Avant tout, un grand merci à Babelio et son opération Masse Critique qui m'a permis de recevoir ce livre et de le chroniquer.
Douglas Kennedy, c'est un des très rares auteurs dont j'achète, et lis absolument tous les livres, dès leur sortie, et en grand format s'il vous plait. Je lis sa fournée annuelle sans exception (il n'y a que son essai sur l'Egypte
Au delà des Pyramides que j'ai dans ma bibliothèque, mais pas encore lu), un peu comme je vais voir un
Woody Allen : je ne rate aucune de leurs oeuvres, et ensuite je les classe à l'aune de l'ensemble de leur bibliographie ou filmographie respective : soit un très grand Kennedy ou Allen, soit un mineur.
Et alors, la cuvée kénédienne 2011 est t- elle un bon millésime ou un plus modeste?
Disons, pour répondre immédiatemment à cette insoutenable question, qu'il est entre les deux : à la fois un bon roman passionnant, et en même temps avec quelques défauts qui l'empechent de le situer parmi ses meilleurs romans ( comme
La Poursuite du bonheur ou les charmes de la vie conjugale).
Parmi les nombreuses qualités du roman, on peut d'abord saluer l'énorme ambition de Kennedy : l'auteur, qui a vécu quelques mois à Berlin en 1983, donc en pleine guerre froide, a voulu situer l'intrigue de Cet Intant là dans cette ville, et à cette époque là précisemment.
Enfin, plus précisemment, une partie de l'intrigue puisque l'histoire commence dans le Maine, où le narrateur, Thomas Nesbitt, la cinquantaine fatiguée, reçoit, en même temps que sa notification de divorce, un courrier provenant de Berlin et qui va le faire replonger 25 ans en arrière lors de son séjour professionnel dans le Berlin d'avant la chute du Mur...
Cet instant là est donc un roman à la fois divertissant (Kennedy n'a rien perdu de son talent de "page turner") et en même temps trés instructif dans sa partie chronique politique, puisque toute la partie sur le Berlin de cette période est absolument bien rendue; Kennedy ayant ajouté à ses souvenirs personnels, une vraie recherche documentaire. Ce livre fait d'ailleurs écho de façon revendiquée à un film qu'il a beaucoup aimé, La vie des autres, et comme j'ai vu ce film trés récemment, j'ai pu faire le parrallèle, puisque dans les deux histoires, il est question d'auteur dramatique vivant en RDA et qui écrit des pièces jugées subversives pour le régime totalitaire en place.
Mais
Cet instant là est avant tout, et contrairement à La vie des autres, une histoire d'amour passionnée et forcément tragique, car broyé par
L Histoire. Cette même histoire, qui par le force de son souvenir, restera dans l'esprit de Thomas, même 25 ans, un mariage, et un enfant après. Et hélas, et étrangement, car Kennedy nous a déja habitué à trousser des histoires d'amour poignantes, c'est dans cette veine sentimentale que le bat blesse.
Sans doute ai-je été légèrement influencé par quelques articles sur les blogs qui reprochait au livre une certaine miévrerie dans le coté histoire d'amour, mais quoiqu'il en soit, ce coté un peu roman de gare, du moins dans certains dialogues m'a un peu géné. Prenons un petit exemple, pas complétement au hasard:
"- oh, toi, toi...
- dis moi que tu m'aimes
- je t'aime
- et moi je t'aime"
Bon je veux bien que quand on vit dans la passion, on est vite pris par le côté fleur bleue (c'est ce que m'a rétorqué ma copine qui a tout aimé dans ce livre, elle), mais à l'écrit, ce genre de dialogue passe bien mal la rampe.
Par ailleurs, j'ai regretté que certains personnages secondaires sont, soit caricaturaux (sa femme américaine, froide, hautaine, sans relief; le collègue polonais de la radio, assez odieux de bout en bout), soient intéressants mais sacrifiés et complétement oubliés au fil de l'intrigue (par exemple son colocataire peintre et l'amant turc de celui-ci).
Ces réserves émises, le livre reste quand même d'excellente tenue, et , surtout, est rehaussée par les deux parties finales (le livre en comprend 5 ), notamment la 4ème partie, composé du journal intime de Petra, qui nous révèle une autre facette des évenements vu précédemment à travers l'oeil de Thomas, et qui nous permet de mieux appréhender l'indicible et la monstruosité humaine. Quant à la dernière partie, qui voit Thomas revient à Berlin une fois le manuscrit découvert, elle boucle la boucle d'une épatante façon, toute en tristesse et mélancolie.
En résumé, Kennedy aurait pu peut etre encore mieux faire, vu les chefs d'oeuvre auxquels il nous a habitué, mais, néanmoins, en l'état actuel des choses, il n'a pas raté son voyage à l'Est.
Lien :
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