelle (et peut-être excessive ?) à la critique assassine (elle aussi exagérée ?) excite ma curiosité.
L'impatience monte encore d'un cran à la lecture de ces quelques lignes en 4ème de couverture, signées d'un
François Busnel pour le moins enthousiaste : "et si c'était elle, le grand écrivain contemporain ?
Laura Kasischke s'impose, livre après livre, comme plus douée des romancières de sa génération."
Rien que ça !
276 pages plus tard, à l'issue d'un tête à tête d'une grande intensité, le verdict est sans appel : je suis conquis !
"
Esprit d'hiver" est un huis clos domestique impeccable, le récit minutieux, presque heure par heure, d'une journée terrible. Nous sommes un 25 décembre et Holly attend ses invités pour les traditionnelles festivités de Noël, mais cette année rien ne va se passer comme prévu. En raison d'une violente tempête de neige, et tandis que son mari s'est absenté pour récupérer des convives à l'aéroport, la mère de famille se retrouve isolée chez elle (façon Jack Torrance à l'Overlook Hotel !) en compagnie de sa magnifique fille adoptive de quinze ans, Tatiana.
Alors qu'en mère aimante et attentionnée, Holly semblait disposée à faire contre mauvaise fortune bon coeur et à passer malgré tout une bonne journée en compagnie de Tatiana, la jeune fille se montre moins coopérative, et bizarrement beaucoup plus irritable qu'à l'accoutumée.
Peu à peu s'installe entre elles un trouble évident mais aux motifs confus, les efforts patients de l'une se heurtant de plus en plus violemment au mutisme vaguement provocateur de l'autre.
Sous la plume précise et terriblement efficace de Laura
Kasischke, faite parfois de quelques redites agrémentées d'infimes variations, ce qu'on aurait pu prendre pour un banal problème de communication mère/fille tourne lentement mais sûrement au véritable malaise. L'intrigue avance à tout petits pas, la tension monte graduellement et l'auteur semble prendre un malin plaisir à nous faire sentir que quelque chose cloche, sans que l'on sache vraiment de quoi il s'agit.
Surtout, elle nous ramène sans arrêt treize ans en arrière, quand Holly et Eric se sont rendus dans un orphelinat de Sibérie pour l'adoption de Tatiana.
La moindre friction entre la fille et sa mère est l'occasion pour cette dernière de se replonger dans le souvenir du périple qui a changé leurs vies.
Si ces flashbacks récurrents éclairent avec justesse la nature et la puissance de l'amour qu'Holly porte à Tatiana, ils peuvent avoir quelque chose d'un peu frustrant dans la mesure où ils interrompent toujours la narration au moment où le lecteur pense mettre enfin le doigt sur la source du sentiment d'angoisse, de plus en plus sensible à mesure que les heures passent.
Dans cette atmosphère à la fois feutrée et anxiogène, dans cet
esprit d'hiver glacial et inquiétant, alors qu'au dehors la tempête fait rage,
Laura Kasischke délivre un roman très singulier. Elle y aborde avec brio et originalité les thèmes de la famille et de la filiation, de l'adoption et de l'hérédité, le poids des origines, et jusqu'à la question de la maladie mentale.
Une première rencontre tout à fait saisissante, donc. Madame
Kasischke, me ferez-vous bientôt la joie d'un second rendez-vous ?