Un écrivain en résidence voit sa quiétude troublée par un fâcheux. Une jeune fille passe une dernière matinée dans la ferme de ses parents avant de s'envoler pour l'Amérique. Un prêtre se rend chez un acuponcteur chinois, histoire d'oublier le visage d'une jeune mariée. Une femme étrange s'invite chez le voisin qui partage son lit avec une chèvre… Des femmes seules ou mal mariées, des prêtres en proie au doute, des paysans avares, trop de whiskey et trop peu d'argent, tout un monde rural qui tente de lier modernité et mythologie ambiante. En huit nouvelles, huit portraits,
Claire Keegan dessine la campagne irlandaise, les vies contenues et les glissements, les erreurs, les regrets d'avoir dû se conformer, mais tout autant les grands élans, le murmure des arbres et les vieilles sagesses à fleur de tourbe.
Vous ne trouverez ici ni leprechauns, ni banshee, ni saga celtique. Pas plus que de discours politique à la
Ken Loach. D'une petite voix précise et posée,
Claire Keegan dessine des vies alourdies par le travail, les mauvais souvenirs, les occasions qu'on n'a pas su saisir. L'Irlande ici est à chercher du côté des pâtures et de la mer, dans l'attachement à la terre, dans une religion tellement présente qu'on ne songe plus à la remettre en question.
L'auteur a beau se défendre de privilégier un sexe plutôt que l'autre, ses protagonistes masculins sont avares, lâches, menteurs, gênants – quand ils ne sont pas franchement criminels comme le père du « cadeau d'adieu ». Les femmes sont têtues, tenaces, volontiers aigries ou manipulatrices, à l'instar de la mère de « la fille du forestier » qui utilise ses talents de conteuse pour se venger d'un mari qui l'aura négligée toute sa vie. Père, mère, enfants, le lien familial justement, essentiel s'il en est, est l'ombre de lui-même, tout juste un ensemble de chaînes dont on ne peut se débarrasser parce que cela ne se fait pas. On risquerait alors de se retrouver dans la position de la femme célibataire de la « nuit des sorbiers », taxée de bizarrerie (dont elle s'accommode fort bien, au demeurant). Ça et là affleurent tt de même oudes motifs irlandais « attendus », pour ainsi dire, l'alcoolisme, la figure du prêtre, les légendes millénaires teintées de sorcellerie paysanne… Mais Keegan se donne beaucoup de mal pour éviter la couleur locale tout en restant profondément ancrée dans l'Erin des campagnes. Il est possible que la caractéristique rurale l'emporte sur l'aspect irlandais. Sans pour autant verser dans l'analyse socio-historique : il est difficile de dater ces nouvelles qui pourraient se dérouler la semaine dernière comme au tournant du XXe siècle.
Alors, c'est vrai, les thèmes sont lourds, les ambiances à couper au couteau par moment, mais j'aurais du mal à qualifier ces textes de pessimistes ou cyniques. L'auteur ne prend pas parti, elle laisse ses créations s'exprimer et se débrouiller tant bien que mal avec leurs vies imparfaites. Au lecteur de combler les trous, de se murmurer les commentaires, de parcourir le reste du chemin.
Je ne dirais pas qu'il s'agit d'une révélation. Il est même fort possible qu'
À travers les champs bleus laissent certains lecteurs sur le bord de la route, surtout s'ils n'ont pas a priori d'affinités avec le genre ou si l'on n'accroche pas à la (fausse) simplicité du ton. Personnellement, j'ai envie de poursuivre, un jour, avec
Les Trois lumières, le seul roman de l'auteur à l'heure actuelle.
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