Citations sur Lucine (10)
Toujours, la réalité éclabousse le rêve, pourtant il faut rêver encore.
Je suis née riche ; pourtant, la fortune s'est envolée comme une nuée d'oiseaux. Je n'ai jamais rien possédé d'autre que les mots. Ni le miel ni le noyau de l'olive. Seuls mes souvenirs m'appartiennent. Ils sont autant de traces fragiles, imprimées en moi. Certains jours, le soleil les illumine ; certaines nuits, ils sont pris dans une bourrasque glacée.
[Louise / Lucine est devenue écrivain public]
Je me perdais dans ces fragments de vie.
Ceux que je croisais devinrent soudain passionnants,
car je compris que nous étions tous, à des degrés divers, des survivants de quelque chose.
D'un passé douloureux, d'un silence, d'un geste de trop, d'un manque d'amour dans le cœur.
Grand-père était un homme important. Il faisait du commerce et possédait plusieurs succursales à Manchester, Constantinople et Beyrouth. Il avait même une banque, dont s'occupait mon père, et de nombreux biens : plantations de bois, troupeaux de moutons, pistachiers... Mon père avait rencontré ma mère lors d'un voyage d'affaires à Beyrouth et leur mariage avait été célébré à Paris avant qu'ils fassent le tour de l'Europe. Je trouvais maman plus belle encore que la lune, les nuits où elle était pleine. Chaque soir, elle déposait un baiser sur ma joue, et son parfum de lavande fleurissait dans toute la chambre. Elle semblait une fée, presque désincarnée, tant elle était angélique et patiente.
Nous étions trois enfants qui nous disputions sans cesse son affection. Lorsqu'elle posait les yeux sur nous, nous pénétrions dans un monde mystérieux. Nous étions projetés dans un univers qui devenait plus clément par le miracle de ses pupilles noires.
Mon frère aîné, Pierre, était le plus turbulent. Il avait été repêché à l'âge de sept ans dans le grand bassin de la cour par un domestique, alors qu'il venait d'y plonger, sans savoir nager. Une frayeur indescriptible avait parcouru la maison confiance des Arméniens, pénétrer leurs intentions secrètes et connaître leurs dirigeants, afin de mieux les frapper le moment venu. Dans la foulée, les soldats arméniens sous l'uniforme furent désarmés, envoyés aux travaux forcés puis fusillés.
Un télégramme fut transmis par le ministre de l'Intérieur, Talaat Pacha, aux cellules jeunes-turques : «Le gouvernement a décidé d'en finir avec tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge ni du sexe. Les scrupules n'ont pas leur place ici.» La «loi provisoire de déportation» du 27 mai 1915 fixa le cadre réglementaire des massacres et de la spoliation des victimes. Les représentants du gouvernement n'hésitèrent pas à destituer les fonctionnaires locaux qui faisaient preuve de trop de tiédeur.
Je n'écris presque plus de poèmes. Parfois, quelques mots naissent dans le creux de mes silences, mais je tends la main vers eux avec tant de furie, que j'arrache leurs bourgeons et il ne reste rien. Grand-père et toi, vous auriez su quoi faire, mais moi je ne sais pas.
Tu disais que tu avais une incroyable mémoire et qu'il te fallait vivre de belles choses, car tu étais condamné à te souvenir de tout.
Moi aussi, je me souviens de tout, et la nuit je supplie qu'on me laisse oublier.
Salomon me fut d'un grand secours durant cette période. J'arrivais chez lui le coeur saturé de tristesse, et son regard malicieux se posait sur moi.
" Alors, les nouvelles sont bonnes aujourd'hui, poétesse?
- Elles sont atroces.
- Qu'y a-t-il de pire qu'atroce?
- Abominable.
- Tout va bien, donc!"
Et je riais aux éclats...
Ma maison est devenue la Terre. J ai habité tant de lieux qu ils se confondent et se mêlent pour former un plat savoureux et amer, que je prends le temps de déguster. Aujourd'hui, la lumière de ma vie vacille et j admire la sérénité du ciel. Ma maison est la Terre. Elle est petite et confortable, échouée sur le flanc d une montagne. Quand j ouvre la fenêtre le matin, l air de l infini m enivre et je regarde la vallée, si belle.
Je m'arrêtai pour observer trois petites filles adossées à un mur.
Leur allégresse me rappela celle que j'étais …
Moi aussi, j'ai dévalé la pente de mon enfance en sentant le vent sur mon visage radieux. Moi aussi, j'ai tendu la main vers le ciel pour toucher les nuages. Moi aussi, j'ai enseveli mes jours sous des nuées de rires. Moi aussi, j'ai été une enfant qui cherchait à résoudre avec ses rêves l'énigme de la vie. Moi aussi, j'ai volé vers un arc-en-ciel sur les ailes d'un oiseau multicolore.
J'ai été le soleil, comme vous l'êtes aujourd'hui.
"Peut-on encore aimer, quand celui qu'on aimait est mort ?" (…)
"L'amour ne meurt jamais. Il peut se porter sur tel ou tel, mais il existe en lui-même, indépendamment de celui ou de celle sur lequel il se porte.
La mort est une mauvaise herbe. Elle envahit notre jardin. Il nous faut l'arracher afin d'éviter qu'elle le contamine entièrement et martyrise les fleurs et les arbres que nous regardons pousser patiemment.
Il est un moment pour la tristesse, un moment pour la renaissance. Nous sommes une terre fertile. Si nous veillons à l'arroser chaque jour, elle donne de beaux fruits.
Mais il arrive que la grêle s'abatte sur la terre et en gâte les fruits. Toute la difficulté est alors de ne pas se décourager et de la laisser un moment reposer, avant de replanter les graines du lendemain."
Ma maison est devenue la terre. J'ai habité tant de lieux qu'ils se confondent et se mêlent pour former un plat savoureux et amer, que je prends le temps de déguster. Aujourd'hui, la lumière de ma vie vacille et j'admire la sérénité du ciel. Ma maison est la terre.