Dans le "sentir catholique", Venise donne l'impression paradoxale de remporter le match sur Rome par le mariage parfaitement accompli de l'art et de la foi, par son approche sensuelle de la peinture religieuse. S'il y a une ville qui a pratiqué somptueusement le culte des images prescrit par le concile de Trente, c'est bien Venise. Elle n'a cessé pourtant de battre en brèche l'autorité papale. La transfiguration esthétique à laquelle est parvenue cette ville relève de l'importance accordée aux sensations, aux couleurs, aux textures, à tout ce qui procède du toucher , des sons, de la vue, de l'odorat. L'essence du catholicisme ne réside-t-elle pas dans cette ardeur à ressentir, à mettre le corps à contribution - quitte aussi à le mater ?Cette vivacité de la matière, l'enveloppe charnelle dans sa plénitude semble parfois, surtout en Italie, l'emporter sur le dogme et la croyance. Pénétrer dans les églises vénitiennes , n'est-ce pas s'introduire dans la substance même du catholicisme, dans sa part la plus vivante et la plus voluptueuse ?p.54/55
Depuis toujours j'ai préféré le combat à la victoire. Il y a une telle tristesse dans l’accomplissement de ce que l’on désire. La constatation que le but est atteint. Il n'y aura plus rien après. Une part d’inachevé, voilà qui donne à la réussite sa vraie mesure.
D'emblée c'est ce que j'ai aimé dans l'Italie, son intimité avec le passé, presque une cordialité, se manifestant avec bienveillance et une simplicité qui jure avec la façon théorique, cérébrale et souvent tourmentée dont nous, français, considérons le patrimoine. Nous l'intériorisons trop. les italiens eux, ne sont pas obsédés par le sentiment de perte - parfois d'ailleurs on peut le leur reprocher -, ils vivent une liaison étroite avec leurs monuments. Ils sont de plain-pied avec cet avoir-été des vieilles pierres; ils marchent sur les anciens tombeaux sans trop se poser de questions.p.79
La cuisine italienne est résolument conservatrice. Elle le revendique. Elle n'est pas pour autant immobile. La part belle qu'elle fait aux légumes l'oblige non à innover mais imaginer de nouvelles alliances. La mondialisation ne l'a quasiment pas touchée. p141
Nous rêvons tous de retourner à ce moment suspendu de l'enfance, ce point invisible qu'on veut immobiliser, convaincus que le temps cesserait de courir vers la fuite.
Henry James affirmait que le fait seulement d'écrire ou de prononcer Venise était déjà en soi source de volupté.
Il est un moment qui me comble, peut-être le plus beau que procure Venise, c'est le concert des cloches qui exultent et se répondent à la volée le dimanche matin. Portées par l'eau, les sonneries miroitent et se réfléchissent à la surface, propulsées par le canal de la Giudecca. Une joie qui s’accroît et monte à la tête. Elle me met dans un état proche de la béatitude.
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Henry James affirmait que le fait seulement d'écrire ou de prononcer le mot Venise était déjà en soi source de volupté.
Difficile d'échapper à l'exaltation. On attend beaucoup de Stendhal lors de son premier voyage à Venise en 1813. On va se régaler. Cette ville est tellement faite pour lui. Eh bien, il n'y arrive pas. Rien. À sec. Impossible pour lui de la décrire : "Il ne me vient que des superlatifs sans grâce qui ne peignent rien à qui n'a pas vu.
J’avais pardonné le mal que m’avaient fait subir mes ravisseurs. Non par vertu mais par hygiène mentale. Le sentiment de vengeance corrode insensiblement l’âme. Il ne s’apaise jamais et achève de desagréger le principe vital.