«
Sans doute croyais-je encore à des notions telles que l'honneur, la probité et le devoir. La vie allait m'apprendre la plus dure de toutes les leçons, à savoir que, dans un univers corrompu, la seule chose à laquelle on peut à peu près se fier, c'est la corruption et la mort et encore plus de corruption, et que l'honneur et le devoir n'ont guère de place dans un monde contenant un Hitler ou un Staline. »
C'est pour des phrases de ce genre que j'aime
Philip Kerr parce qu'elles révèlent la dimension psychologique profonde de son personnage Bernie Gunther.
Bernie, ancien flic de la KRIPO, la police criminelle berlinoise au taux d'élucidation d'affaires envié de toute l'
Europe à l'époque de la République de Weimar, est, comme toutes les institutions allemandes, prises dans le tsunami nazi à partir de 1933. Rien n'y personne n'y échappe.
Bernie essaye de survivre dans cette société où il faut se méfier de son voisin, de son cousin, de son employeur ou de son employé.
Le paradoxe est que le talent d'investigateur de Bernie fait qu'il est sollicité par les pontes du régime nazi, Goebbels et Heydrich notamment.
Le roman
Les ombres de Katyn se déroule en 1943, près de Smolensk en URSS, après que l'armée allemande a subi la défaite de Stalingrad et s'est repliée sur une ligne de défense en attendant la grande offensive de l'Armée
Rouge qui doit se dérouler au printemps.
La découverte d'un cadavre dans la forêt de Katyn, à l'ouest de Smolensk, dont Bernie révèlera qu'il est celui d'un officier polonais, donne l'occasion à Goebbels de chercher à démontrer que ce massacre d'officiers est l'oeuvre des Soviétiques. Une tentative d'exonérer le Reich de s
es autres crimes de guerre, au yeux des alliés…
Bien entendu, Bernie est chargé d'assurer la conduite de l'enquête.
« Si, tout comme moi, vous souhaitez que la vérité sur ce crime affreux soit imputée aux barbares bolcheviques qui l'ont commis, acceptez cette tâche. » Lui demande Goebbels. Il n'a pas le choix.
Le contexte de 1943 – alors que la plupart des officiers de l'état major allemand envisage la défaite du Reich, sont à l'origine de complots contre Hitler et envisagent même de négocier avec les alliés – ne va pas faciliter la tâche de Bernie.
Même s'il à l'oreille de Goebbels, les agissements des différents acteurs présent à Smolensk (à 1250 km de
Berlin), sont autant de paramètres qu'il devra prendre en compte.
Luttes d'influence, trafics en tous genre, règlements de comptes, pots de vins, sont le propre de l'Abwher, de la Gestapo, des services de renseignements ou de la Feldgendarmerie.
Chacun pense à l'offensive russe et au meilleur moyen de s'en tirer sans y laisser sa peau.
Autour de faits réels qui sont rapportés dans la Note de l'auteur en fin d'ouvrage avec une bibliographie des ouvrages essentiels sur le massacre de Katyn,
Philip Kerr livre un récit passionnant qui est plus qu'un simple polar même si l'énigme prend le lecteur du début à la fin.
Comme toujours chez
Kerr, les événements historiques sont à la base de l'énigme policière proprement dit. Ils ne font pas l'objet de développements neutres et hors sol, mais sont rapportés par les différents personnages et surtout par Bernie lui-même qui a un sens aigu de la formule pour donner au lecteur une idée précise des démons contre lesquelles il se bat :
« Même les chiens à Smolensk ressemblaient à Tolstoï »
« Dans tous les cas, Dieu allait devoir choisir son camp et le choisir vite ; les communistes mécréants ou les Allemands blasphémateurs. Qui voudrait être Dieu face à un choix pareil ? »
« La peur. C'était un problème que j'avais fréquemment avec les nazis. Enfin avec les Allemands encore en vie. »
Lien :
https://camalonga.wordpress...